... les idées d’un adulte sont rarement à la hauteur des visions — de l’effroi — d’un enfant.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins
(Baudelaire)
Les soignants avaient ce privilège : ils répondaient à la destruction par des gestes précis, destinés à réparer... Ces gestes remplaçaient les larmes, le bavardage, la compassion inutile, la pitié dangereuse.
Machiavélique et puritain, les deux font la paire : qui veut punir les hommes de leurs plaisirs et de leurs sentiments au nom du bien qu’il croit porter, au nom d’un dieu, se croit autorisé à faire tout le mal possible pour y parvenir.
C’est alors, ouvrant les yeux, j’ai vu la grande salle de réveil et sa lumière blafarde, entre jaune et vert, et, les baissant vers le pied de mon lit, au lieu de la rambarde en fer forgé et de la housse de couette, ce drap jaune inconnu sur lequel reposaient deux bras et deux mains bandés, il me fallu quelques secondes pour comprendre qu’il s’agissait des miens, dans ces secondes qui allaient au-delà du lit, tout le reste s’est engouffré, l’attentat et les minutes suivantes, et avec lui les cinquante et un ans d’une existence qui prenait fin ici, dans cette prise de conscience, à cet instant.
Vivre à l’intérieur de la souffrance, entièrement, ne plus être déterminé que par elle, ce n’est pas souffrir ; c’est autre chose, une modification complète de l’être.
... mes parents découvraient qu’on pouvait être sérieux, selon leurs critères en tout cas, et profiter de l’humour des dessinateurs de Charlie. Il n’y avait pas tant d’hommes sur terre pour faire rire en réveillant ce qu’ils avaient en eux de naturel, de mauvais goût, d’enfantin, d’anarchiste, d’indigné, d’infréquentable, d’anti-autoritaire, de récalcitrant.
Shakespeare est un excellent guide lorsqu'il s'agit d'avancer dans un brouillard équivoque et sanglant. Il donne forme à ce qui n'a aucun sens et, ce faisant, donne sens à ce qui a été subi, vécu.
Trente ans plus tôt, il [Laurent Joffrin] avait corrigé ligne à ligne l’un de mes premiers articles, mal écrit, mal construit ... il coupait les adjectifs, plus encore les adverbes, en disant : « Quand on utilise des adverbes, c’est souvent que l’enchaînement des phrases manque de logique. Chateaubriand n’utilisait presque jamais d’adverbes.
Au début des années 80, lecteur à l’université californienne de Berkley, il* avait identifié et décrit ce qui allait devenir en France le "politiquement correct", et qui n’était jamais qu’une forme de puritanisme renouvelé par les sirènes du progressisme et la colère des minorités.
[ * Philippe Muray, essayiste et romancier ]