Il est exactement deux heures de l'après-midi à l'horloge de la place des Epices ce lundi 3 décembre quand s'élève dans le ciel de Bhopal la fumée du premier bûcher réduisant en cendres ceux auxquels la "belle usine" de Carbide avait promis d'apporter bonheur et prospérité. Soufflant maintenant du sud, la brise chasse les derniers effluves de gaz mortel pour les remplacer par une odeur encore plus horrible. L'odeur de la chair grillée.
"Tu baisses la tête, tu l'écraser, tu supportes tout, lui avait-on dit. Tu rengaines tes rancœurs contre l'usine qui empoisonne ton puits, l'usurier qui te saignes, les spéculateurs qui font monter le prix du riz, les gosses de tes voisins qui t'empêchent de dormir en crachant leurs poumons toute la nuit, les partis politiques qui te sucent et se foutent de toi, les patrons qui te refusent du boulot, l'astrologue qui te demande cent roupies pour te dire si ta fille va se marier. Tu acceptes la boue, la merde, la puanteur, la chaleur, les moustiques, les rats, la faim. Et puis, un jour, bang ! Tu trouves un prétexte et l'occasion t'est donnée de crier, de casser, de cogner. C'est plus fort que toi : tu fonces!"
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Des prélèvements effectués par une équipe de Greenpeace en décembre 1999 autour des anciens ateliers révèlent la présence de taux de tétrachlorure de carbone six cent quatre-vingt-deux fois plus élevés que la dose maximale acceptable, et de taux de chloroforme et de trichloréthylène respectivement deux cent soixante et cinquante fois supérieurs à la dose tolérée.
les affiches énuméraient tous les accidents qui s'étaient produits, les violations répétées des lois du travail, les entorses dans l'application des normes de sécurité.
Chaque jour, ces aéronefs de papier et de chiffons faisaient monter vers le ciel les rêves d'évasion et de liberté de tout un peuple d'emmurés.
Dans l'extrême détresse, il n'y a plus de distinction de religion, de caste, d'origine. Très vite, pourtant, le sordide côtoie le sublime. Alors que Rajiv Gandhi vient d'annoncer à la radio que toutes les familles seront indemnisés pour la perte d'un des leurs, on commence à se disputer les cadavres.
Il était toujours au courant de la moindre nouvelle, du plus infime ragot. C'était lui le journal, la radio, la gazette de l'Esplanade noire.
Après tout c'est le sort des ingénieurs chimistes de côtoyer leur vie durant des produits dangereux. Il faut apprendre à la respecter, et surtout les connaître et savoir les manipuler. Si vous faites une erreur, il y a peu de chance qu'ils vous pardonnent.
on n'entre pas au paradis demain, ni dans dix ans. on y entre aujourd'hui quand on est pauvre et crucifié.
"Dans un récit haletant, Dominique Lapierre et Javier Moro nous livrent le résultat d'une enquête qu'ils ont menée pendant trois ans sur ce drame... Cette tragédie n'était plus qu'un vague souvenir. Avec ce livre, elle revêt le plus poignant des visages humains." Jean-Marc Bastière, Le Figaro Magazine