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Critique de karmax211


Il m'a fallu longtemps avant de me décider à entrer dans ce livre de mémoires - terme que réfute partiellement à raison l'auteur - de 757 pages. D'abord parce que Claude Lanzmann était pour moi le père de - SHOAH - et qu'être celui qui avait conçu, réalisé, porté un tel monument ne pouvait que me "décevoir" en se racontant...
Parce que du point de vue de l'écriture j'associais le nom de Lanzmann à son frère Jacques, le "marcheur" qui avait contribué à quelques-unes des très bonnes émissions dont pouvait s'enorgueillir la télévision française des années 60/70/80, le formidable parolier ( grand prix de la SACEM comme auteur d'environ 90 textes utilisés sur plus de 400 écrits ) des chansons essentiellement de Jacques Dutronc, parmi lesquelles - Et moi, et moi, et moi -, - Les playboys -, - J'aime les files -, - Les cactus - ( ô combien culte ! ), et puis ma préférée avec - L'opportuniste -, le standard des standards - Paris s'éveille -, chansons dont la gageure pour Lanzmann était de "faire pire" que ce que faisaient Mireille Mathieu et Dalida ( dixit l'auteur ), rédacteur en chef, directeur de la rédaction et PDG du magazine - LUI -, romancier de plus de 50 ouvrages à succès.
Claude avait donc à mes yeux un statut iconique quand son frère avait celui d'un illustre mortel de talent.
Ce n'est qu'après avoir lu - le bureau d'éclaircissement des destins -, le formidable roman de Gaëlle Nohant, que j'ai ressenti la nécessité de réécouter des interviews de Claude Lanzmann, et ce faisant, éprouver l'irrésistible besoin de prendre sur l'étagère de ma bibliothèque où il patientait - le lièvre de Patagonie -

Difficile de sortir de la banalité de mes billets, de mes "habituelles" recensions de lectures à partir d'une telle oeuvre ; oeuvre dictée à son amie, la philosophe Juliette Simon ou à sa secrétaire, Sarah Streliski sur plusieurs années.
Il est à noter que c'est après qu'on lui eut offert un ordinateur et qu'il eût appris à s'en servir que CL décida de parler, je dis bien parler de sa vie. "Lorsque je dictais à Juliette assise auprès de moi, tous deux devant un large écran, je trouvais miraculeuse l'objectivation immédiate de ma pensée, parfaite au mot près, sans ratures ni brouillon. Finis les problèmes que m'a toujours posés ma propre écriture, changeante à mes yeux selon l'humeur, la nervosité ou la fatigue, quoi que m'en aient dit ceux qui la jugeaient belle. Il m'arrivait souvent d'être écoeuré par ma graphie, que je trouvais, pour reprendre un mot de Sartre à propos de la sienne "gluante de tous mes sucs".
Difficile parce que s'il s'agit d'une autobiographie, c'est avant tout un livre d'aventures - Claude Lanzmann aimait passionnément la vie - "Je ne suis ni blasé ni fatigué du monde, cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas." Et dans ces 757 pages, un homme raconte non pas sa vie mais ses vies, et Dieu sait qu'elles furent au moins au nombre de cent !

Cet hymne à la vie s'ouvre sur un cauchemar récurrent de l'auteur, cauchemar qui a trait à la guillotine...
"La guillotine - plus généralement la peine capitale et les différents modes d'administration de la mort - aura été la grande affaire de ma vie." Et lorsqu'on pense à - SHOAH -, mais pas que... on comprend ces cauchemars "prémonitoires".
Ce "fou de la vie" qu'était CL, il l'exprime d'entrée à travers le titre et son animal totem, le lièvre, le lièvre qui parvenait à s'enfuir des camps de concentration, le lièvre qui réussit à échapper aux roues meurtriètres du bolide de Lanzmann sur une route de Patagonie, ce lièvre qui, enfin, ne sera jamais rattrapé par la tortue. Et ce lièvre il le célèbre grâce à un texte pré-avant-propos - La liebre dorada, "Le lièvre doré" – de Silvina Ocampo dans lequel ..." Un jour il s'arrêta comme à l'accoutumée, à l'heure où le soleil donnant à pic empêche les arbres de faire de l'ombre, et il entendit aboyer non pas un chien, mais beaucoup de chiens, dans une course folle à travers la campagne. D'un bond le lièvre traversa le chemin et se mit à courir. Les chiens le prirent en chasse dans la plus grande confusion. "Où allons-nous?" criait le lièvre d'une voix tremblante, vive comme l'éclair. " À la fin de ta vie", criaient les chiens d'une voix de chien."
C'est on ne peut plus éloquent !

Claude Lanzmann naît en 1925 dans le 12ème arrondissement de Paris dans une famille aux origines juives, mais "grandit sans l'ombre de l'ombre de quelque éducation juive que ce soit, ni religieuse, ni culturelle." Son père Armand Lanzmann épousera Pauline, dite Paulette, Grobermann. de leur union naîtront Claude, Jacques et Évelyne ( dite Évelyne Rey, comédienne célèbre... que je voyais à la télé dans les années 60 en ignorant tout de sa parenté avec ses deux frères dont les trompettes avaient pourtant déjà claironné la renommée...)
Ses parents divorcent en 1934.
Les enfants vont vivre avec leur père à Brioude en Haute-Loire, avant de retourner à Paris où ils retrouveront Paulette qui vit avec Monny de Boully, un poète franco-serbe.
Claude Lanzmann va nous conter l'histoire très riche, très aventureuse, romanesque et quasi cinématographique de ses grands-parents paternels et maternels, son enfance chaotique, ses études de philosophie, sa participation militante et combattante à la Résistance, son entrée dans le journalisme, sa collaboration à des journaux comme France Dimanche, France-Soir, Elle, le Monde et surtout Les Temps Modernes.
Son amitié avec Jean Cau, son exil berlinois en 1947 au cours duquel il occupe un poste de lecteur à l'université libre de Berlin, sa rencontre avec Sartre et ses sept années de vie commune avec " le Castor", plus connue sous le nom de Simone de Beauvoir, ses voyages en Israël, pays auquel il va "viscéralement s'attacher", et bien entendu les douze années consacrées aux neuf heures et demie de projection que contera - SHOAH -, neuf heures et demie sur plus de trois cents heures d'interviews et de pellicule... ( c'est passionnant !)
Comme je l'ai dit précédemment, il est impossible de faire un billet sur les cent vies de Claude Lanzmann. Toutes les pages consacrées à sa soeur fourmillent de tant d'infos, tant d'anecdotes, tant de noms, de dates, d'évènements personnels - sa liaison avec Sartre entre autres -, mondains, historiques - je pense à la guerre d'Algérie -, son suicide après un brillant documentaire réalisé en Tunisie... que ça rend l'intention dissuasive... Et que dire de ses sept années de cohabitation amoureuse avec Simone de Beauvoir...sinon qu'il faut lire le livre pour m'éviter le piège d'un résumé qui tomberait dans un développement aussi long et rébarbatif qu'idiot.

J'ai dit hymne à la vie à travers les cent vies de Claude Lanzmann. Il me faut rajouter ou du moins insister sur le fait qu'on a autant affaire à une autobiographie qu'à un livre d'aventures.
Que l'écriture dictée est d'une très grande qualité syntaxique, lexicale, que la pensée est riche, profonde et dense.
Que l'érudition colle au récit mais sans matuvuisme.
Pour être honnête, je ne peux pas ne pas faire mention de deux éléments dérangeants dont Claude Lanzmann s'est délesté en les ignorant : je veux parler des scandales sexuels au coeur desquels se sont retrouvés Simone de Beauvoir ainsi que l'auteur.
Je n'en dirai pas plus. Pour ce qui est du "Castor", ils sont aujourd'hui connus et documentés. Pour Claude Lanzmann, ils sont un peu plus "opaques".

Cela étant, - le lièvre de Patagonie – est un livre remarquable que je ne peux que recommander. Un homme qui a compté dans cette seconde moitié que fut le XXème siècle le raconte. On y croise L Histoire, la littérature, la politique, l'élite, la famille, le quotidien... c'est totalement subjugant.

"J'aime les lièvres, je les respecte, ce sont des animaux nobles... S'il y a une vérité de la métempsychose et si on me donnait le choix, c'est, sans hésitation aucune, en lièvre que je voudrais revivre."

PS : j'avais pris une foultitude de notes, répertorié des citations, sélectionné des passages... chemin faisant, j'ai renoncé à faire de ce résumé un exposé.
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