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3,43

sur 298 notes
Aah le Quai d'Orsay, ce haut lieu de l'Administration française, cette voie royale (ou républicaine) d'embarquement vers de palpitantes aventures diplomatiques, là d'où s'élance le train de la carrière des fonctionnaires férus d'exotisme et de service public !
C'est en tout cas l'idée que le narrateur se fait du ministère des Affaires étrangères, lui qui vient tout juste d'en réussir le concours d'entrée. Ambitieux, le jeune homme a passé son enfance bordelaise, solitaire et ennuyeuse à éplucher tous les magazines GEO qui lui tombaient sous la main, à rêver d'évasion et à décider que, quand il serait grand, il voyagerait, et tant qu'à faire en joignant l'utile et l'agréable, c'est-à-dire en voyageant dans le cadre professionnel.
Et donc le voilà qui monte à Paris pour prendre son poste, encombré d'un volumineux attaché-case offert par sa maman toute fière de voir son fiston entrer au service de l'Etat. Lequel objet importun vaudra à notre candide anti-héros, après quelques péripéties, d'être affecté (lire : relégué) au « bureau des pays en voie de création – section Europe de l'Est et Sibérie ». « On vous envoie sur le front russe ! C'est vache pour un nouveau ». Et de fait, les ors du prestigieux Quai d'Orsay se transforment pour le narrateur en une voie de garage planquée derrière la gare d'Austerlitz, un service-placard dans lequel la locomotive du plan de carrière ne passe pas, en dépit des vaines tentatives du narrateur pour se démarquer « brillamment ».

Burlesque et désespérant, « le front russe » n'est pas une « bête » caricature sur le dos des fonctionnaires. C'est bien plus fin et subtil que ça, et même si le narrateur est un grand naïf gaffeur, il n'en est pas moins de bonne volonté et ambitieux. Cette satire vise davantage une certaine Administration sclérosée, et sa plus grande force, à savoir sa force d'inertie, qui parfois bride, décourage et fige les plus motivés et/ou honnêtes, ce qui est d'autant plus regrettable que l'on se prétend en charge de l'intérêt général.
Un roman cynique et jouissif qui se lit très vite et avec beaucoup de plaisir.
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Que de bons moments de sourires et de rires grâce à ce petit ouvrage ! Histoire d'un jeune homme qui a décroché un concours de la fonction publique, au Ministère des Affaires étrangères en l'occurrence. Parfait : il a toujours rêvé de voyages, de contrées exotiques en feuilletant ses magazines Géo ! Il quitte le domicile parental du Limousin pour la capitale...

Amis qui étiez enfants dans les années 70-80, qui avez occupé votre premier emploi (de fonctionnaire) à Paris, prêts à en découdre, qui avez vécu dans un minuscule appartement, qui avez découvert avec effarement quelques "vieux" collègues indolents (euphémisme) et/ou étranges... vous allez probablement vous reconnaître, et vous régaler.

Un vrai plaisir, un excellent moment de détente en lisant ce court roman grinçant à l'humour subtil et aux observations fines - pas un énième alignement de poncifs sur les fonctionnaires.
J'avais beaucoup apprécié également 'La campagne de France', beaucoup de lecteurs ont déploré trop de similitudes entre les deux ouvrages. A part la drôlerie et quelques allusions cyniques aux touristes, j'ai trouvé 'Le Front russe' différent et l'ai découvert avec le même enthousiasme, bien que peu de temps après.
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« Je finis un beau jour par ne plus envisager que l'ailleurs, par en faire un but, mais les discours de mon père sur la prévalence du travail avaient fini par me pénétrer et je n'étais capable d'envisager mes départs qu'à l'aune de ses préconisations. Alors quand la possibilité de voyager a disparu de mon univers professionnel, je me suis retrouvé face à un vide immense. » (p. 16) Après une enfance solitaire et rêveuse, le narrateur ne souhaite que voyager. Réussir le concours d'entrée au ministère des Affaires étrangères lui semble le premier pas vers ses ambitions diplomatiques et géographiques. Hélas, « ayant à tort confondu le Quai d'Orsay avec un quai d'embarquement » (p. 20), le narrateur est relégué au bureau des pays de création/section Europe de l'Est et Sibérie. La faute à un attaché-case encombrant et mal placé qui lui vaut cette douloureuse relégation sur ce que le ministère des Affaires étrangères appelle le « front russe ». Triste affectation pour ce fonctionnaire ambitieux nourri au magazine Géo…

Je n'en dis pas plus et vous invite à découvrir cet excellent roman dont l'humour acide accompagne à merveille la chronique d'une ambition mouchée. le narrateur, antihéros assumé, est un éternel dernier, un type lésé et un gaffeur récidiviste. Il est pourtant parfaitement lucide et pointe sans aménité les défauts d'une administration sclérosée et figée, totalement inapte à assurer ses missions de service public. le roman de Jean-Claude Lalumière est cynique à juste dose et porté par une plume fine et un rien insolente. Un vrai plaisir !

Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de vous présenter le fameux attaché-case : « Pour mon départ, ma mère m'offrit un attaché-case en cuir noir des plus rigides, agrémenté d'une armature métallique dorée et doté d'un système de fermeture sécurisé à code chiffré. Sans doute avait-elle entendu parler de la valise diplomatique, et elle me rappelait la mallette du représentant de commerce, celle dont mon père était équipé, un objet parfait pour bloquer la porte des clients récalcitrants ou se prémunir des attaques surprises de chiens méchants, et je me demandais si j'allais pouvoir raisonnablement utiliser cet accessoire. » (p. 21)
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Séduite par le titre (ah, les titres ...), j'embarque cet étonnant Front russe qui bien sûr me détourne quelque temps, de manière profitable, de mes copies et de mes objectifs de lecture déraisonnables.

Le narrateur a rêvé toute son enfance sur les pages de son atlas et les motifs de la tapisserie marron des murs de sa chambre ; les pages de vieux numéros de Géo, mille fois tournées, constituent l'horizon de ses ambitions d'explorateurs, qui le conduisent à passer - et obtenir - le concours des Affaires étrangères.

"Affectation : bureau des pays en voie de création / section Europe de l'Est et Sibérie. Localisation : immeuble Austerlitz, 6e étage, bureau 623 - 8, avenue de France - Paris XIIIe". - Entre nous, on appelle cette section "le front russe", ajouta-t-il d'un air comblé. Ce sont les seuls bureaux délocalisés dans le XIIIe arrondissement. Personne ne veut y aller. Je ne comprends pas pourquoi d'ailleurs, le XIIIe c'est plus à l'est que le VIIe, ça rapproche de la Sibérie, c'est plus pratique."

Las, notre jeune fonctionnaire idéaliste va de désillusion en désillusion, en passant par des aventures toutes plus kafkaïennes ou rocambolesques les unes que les autres.


"Ce trait d'humour détendit un peu l'atmosphère, et tout le monde rit avec modération à la blague de notre chef. Rire avec modération à la blague du chef est un précepte à garder à l'esprit si l'on veut survivre en milieu administratif. Mais ce rire doit cependant être modéré si l'on ne veut pas passer pour un lèche-bottes auprès de ses collègues. C'est un dosage difficile, un équilibre malaisé lorsqu'on débute, mais bien vite on acquiert ces automatismes".

Entre chef du personnel haineux, supérieur azimuté, et échanges délirants avec le responsable de la société de nettoyage, la vie de bureau n'a désormais plus de secrets pour lui, et les lointains voyages s'éloignent de plus en plus, le roman tournant à la fable douce-amère.

"Le pot est au monde du travail ce que la boum était à notre adolescence : une occasion récurrente, régulière, rassurante, d'oublier la tristesse et la monotonie de l'année qui s'écoule avec lenteur jusqu'aux prochaines grandes vacances en y introduisant des moments de communion, d'entrain forcé autour de boissons et de nourritures incertaines."

Avec son ton caustique, drôle, mais tendre et ironique, et finalement décapant voire désabusé et pathétique ... c'est un chouette petit roman fluide et plaisant, un bon petit moment de lecture.
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Difficile de critiquer à chaud un livre qui remue autant. Jubilatoire, débordant d'humour, ce roman balotte son lecteur d'un éclat de rires à l'autre ; du rire dans tous ses états. En effet, l'auteur y manipule avec brio le gag ; le pastiche ; la satire ; l'absurde ; le non sens ; l'humour pince-sans-rire ; l'humoir noir ; jusqu'au rire cachant un profond désespoir. Toutes les causes de rire de la vie, des plus gaies aux plus tragiques se cotoient harmonieusement.

Ce roman a bien deux trois longueurs, mais elles ne durent jamais vraiment longtemps. Lalumière nous y décrit une administration d'état toute kafkaïenne qui illustre à la perfection la maxime qui dit que la bureaucratie grandit pour répondre aux besoins croissants de la bureaucratie grandissante. ce récit est de plus sans concession sur les rouages de l'état à l'action derrière les politicien, sur les gens en place des plus compétents aux plus incompétents, le portrait dressé tient à la fois d'un absurde digne des Monty Pythons et d'une réalité parfois trop proche de cette caricature.

Je pensais avoir fait le tour du roman en m'imaginant m'arrêter au corps de la critique ci-dessus quand la fin, inattendue, m'a retourné comme un crêpe et faisant d'emblée de ce roman un des meilleurs qui m'ait été donné de lire cette année.

A n'en pas douter, s'il confirme, monsieur Lalumière fera mentir son professeur de mathématique qui pensait qu'il n'en était pas une, de lumière, en devenant un auteur à suivre.

Le paysage littéraire hexagonal gagne là une belle plume.
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« Enfant, je pouvais passer des heures à regarder le papier peint des murs du séjour de la maison de mes parents. Recouverts d'un motif végétal rococo postmoderne, ils produisaient des monstres du meilleur effet sur mon esprit si facilement impressionnable ». Ensuite ce furent les milliers de paysages engrangés au fil des pages des magazines Géo et du vieil atlas, offerts par mon oncle, qui nourrirent mes rêves de voyages.
Je découvris alors qu'il existait bien des pays dont je n'avais ni lu, ni entendu le nom. Dès lors je voulus découvrir ce vaste monde.

Si bien qu'à l'issue de ma réussite au concours administratif en tant qu'agent du ministère aux Affaires étrangères, j'envisageais déjà de parcourir le monde…
Mais c'était sans compter sur l'attaché-case que ma mère m'avait offert avant de partir…. et qui au final, me valut d'atterrir, grâce à la « bienveillance du « dircab », au bureau des pays en voie de création/section Europe de l'Est et Sibérie…
Adieu veau, vache, cochon, couvée… et tous mes rêves d'expatriation…

Pourtant, malgré son parcours semé d'embûches, notre antihéros ne va pas se laisser démonter pour autant. C'est ainsi qu'il va tenter désespérément de redonner ses lettres de noblesse à ce service administratif oublié de tous, dans l'espoir inavoué de pouvoir un jour le quitter…

Jean-Claude Lalumière dans ce roman brosse à grands traits le portrait d'un « petit » fonctionnaire qui a travaillé avec des fonctionnaires/tuteurs qui se sont révélés des entraves. Certes le portrait est caricatural, mais il n'en rend pas moins le roman que plus drôle.
Au final, un bon moment de détente.
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Voilà un court roman habilement mené le narrateur et admis par concours au sein du prestigieux ministères des Affaires étrangères, passeport pour la découverte de notre vaste monde,mandaté par l'administration vers des territoires lointains, constituant une collection hétéroclites d'objets ethniques dénichés dans de pittoresques marchés autochtones. Ça, c'est la version idéalisée et rêvée au fil d'un cinéma intérieur alimenté par la lecture obsessionnelle de quelques numéros de Géo. Avec brutal atterrissage dans une obscure annexe vouée aux relations avec les pays en voie de création, section Europe de l'Est et Sibérie, dirigée par un fou qui se croit à la tête d'un bataillon en campagne. Tout cela parce que la mallette (non diplomatique) offerte par maman était trop grande....

D'emblée le ton est donné : l'auteur campe le décor originel : l'enfance solitaire dans un pavillon voué au marron, les escapades imaginaires au fil des pages de 5 numéros de Géo et d'un atlas, la nomination qui met brusquement fin au rêve. La conscience du débutant prêt à payer de sa personne pour mettre fin à l'ineptie d'une équipe qui est totalement inutile (le chef fou, le collègue qui passe son temps à classer, avant même que les affaires soient réglées, le rôle central de la photocopieuse, sera dans un premier temps productive : montée en grade, mutation pour revenir au siège central. Mais la valse des postes tient à de menus événements incontrôlables, passer du purgatoire au paradis n'est pas un chemin à sens unique.

C'est avec beaucoup d'humour et d'auto-dérision que l'auteur nous fait parcourir les méandres du fonctionnement d'une administration : on pourrait faire le parallèle avec Absolument débordée, à ceci près qu'ici le ton est détaché. Même si les portraits sont féroces, le narrateur ne s'isole pas de la scène et tourne au sein de ce manège de l'absurde au même rythme que les autres protagonistes. On ne retrouve pas ici l ‘ambiance de règlements de compte et l'illusion d'être le seul performant au milieu d'une équipe d'incapables;

Derrière ce portrait humoristique, sourd une inquiétude, une crainte de contagion par une maladie incurable qui paralyse le fonctionnement de nos instances : l'immobilisme et le conformisme, qui est aussi une sorte d'auto protection tant le risque est grand de se voir éjecté de l'échiquier comme un vulgaire pion, à la moindre velléité de changement.


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Truffé de références aux années 80 et 90, dont l'auteur tire plein d'anecdotes qui m'ont évoqué beaucoup de souvenirs personnels, le front russe est un livre court qui se lit vite.

Intercalé, dans mon itinéraire de lectrice, au milieu de nombreux romans ou récits très sombres, il me laissera le souvenir d'un éclat de rire dès les premières pages (avec l'évocation des tricots faits main de la maman du narrateur), suivi de nombreux rires, ou sourires, devant la description des absurdités et des lourdeurs de l'Administration Publique Française ( ah, le paragraphe sur le pigeon mort!!!) pour se terminer sur deux dernières pages particulièrement déprimantes ("L'histoire d'une vie, c'est toujours l'histoire d'un échec")...

Cette conclusion était-elle nécessaire pour donner de la profondeur au récit? Je ne sais pas... mais qu'il est difficile de trouver un livre qui donne vraiment la pêche!
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En ce début du mois de janvier, j'ai lu ce roman atypique. C'est un livre voyageur, qui a été donné à mon Papa – qui l'a lu en premier – l'a recommandé à ma Maman, qui l'a lu elle aussi. Et enfin, le voici quelques huit cents kilomètres plus loin, avec moi. Si nous étions tous trois sceptiques face à ce titre et cette couverture qui viennent d'un autre temps, nous avons tous trois beaucoup ri en tournant les pages !

Le personnage que nous suivons, après une enfance étrange avec des parents dont la principale priorité était la réussite professionnelle, est admis ! Ca y est, il a un travail, et non des moindres: il est nommé au Ministère des affaires étrangères. Oui, mais remballez vos clichés. Il s'agit d'un simple bureau où ses premières missions consistent à faire des photocopies. Pourtant, il vise une promotion… Comment va-t-il s'y prendre pour monter l'échelle du fonctionnariat ?

Un roman aussi caricatural que vrai, où l'humour – bien souvent de couleur noir ou jaune – est détonnant ! On reconnaît les écueils de l'administration, les procédures parfois inutiles, trop longues pour un évènement mineur. Au-delà d'une satire de la société, c'est aussi les déboires d'un fonctionnaire qui espérait tant et qui est en prise avec des désillusions…
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C'est l'histoire d'un jeune homme qui nous propose un « voyage dans le temps » motivé par « l'absence de motifs sur les murs de [s]on présent » (p. 15). Il entre au ministère des Affaires étrangères, mû par « l'envie de parcourir de monde » (p. 18) et par une solide ambition. Il déchante très vite. Un objet fatidique – cadeau (empoisonné) de sa mère – l'envoie tout droit sur « le front russe », au « bureau des pays en voie de création / section Europe de l'Est et Sibérie » (p. 46) situé dans le XIIIe arrondissement de Paris. Il y découvre un personnel singulier.

J'ai lu ce roman de Jean-Claude Lalumière dans le cadre du prix Cezam 2011. La lecture du « Front russe » a été un moment de bonheur unique : j'ai beaucoup ri à l'occasion de certains épisodes, appréciant tout particulièrement l'humour grinçant de l'auteur.

Le narrateur nous convie à un « voyage dans le temps » où alternent des épisodes truculents de son entrée sur le marché du travail au ministère des Affaire étrangères et quelques souvenirs d'enfance au goût particulièrement aigre et amer.

Du récit de ses souvenirs d'enfance, le lecteur comprend que le narrateur, enfant unique, s'est senti mal aimé par ses parents, rejeté ensuite par ses camarades d'école puis par la gente féminine, en témoignent ses expériences amoureuses catastrophiques. le passage suivant montre comment le jeune homme use de son intellect comme paravent protecteur à ses émois et au langage de son corps dans un moment crucial, celui du premier passage à l'acte érotique :

« C'est donc dans l'obscurité que je dus retrouver mon chemin, à tâtons, me figurant sans cesse la planche anatomique longuement étudiée la veille. Je palpai délicatement, à la surface d'abord, puis fouillai plus en profondeur, cherchant désespérément un truc qui, au toucher, ressemblât aux détails présentés dans le livre de biologie. Après quelques minutes d'exploration infructueuse de sa géographie intime – rien ne semblait être à sa place là-dedans – Camille, plus aguerrie que je ne l'étais, me demanda si j'avais perdu quelque chose. » (p. 106)

L'écriture est simple, sobre, tout en étant très soignée et travaillée. L'humour caustique fait mouche et la maladresse naïve du narrateur m'a semblé touchante. Un autre passage est particulièrement drôle, quand le narrateur témoigne de son incapacité à s'adonner aux sports collectifs, préférant se réfugier dans une analyse pointue de la signification des entrelacs de lignes figurant les différents terrains de sport :

« Je subissais chaque fois cette épreuve difficile avec résignation et j'attendais mon tour en observant l'entrelacs des différents terrains de sport qui se superposaient sur le sol tels les géoglyphes de Nazca, ces figures dans le désert péruvien qui ne prennent sens que vues d'avion. » (p. 47.)

Un dernier épisode de l'enfance du narrateur m'a semblé particulièrement mémorable : il s'agit des excursions vers les Pyrénées avec ses parents, son père étant au volant, porteur de deux caractéristiques invalidantes pour l'enfant : la fumée de ses Gitanes et son mode de conduite citadin. La conséquence était récurrente : « Mes problèmes gastriques se manifestaient en général après le cinquième lacet » (p. 230). L'épisode est raconté avec un ton qui se veut objectif mais qui laisse filtrer une amertume certaine.

La vie professionnelle de fonctionnaire qui attend notre narrateur n'est guère plus brillante. Chaque découverte que lui réserve le monde du travail est source d'une réflexion désenchantée, à l'image de celle qui concerne les pots :

« le pot est au monde du travail ce que la boum était à notre adolescence : une occasion récurrente, régulière, rassurante, d'oublier la tristesse et la monotonie de l'année qui s'écoule avec lenteur jusqu'aux prochaines grandes vacances en y introduisant des moments de communion, d'entrain forcé autour de boissons et de nourritures incertaines. » (p. 189.)

Les absurdités administratives sont également épinglées, en témoigne un échange de mails kafkaïen autour d'un pigeon mort dont la décomposition inéluctable gâche le travail du narrateur. L'auteur propose par moment une satire savoureuse de l'avarice. le passage suivant laisse la parole à des touristes qui détournent des catastrophes à leur profit :

« Il me raconta aussi qu'ils avaient pris l'habitude, lui et sa femme, de partir chaque année dans un pays victime d'une catastrophe.
« Cela permet de bénéficier de prix très bas, précisa-t-il. Nous avons fait New York en 2001, Bali en 2002 et Madrid après les attentats de la gare d'Atocha. Sans oublier la Thaïlande, en 2006, juste après le tsunami. » » (p. 140.)

Le narrateur se lance alors dans une réflexion désabusée qu'il s'efforce d'étayer par des considérations historiques :

« Je n'osai rien répondre. J'imaginais l'album des photos de vacances de mon interlocuteur. Lui ou elle souriant au milieu des décombres. le monde était en solde. C'était la loi du marché adaptée à la découverte de la planète. Déjà Christophe Colomb n'avait découvert l'Amérique que parce qu'il cherchait une route plus économique pour atteindre les Indes. » (p. 140.)

Au final, il apparaît que le narrateur est un véritable looser, qui a subi de nombreuses mésaventures : il souhaitait voyager, accomplir dans le réel des aventures qu'il s'était plu à imaginer durant son enfance en parcourant les rares « Géo » que son oncle Bertrand lui avait donnés. Une ambition ratée ? Ainsi qu'il le souligne, p. 15 :

« Adulte, je passe le plus clair de mon temps dans un bureau dont les murs sont blancs, d'un blanc qui favorise l'introspection mais qui n'offre guère d'étayage à la construction de mondes imaginaires ou à l'évocation de paysages réels vers lesquels, enfant, je m'évadais volontiers. »

Un livre qui explore avec brio l'absurdité de la vie, la quête de sens, sous l'angle de l'humour, le plus souvent caustique, qui laisse filtrer, en creux, le tragique de l'existence. le lecteur rit, certes, mais ce rire reste amer et rend encore plus poignants les échecs répétés du narrateur. Une écriture travaillée au plus près, une construction intéressante qui permet de maintenir l'attention et l'intérêt du lecteur, entre souvenirs d'enfance (qui surgissent à la conscience du narrateur de manière insolite) et découverte du monde du travail. Un vrai coup de coeur !
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