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Critique de Erik35


Erik35
15 septembre 2017
«IL N'Y A JAMAIS EU DE BONNE GUERRE NI DE MAUVAISE PAIX»

Un certain George W. Bush eut très probablement été avisé de relire un peu mieux cette maxime de Benjamin Franklin - pour autant qu'il l'ait jamais lu - car ce Père Fondateur de la Nation Américaine, scientifique, écrivain, inventeur et homme politique de cette jeune nation savait, d'expérience, de quoi il parlait.

Hélas, les hommes sont ainsi fait qu'ils se pensent invariablement plus doués et malins que leurs prédécesseurs et, pour les plus belliqueux d'entre eux, n'ont qu'une hâte : répéter les erreurs du passé, ne pas regarder le présent sous le bon angle et se contreficher de l'avenir en engageant leur peuple en l'embarquant dans une de ces bonnes vieilles guerres - dans les cas des actuels USA : la presque totalité du monde, même si de manière indirecte pour beaucoup -, dans le cas présent dans une guerre sans fin possible, pour un peu qu'elle ait eu de vraies (ou honorables, ce qui est assez peu identique) finalités de départ.

Cependant, le mal était fait et la conséquence indirecte du traumatisme vécu par nos voisins outre-atlantiques des suites du 11 septembre 2001 serait donc cette opération destinée à abattre une fois pour toute le régime de Saddam Hussein... et instaurer la Démocratie. Les opérations armées furent une complète réussite, comme on pouvait s'y attendre : en dix-neuf jours, l'essentiel des objectifs miliaires étaient atteints. C'est après que ce fut réellement long, très long.

C'est à cet "après" que William Langewiesche, travaillant en Irak et au Moyen-Orient à partir de 2003 en tant que correspondant international pour Vanity Fair, consacre ce petit ouvrage "La conduite de la guerre", publié en 2008 chez les précieuses éditions Allia, un essai aussi sérieux qu'effarant dans sa démonstration et ses conclusions.

Il prend pour point de départ un acte de guerre, atroce et presque commun à la fois : le 19 novembre 2005, un Marine de vingt ans meurt des suites de l'explosion d'une mine lors du passage de son véhicule. Les conséquences : le massacre de vingt-quatre civils, hommes, vieillards, femmes, enfants. le fait, même dans sa crudité décontextualisée, est insupportable.

Pourtant, sans le moindre pathos inutile - ce qui n'empêche pas l'empathie, ne nous trompons pas -, sans pleurs ni réflexions gratuitement grinçantes, dans le plus pur style de ce que peut être encore le grand journalisme, c'est à dire précis, factuel, vérifiable et vérifié, "sourcé" comme on le précise, sans plus tomber dans le pacifisme outré que dans la fascination guerrière, William Langewiesche va user d'une rhétorique implacable aussi bien que sans le moindre artifice pour démontrer que ce qui peut être considéré comme un crime de guerre est aussi, indéniablement, implacablement dans la logique absconse et folle de cette guerre devenue totalement dissymétrique au fil des jours et des semaines.

Après avoir fait le récit, macabre et irréel à la fois, de ce drame, le journaliste remonte dans le temps afin de comprendre comment cela put arriver. Et il tombe sur ce précédent honteux du massacre d'une école à Fallouja qui avait provoqué le début de la guérilla contre l'armée américaine.

Le lecteur découvre ainsi, un peu ébahi par tant de naïveté, de candeur même, et d'aveuglement sans nul doute, ce que le colonel commandant cette place reconnu de ce que voulait être cette opération : «Nous étions venus pour montrer que nous étions là, pour que le citoyen lambda se sente en sécurité.» Et le narrateur d'ajouter un peu plus loin, un brin désabusé : «Mais cela ne s'est pas passé de cette manière-là, pas plus que cela ne s'est bien passé malgré l'affirmation de la "présence" américaine depuis lors.»

Ça ne s'est pas bien passé........

L'auteur ouvre un certain nombre de piste pour expliquer ce fait malheureusement avéré :«Quel que soit le degré de sophistication ou de subtilité de nos stratèges militaires, au bout du compte ils ne peuvent utiliser que cette arme très grossière : une imposante force américaine qui n'arrive tout simplement pas à réprimer une rébellion populaire dans une contrée étrangère.»

Ou l'histoire de l'éléphant qui finit par s'effrayer de la souris qui passe et repasse entre ses énormes pattes sans jamais vraiment parvenir à s'en saisir ou s'en débarrasser, jusqu'à le rendre fou.

Il y a aussi la situation intérieure irakienne des plus complexes, les différences linguistiques, culturelles pour ainsi dire insolubles entre ces irakien chiites ou sunnites sortant de plusieurs décennies de dictature baasiste et de jeunes américains sûrs d'eux, fiers de leur drapeau et de leur pays, eux même d'abord convaincu d'être venu apporter le bien pour, comprendre par la suite, assez rapidement, que cette guerre était bien partie pour n'avoir jamais de fin...

A force d'exemples minutieusement choisis et détaillés, sans jamais s'arroger la double posture de juge et de partie, seulement celle de témoin éclairé, William Langewiesche en arrive à cette conclusion terrible que des événements de ce type, dans des guerres de ce type ne peuvent que survenir. Pire : qu'il serait pour ainsi dire incroyable que cela n'advienne jamais... Ainsi, le Capitaine Lucas McConnell, sous les ordres duquel se trouvaient ces militaires vengeurs, de très certainement penser, après avoir été mis au courant des faits : «Les américains tuent des civils tous les jours. C'est un fait commun en Irak». il acheva même le debrief de cette sombre journée en ce termes : «[...]bon boulot et continuez comme ça». C'était dit sans le moindre cynisme, c'est à dire avec la seule et simple vision du soldat appliquant les procédures et les ordres, mais sans le moindre regard en arrière ni référence aux vingt quatre malheureuses personnes purement assassinées ce jour-là. Parce que c'était «la manière la plus habituelle de conduire cette guerre.» Une sorte de "banalité du mal", pour reprendre le concept philosophique développé par Hannah Arendt mais appliquée à des gens absolument convaincus, moralement s'entend, d'être sur le chemin du bien, et de le faire du mieux possible.

Un texte court, saisissant, sans doute moins crucialement d'actualité qu'à l'époque de sa rédaction, mais dramatiquement toujours aussi perspicace et contemporain par la réflexion qu'il engage.
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