Cette idée de ne plus jamais refumer de ma vie m'attristait, je dois en convenir, et c'est empli d'une douce nostalgie que je répondis :
- J'ai tout de même l'impression d'avoir perdu une partie de moi-même.
- La plus dangereuse, Fabrice, me répliqua ma femme avec gravité.
Pouvait-elle comprendre que mes paquets m'avaient accompagné toute ma vie, que mes cigarettes étaient mes amies fidèles, toujours à portée de main quand j'avais besoin d'un réconfort. Je venais de divorcer de cette compagne, sans accord mutuel. J'aurais souhaité une sorte de compassion, une minute de silence. p.104
Si je devais me pencher sur ma vie, au risque d'en éprouver un certain vertige, je dirais qu'avant les événements qui la bouleversèrent j'étais un homme sans histoires, presque banal.
J'avais une femme, une fille, un métier dans lequel j'étais connu et reconnu et un casier judiciaire aussi vierge qu'une feuille de Canson achetée chez un marchand de couleur. Quelque temps plus tard, on tenta de m'évincer de mon poste, ma femme me quitta, et j'avais quatre meurtres à mon actif. Ce parcours atypique, s'il me fallait le résumer en une formule accessible au plus grand nombre, je dirais que tout cela est "une histoire de cigarettes. p.11
Le plaisir de boire un bon vin, le plaisir de faire l’amour, le plaisir de fumer bien sûr, mais aussi le plaisir de se baigner sous le soleil dans une jolie piscine, le plaisir d’un bon repas dans un bon restaurant, le plaisir d’un beau paysage, le plaisir d’aimer tout simplement."
J’avais invité ma femme et ma fille au restaurant le Jules Verne pour fêter l’événement. Ce soir-là, perché au-dessus des toits de Paris, un excellent cognac à la main, j’avais cédé.
Dans notre métier, nous touchons l’équivalent de deux mois du salaire de notre cible si celle-ci fait l’affaire, et ce supplément n’est pas sans importance dans l’intérêt que nous pouvons porter à certains dossiers et à leur réussite.
Un mois s’était écoulé depuis le dîner avec Michel Vaucourt. La prime de trente-six mille euros que m’avait rapportée le changement d’une tour sur le grand échiquier des entreprises m’avait mis en joie.
Je m’étais rendu à l’adresse indiquée, rue Lamarck, et avait regardé mon reflet sur la plaque dorée flambant neuve, Marco Di Caro – Hypnose, avant de gravir les escaliers des six étages. Sixième droite. J’appuyai sur la sonnette, qui n’émit aucun son. Un léger bourdonnement puis la porte s’ouvrit. Posé sur une commode, un carton illustré d’une petite main me conduisit à la salle d’attente, une pièce aux murs fraîchement repeints, sans tableaux, meublée d’un grand canapé, deux chaises et une table basse, où s’étalaient plusieurs exemplaires de Libération et diverse brochures. Le soleil de cette fin d’après-midi inondait le parquet. Dans ce confortable canapé en velours vert, un café, un cendrier et une cigarette ‘auraient fait passer un moment parfait.
C’est donc dans ce cabinet que devait s’achever ma vie de fumeur.
Ma femme était une sainte qui subissait un tyran fumeur, une sorte de dragon d'appartement parfaitement invivable, qui brûle tout sur son passage : rideaux, velours des canapés, coussins, moquettes ; sans compter la teinte des voilages. Jaunes au lavage !
- Oui, oui ! acquiesça avec frénésie la femme de Michel Vaucourt. Et le plafond ? Jaune, lui aussi ! Et pareil pour les carreaux !
Je me mis à fredonner Yellow submarine.