Parfois je travaille sur une composition pendant des semaines, des mois même, sans savoir ce que je recherche, ni d’ailleurs, une fois la toile achevée, ce que j’ai fini par résoudre. Après tout ce temps, je ne suis toujours pas capable d’expliquer complètement ce processus ; cette façon, quand on est pris par un travail, dont tout le reste de la pièce disparaît, tout sauf la chose devant vous qui vous appelle et prend vie. Comme si le sujet sur la toile était doué d’une volonté propre. Lorsque cela arrive, cela peut être très excitant, mais dérangeant aussi : vous, le peintre, n’avez pas le contrôle de votre peinture !
De trouver des façons de me défaire de cette amertume, de me pardonner, de pardonner aux autres et de recommencer.
Plus on est plongé dans une situation, moins elle semble claire.
La coïncidence, c’est le moyen qu'a Dieu de rester invisible.
Réconfortent les perturbés et perturbent le confort des autres.
Je ne suis pas simplement susceptible. Je suis folle ! C’est plus fort que moi : tasse à la main, je balance mon vin sur la robe de mariée vert pâle de Viveca.
Le liquide dégouline sur le bas. Vin rouge sur soie verte, on croirait que Gaïa, la terre nourricière primitive, a ses règles. Je sais que je devrais me sentir coupable. Contrite. Je devrais vite aller chercher une bouteille d’eau gazeuse dans la cuisine avant que la tache marque, ou courir au pressing avec la robe de Viveca. Mais je n’éprouve aucun remords. J’ai un peu le vertige, en fait. Je me verse encore du vin et le jette sur les trois autres robes. À certains endroits, le liquide pénètre, et à d’autres, il coule jusqu’à l’ourlet. Je recommence : je verse et j’asperge. Je ressens ce qu’a dû ressentir Jackson Pollock, sauf que je ne fais pas goutter de la peinture ; je tache la beauté avec du sang.
Je ris. Je me sens puissante. Le cyclone tourbillonne, il s’approche encore, et je l’affronte. Il me pénètre, court dans mes bras.
Est-ce cela aimer ? Sentir le besoin de leur retour quand ils ne sont pas là ? Un retour à la maison pour nous protéger ?
Ces animaux sont carnivores, oui, mais ce ne sont pas d’horribles mangeurs d’homme. Ils chassent et se nourrissent pour survivre, mais ils ne tuent pas pour tuer. Cela décrirait plutôt notre espèce.
Je secoue la tête. Pour me débarrasser de mes doutes. Je suis prise d’un étourdissement. Mes doigts se plient, façonnant un art invisible. Excitation et effroi quand cela vient, pareil au spectacle d’un cyclone qui approche, sur la route duquel on se tient avec bravade. Avant que ce jour s’achève, peut-être la tempête dans mon cerveau me fera-t-elle tournoyer. Peut-être me retrouverai-je dans mon atelier, face à mon besoin de hurler. De lutter contre le monstre. De produire de l’art.
Parfois je travaille sur une composition pendant des semaines, des mois même, sans savoir ce que je recherche, ni d’ailleurs, une fois la toile achevée, ce que j’ai fini par résoudre. Après tout ce temps, je ne suis toujours pas capable d’expliquer complètement ce processus ; cette façon, quand on est pris par un travail, dont tout le reste de la pièce disparaît, tout sauf la chose devant vous qui vous appelle et prend vie. Comme si le sujet sur la toile était doué d’une volonté propre. Lorsque cela arrive, cela peut être très excitant, mais dérangeant aussi : vous, le peintre, n’avez pas le contrôle de votre peinture !