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Critique de Eric75


Eric75
17 septembre 2012
Grâce à un récit émaillé de renvois vers des notes accumulées en fin de volume (représentant au total une petite centaine de pages), extrêmement fouillé et documenté, mais restant agréable à lire, on suit avec intérêt les déboires de William E. Dodd, ambassadeur américain, et de sa fille Martha, envoyés en 1933 par Roosevelt au coeur du régime nazi. On découvre comment la famille Dodd va réagir et évoluer face à l'installation de la dictature en Allemagne et à l'inéluctable ascension d'Adolf Hitler.
Cette année là, Franklin D. Roosevelt a un problème. Bien plus préoccupé de politique intérieure et de New Deal, supposé rétablir l'économie du pays en crise, il doit désigner le nouvel ambassadeur d'Allemagne, car le poste est vacant. En dernier recours, faute de candidats volontaires ou disponibles, le poste est proposé à William E. Dodd, un obscur universitaire de 64 ans d'origine paysanne enseignant l'histoire à Chicago, dont le rêve secret est de trouver un emploi de fin de carrière plus pépère, pour pouvoir achever tranquillement la rédaction de son livre sur le « Vieux Sud ». Cool ! Pourquoi pas Berlin ? s'interroge Dodd, ces Allemands sont des types biens, extrêmement cultivés. Il se remémore avec un brin de nostalgie ses années estudiantines passées à Leipzig. Pourquoi pas Berlin ? se demande également sa fille, c'est l'occasion inespérée de larguer mon mari et mes amants qui me collent aux basques et de faire la connaissance de tous ces beaux mecs en uniforme qui participent au redressement de leur pays. Comme on va le découvrir bientôt, la fille de l'ambassadeur est un peu nunuche et un peu nympho, elle parviendra à se taper : des américains, des nazis, un chef de la gestapo, un français, un russe… et j'en passe ! Tout ça sur l'air entraînant du Horst-Wessel-Lied !
Passons sur la suite du récit, abondamment décrite ici ou ailleurs dans d'autres critiques, que nous pourrons bientôt découvrir sous la forme d'un film-de-et-avec-Tom-Hanks (dans le rôle de William E. Dodd) mettant en scène Nathalie Portman (dans le rôle de Martha).
On ne pourra que s'extasier devant le travail colossal accompli par Erik Larson qui a fouillé des montagnes d'archives à la recherche de la moindre lettre, du moindre témoignage, traquant les bribes de phrases, les descriptions vestimentaires, le contenu de placards, afin de connaître la quantité de vaisselle et de rince-doigts disponible lors des pince-fesses de l'ambassade (on n'échappera pas à cet inventaire qui est peut-être de trop mais illustre bien le souci du détail de l'auteur, confinant parfois à la maniaquerie).
On naviguera à vue en tentant de suivre les sinuosités des parcours intellectuel, politique et amoureux de Martha Dodd, qui dans chacun de ces trois domaines ne recule devant rien et mélange habilement tous les critères pour décider, en bonne girouette, le sens du vent.
On s'étonnera de l'aveuglement des chancelleries occidentales face à l'avènement du führer, qui a d'abord été pris pour un clown, et dont l'Allemagne allait, pensait-on, se débarrasser vite fait, après avoir pris la mesure du danger et avant qu'il ne puisse mettre en application ses thèses démentes à l'origine des millions de morts de la seconde guerre mondiale.
On réfléchira, enfin, à l'isolationnisme de Roosevelt et du département d'Etat, peu attentifs à l'antisémitisme et à la nazification, aux bruits de bottes, à la « mise au pas » (Gleichschaltung) de l'Allemagne, hypocritement rassurés par la « volonté de maintenir la paix et l'ordre » exprimée par Hitler malgré les signes évidents de réarmement, et uniquement préoccupés, en gros, par le remboursement aux créanciers américains de la dette allemande (ne nous fâchons pas avec ce caractériel, sinon on ne reverra jamais notre pognon, semblent penser les « vrais » diplomates de l'époque, opposés à l'idéalisme naïf et dérangeant de ce parvenu de Dodd).
La manipulation, la purge et les atrocités commises par Hitler et ses sbires pendant la Nuit des Longs Couteaux, à l'ambiance minutieusement restituée par le style aiguisé de l'auteur, seront parfaitement acceptées par la population allemande désormais mise au pas, et condamnées pour la forme par les puissances étrangères pétrifiées dans l'inaction. Dans le Jardin de la bête, en ce 20 juin 1934, les longs couteaux sont sortis, et le sang n'a pas fini d'être versé…
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