Ce tome regroupe les épisodes de la minisérie originelle consacrée à Savage Dragon, initialement parus en 1992, écrits dessinés et encrés par
Erik Larsen. Ce dernier explique dans l'introduction qu'il a retravaillé ces 3 épisodes en réorganisant les séquences par ordre chronologique, et en ajoutant des pages pour étoffer les transitions et rendre la narration plus fluide. La mise en couleurs a été réalisée par Gregory Wright,
Steve Oliff et Reuben Rude.
Dans un terrain vague, un individu nu à la peau verte avec une crête sur la tête est la proie des flammes. À son réveil à l'hôpital, le lieutenant de police Frank Darling se trouve à son chevet. Savage Dragon est amnésique, il n'a aucune idée de qui il est. Il se trouve à Chicago. La ville est la proie d'une vague de crimes divers et variés perpétrés par des supercriminels. Après un attentat, Savage Dragon accepte l'offre du lieutenant Darling et rejoint les forces de police de Chicago pour lutter contre cette super-délinquance. Ça tombe bien parce que les superhéros ne courent pas les rues de Chicago.
En 1992, 7 créateurs quittent
Marvel Comics pour fonder leur propre maison d'édition et créer leurs propres personnages dont ils conserveront chacun la propriété intellectuelle : Jim Lee (WildCats), Jim Valentino (Shadowhawk),
Rob Liefeld (Youngblood),
Todd McFarlane (Spawn),
Marc Silvestri (Cyberforce),
Whilce Portacio (Wetworks) et
Erik Larsen. le premier constat en termes de qualité est celui de la déception. Tous ces auteurs ont voulu s'émanciper de la tutelle des responsables éditoriaux, mais aussi des scénaristes. Or il s'agit de dessinateur à la base. À la première lecture à l'époque, j'avais été déçu par le ton dérivatif et bas du front des premiers épisodes de "Savage Dragon". Mais 20 ans plus tard, j'apprécie beaucoup l'ironie moqueuse qui se dégage de cette série (la parution en recueils a repris à partir du numéro 139 dans United we stand). Cela méritait une relecture.
Côté dérivatif, le lecteur est servi dès le départ. Savage Dragon est une armoire à glace, doté d'un torse d'une largeur impossible de muscles hypertrophiés dans les bras (le biceps plus gros que la tête, et pas qu'un peu), résolvant tous ses problèmes en tapant dessus plus fort, avec une capacité de guérison qui lui permet de récupérer des blessures les plus graves en un rien de temps. En plus, il est cool parce qu'il porte des lunettes de soleil. Savage Dragon est donc une collection de clichés à lui tout seul, avec une résolution des conflits identique à chaque fois (taper sur l'ennemi de plus en plus fort jusqu'à la victoire). D'ailleurs au cours de cette histoire, le lecteur se retrouvera au milieu d'un combat entre 2 superhéros (Savage Dragon contre Badrock de Youngblood) pour une raison débile, ou face à un ersatz de Doctor Doom, ou encore face aux Nixed Men (version idiote des Next Men de
John Byrne). Enfin c'était l'époque où les fondateurs d'Image Comics avaient la vision d'un univers partagé et modulaire, donc Savage Dragon rencontre d'autres membres de Youngblood, et Spawn est aperçu devant un vendeur de téléviseurs.
À y regarder plus près,
Erik Larsen reproduit également plusieurs clichés visuels spécifiques aux superhéros. Cela commence par les grosses bastons avec coups de poing titanesques, les costumes ridicules des supercriminels (jusqu'à la culotte rentrant dans les fesses des supercriminelles, façon string), les morphologies caricaturales (musculatures hypertrophiées pour eux, poitrines défiant la gravité et costumes très révélateurs pour elles). Cela continue avec des citations franches et massives de "postures pour impressionner" des superhéros, et aux mises en page de
Frank Miller (une case verticale de la hauteur de la page, avec des cases en drapeau sur la droite). Malgré tout la verve picturale éhontée de Larsen fait qu'on ne peut pas parler de plagiat, mais plutôt de citation, ou d'hommage en bonne et due forme.
En fait, au fil des séquences, il apparaît que Larsen se moque ouvertement de ces conventions propres au récit de superhéros. Cela commence avec Savage Dragon déclarant qu'il est hors de questions qu'il revête un costume moulant et criard comme ces clowns de Younblood. Cela finit en apothéose avec les Nixed Men, au travers desquels Larsen raille la méthode "
John Byrne", avec l'un des Nixed Men déclarant que ce groupe est composé des projets que Johnny Redbeard a abandonné en cours de route après les avoir recréés au nom du sacrosaint changement. Un lecteur familier des travaux de
John Byrne reconnaitra facilement les allusions à Sensational She-hulk et Namor.
Dérivatif oui, mais ersatz pas vraiment. Dans cette nouvelle forme réorganisée, le récit raconte au premier niveau l'histoire d'un individu très costaud souhaitant trouver une place dans la société (ici comme policier) et faisant son boulot avec passion. Dans une dichotomie Bien/Mal simpliste, il écrabouille les méchants, comme un policier luttant contre une criminalité destructrice. La verve de Larsen se perçoit dans le caractère outré des supercriminels, parfois leur bêtise, toujours inventif. Avec le recul, le nombre de personnages créés dans ces 3 épisodes est époustouflant : Cutthroat, Mako, Mighty Man, Overlord, Star, Arachnid, Ann Stevens, Superpatriot, sans oublier les Nixed Men. Chaque personnage dispose d'une apparence mémorable, de caractéristiques qui le distinguent aisément. Derrière la composante parodique, derrière la façade moqueuse,
Erik Larsen invente un monde très riche, et raconte une histoire qui tient la route au premier degré. Ses dessins sont inventifs et expressifs, capables aussi bien de porter la moquerie avec des personnages énormes, que l'horreur premier degré avec Arachnid et ses victimes dans les égouts.
Dans un premier temps, le lecteur se délecte des actions de Savage Dragon, très viril, plus fort que tout, pince-sans-rire, sauveur providentiel et efficace, alpha-mâle dans toute sa splendeur monolithique et primaire. Petit à petit, le lecteur prend en pitié cet individu sans racine, payant cher le prix de ses actions, sans que son abattage de supercriminels semble notablement améliorer la situation.
Finalement
Erik Larsen se révèle un conteur plus fin que prévu, racontant une histoire de superhéros bien ficelée, tournant en dérision les conventions les plus ridicules des superhéros, brocardant quelques professionnels, faisant naître l'empathie pour ses personnages, aussi énormes soient-ils. le lecteur peut à la fois se divertir de cette violence gratuite, inventive et sadique, s'impliquer dans le sort du héros, et trouver un deuxième niveau de lecture dans plusieurs séquences. Les aventures de Savage Dragon continuent dans A force to be reckoned with (épisodes 1 à 6). Les débuts de la série ont également été réédités en noir & blanc dans Savage Dragon Archives volume 1 (minisérie + épisodes 1 à 21).