Elle est insolite cette petite danseuse, affichant un calme détaché, une nonchalance étudiée, les mains jointes dans son dos. Sculpture habillée de vrai tulle, je me souviens de notre première rencontre, au
Jeu de Paume qui abritait alors les impressionnistes. Elle et Olympia m'avaient ce jour de sortie scolaire subjuguée par leur présence évidente, naturelle.
Alors depuis la rentrée (littéraire), je tourne je vire j'hésite autour de ce bouquin. Est-il bien nécessaire de décrypter encore une trajectoire d'artiste,
Edgar Degas, l'origine d'une oeuvre d'art aussi célèbre soit-elle, la sculpture de
la Petite Danseuse de quatorze ans, achevée en 1881 ?
Si vous lisez ce billet, c'est bien sûr que j'ai craqué. Il faut dire qu'une exposition « Degas Danse Dessin » commence aujourd'hui au musée d'Orsay (un des mes préférés), que la danse m'a toujours passionnée, et surtout, après
Celle que vous croyez, son dernier roman très apprécié, j'avais envie de lire
Camille Laurens dans un autre registre.
Résultat : un texte court et passionnant, fruit d'une véritable enquête de plus de deux ans extrêmement bien documentée.
Camille Laurens est partie sur les traces ténues de Marie van Goethem, petit rat inconnu à l'Opéra de Paris, qui fût le modèle pour cette sculpture, tout en s'efforçant, elle le précise en fin d'ouvrage, « de ne pas séparer le modèle de l'artiste, d'attraper si possible un peu de leur lien, d'où est né l'une des grandes oeuvres modernes. »
L'intérêt de ce récit est double. Il est à la fois très érudit ET néanmoins personnel, sans doute parce que au-delà de l'étude sociologique du milieu de la danse au XIXe siècle, du destin couramment tragique des danseuses le plus souvent réduites à se prostituer pour survivre, l'auteur éprouve une affection particulière pour Marie, pour sa pénible vie minuscule. « Chaque détail prend une place démesurée dans l'esprit, tout fait signe comme dans une histoire d'amour, tout est matière à interprétation, à obsession. »
C'est aussi ce qui fait que ce récit est original, prenant, comme le fut cette sculpture en son temps, dérangeante et résolument moderne.
Je sais que la petite danseuse m'attend à Orsay. Je sais aussi que je ne la regarderai plus de la même façon grâce à vous Madame Laurens. C'est bien cela, le pouvoir de l'art, déranger, faire réfléchir, emmener plus loin, émouvoir.