L’automatisme de l’administration sortait d’une pièce de Ionesco
Je l’ai écrite [cette phrase] pour me soulager du chagrin que je pressentais: écrire, c’était protester, mais c’était aussi, déjà, accepter.
Je n'avais jamais rencontré Michel Houellebecq, l'homme qui le 7 janvier (2015) avait été notre dernier sujet de discussion. Nous nous sommes serrés la main. Il semblait détruit, minéral et compatissant. Son sourire s'arrêtait au bord de la grimace.
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J'ai pensé que tout homme prenant sur lui, avec autant d'efficacité, le désespoir du monde, devait remonter le temps pour finir dans la peau d'un dinosaure.
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Il m'a regardé fixement et il a fit cette parole de Matthieu : "Et ce sont les violents qui l'emportent."
Page 502
Comme l'inspecteur Columbo, le premier principe de civilisation reste pour moi : "Tu ne tueras point." Rien n'excuse la transgression dont j'ai vu et subi le résultat. Je n'ai aucune colère contre les frères K, je sais qu'ils sont les produits de ce monde, mais je ne peux simplement pas les expliquer.
Page 284
Rien n'est pire à l'hôpital que l'absence d'action et de visibilité : c'est un lieu fait pour la décision.
Page 252
Le patient reste avec sa gueule tordue, ses cicatrices, son handicap plus ou moins réduit. Le livre reste seul avec ses imperfections, ses bavardages, ses défauts. Nous en avions banalement conclu que l'horizon n'est pas fait pour être atteint.
Page 222
Mes parents n'avaient jamais ri avec Cabu et Wolinski, parce qu'ils ne les avaient jamais lus.
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Mes parents découvraient qu'on pouvait être sérieux, selon leurs critères en tout cas, et profiter de l'humour des dessinateurs de Charlie. Il n'y avait pas tant d'hommes sur terre pour faire rire les autres de tout et n'importe quoi, les faire rire en réveillant ce qu'ils avaient en eux de naturel, de mauvais goût, d'enfantin, d'anarchiste, d'indigné, d'infréquentable, d'antiautoritaire, de récalcitrant. C'était drôle de laisser parler ses monstres, puis de sortir tout propre et bien habillé.
Page 165 et 166.
Je l'appelais moins, et, si je lui écrivais, je lui répondais rarement: soit parce qu'elle tombait mal, soit parce que je n'étais pas en état de prendre une leçon d'optimisme désespéré.
Il était là, comme un taureau flairant le torero immobile qu'il vient d'encorner, les jambes noires, le fusil pointé comme des cornes vers la terre, se demandant peut-être s'il fallait ou non insister
[Sur Charlie Hebdo] Prendre le point de vue ou le fantasme le plus abject ou le plus ridicule pour le retourner par l'absurde, dans un grand éclat de rire, et avec le plus de mauvais goût possible, tel était l'humour de Charlie à une époque où le "bon sens" était le tapis du monde le mieux partagé par les pompes bien cirées, celui sous lequel la société postgaulliste glissait à la balayette ses petits tas d'ordures. Charlie était un drapeau à tête de mort qui flottait sur les Trente Glorieuses. Pour des adolescents que tout révoltait, souvent à leur insu, et qui noyaient si volontiers leur révolte dans leur bêtise, cet humour servait de tuteur, d'exutoire et de décapant.
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