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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Tony Chu, détective cannibale, tome 8 : Recettes de famille (épisodes 36 à 40) qu'il faut avoir lu avant. Il faut impérativement avoir commencé par le premier tome, car il s'agit d'une histoire complète en 12 tomes. Il comprend les épisodes 41 à 45 et le numéro spécial Chew: Warrior Chicken Poyo, initialement parus en 2014, écrits par John Layman, dessinés, encrés et mis en couleurs par Rob Guillory.

Tony Chu et Amelia Mintz se sont rendus à Las Vegas pour y faire ce que tout le monde fait, et non il ne s'agit pas de jouer aux machines à sous. John Colby est également présent pour y faire la même chose avec l'un de ses amoureux. Mais c'est aussi le lieu du congrès annuel de la Food and Drug Administration, et il ne faut pas longtemps pour que les affaires rattrapent ces 2 agents, avec une nouvelle mission imposée par l'inimitable Mike Applebee, l'homme aux auréoles de sueur permanentes. Cette fois-ci, il faut retrouver le professeur Anazani Lima, inventeur d'un projecteur de fudge, utilisé comme arme de poing.

Poyo continue d'être envoyé dans des missions étranges, la première nécessitant de se battre contre un monstre appelé Unisauras-Rex. Dans l'épisode qui lui est consacré, il sauve le président des États-Unis, puis se retrouve dans une dimension de type médiéval où il devient le Poulet Guerrier Poyo. Pendant ce temps-là, Mike Appelbee continue de choisir des missions gratinées pour Tony Chu, en commençant par faire équipe avec Babycakes, un écureuil cybernétique. John Colby fait à nouveau équipe avec Mason Savoy. Ils sont sur la trace du Collecteur, et ils entraînent avec eux Olive Chu, la fille de Tony Chu.

Rob Guillory & John Layman ont mal habitué son lecteur : il sait que chaque tome apporte son lot de loufoqueries irrésistibles, d'enquêtes décalées, de personnages attachants, d'inventions de capacités liées à la nourriture totalement incroyables, et d'actions d'éclat de Poyo. Effectivement ce nouveau tome contient tout ça et même plus encore. le lecteur retrouve les missions délirantes de Poyo, contre des créatures hallucinantes, attestant de l'imagination de sans borne des auteurs, avec une surenchère dans le superlatif et le slogan choc, dans un second degré qui se moque tant de la vantardise du dessin en double page, que de l'exagération coutumière dans les comics, initiée et peaufinée par Stan Lee au début de Marvel. le numéro spécial consacré à Poyo propose une intrigue bien réelle, même si très linéaire, permettant aux 2 auteurs de parodier quelques récits classiques comme le Seigneur des Anneaux, ou le lion, la sorcière blanche et l'Armoire Magique, en 1 case à chaque fois. le lecteur attentif peut même identifier le temps d'une case Carl et Rick Grimes, avec Michonne.

Comme à chaque tome, les auteurs présentent aux lecteurs de nouveaux pouvoirs loufoques basés sur la nourriture : l'art de lire l'avenir dans les noodles, ou encore le Zandhou Wei (= le croisement entre l'art culinaire et l'art de la guerre). le lecteur s'amuse à découvrir ces capacités improbables, tout en sachant que la probabilité pour qu'elles reviennent par la suite est inversement proportionnelle à l'improbabilité de la capacité. Impossible de résister à la mention d'un individu qui voit sa force physique augmenter quand il mange des épinards (il est possible d'apercevoir une ancre de marin sur son biceps). Comme à son habitude, Rob Guillory représente l'utilisation de ces pouvoirs sur un mode comique, avec une belle exagération, indiquant par-là que les auteurs sont conscients de la dimension absurde, tout en indiquant de manière littérale les blessures occasionnées, ainsi que la destruction engendrée par ces pouvoirs. Il arrive à combiner la dimension narrative au premier degré et l'exagération comique sans que l'une ne vienne neutraliser l'autre, ce qui est très, très fort. Cette réussite tient au fait que le scénariste a développé des personnages auxquels le lecteur s'est attaché, ainsi qu'au fait que chaque dessin conserve une utilité narrative, et qu'aucun ne constitue exclusivement un gag.

Ce tome contient tout autant de gags que les précédents, avec à la fois du comique de répétition et des nouveautés. le lecteur a donc l'honneur de découvrir la famille du directeur Applebee. Non seulement les auréoles sous les bras de ce dernier sont indélébiles et systématiques, sapant ainsi tout début de commencement de crédibilité qu'il pourrait avoir (et il n'en a aucune), mais en plus il semblerait que ce soit génétique. Comme précédemment, l'artiste ne s'attache pas à entrer dans le détail de cette sudation excessive localisée : juste un trait irrégulier pour en marquer le contour, et une couleur un peu plus foncée. Mais le lecteur sait qu'il retrouvera cette caractéristique et cela suffit pour qu'elle lui saute aux yeux à chaque fois. Contre toute attente, Mike Applebee n'est pas réduit à un simple ressort comique systématique, il lui reste une petite dimension humaine (assez faible par rapport à d'autres personnages) du fait de l'amour que lui porte un autre personnage de premier plan. C'est encore une preuve manifeste du savoir-faire des auteurs.

En termes d'enquêtes décalées, le lecteur est également servi avec les combats d'une brutalité aussi sadique que brève (un dessin en double page à chaque), le meurtre de l'agent spécial Sammich J. Harper (un phoque avec des implants cybernétiques), la mort d'un pingouin avec des implants cybernétiques, ou encore la disparition du professeur Newton Figliomini. Les épisodes présentent une variété d'enquêtes à faire tourner la tête. John Layman arrive malgré tout à faire avancer l'intrigue qui sert de fil rouge : l'interdiction de consommer de la viande de poulet et la recherche du Collectionneur, ce mystérieux individu qui ressemble à un vampire. Il n'oublie pas non plus de développer les nombreux personnages. Tony Chu est à nouveau opérationnel, et il a retrouvé son petit caractère, ce qui le rend parfois hargneux quand il prend conscience que la mesquinerie de son chef le contraint à des missions à l'intérêt douteux.

Les personnages secondaires ne sont pas en reste avec quelques scènes pour John Colby, pour Olive Chu, pour Mason Savoy, et bien sûr pour Poyo dans l'épisode qui lui est consacré. Rob Guillory déploie son talent habituel qui fait que le lecteur identifie du premier coup d'oeil chaque personnage et se remémore facilement qui il est, grâce à ses caractéristiques graphiques. Pourtant le nombre de personnages secondaires se compte en dizaines, dont une dizaine pour les membres de la famille Chu. Il continue d'accentuer le langage corporel et d'exagérer les expressions des visages à des fins comiques, tout en leur conservant une utilité dans 'histoire racontée, toujours avec ce dosage incroyable qui permet d'accomplir les fonctions. Par exemple la réaction de John Colby et Mason Savoy permet de bien comprendre comment ils estiment les capacités opérationnelles d'Olive Chew.

Le lecteur prend donc un grand plaisir à découvrir ces 6 nouveaux épisodes, avec également des séquences d'actions incroyables, parfois plausibles, parfois exagérées au point d'en devenir impossibles, mais c'est un parti pris narratif cohérent depuis le début de la série. Là encore, Rob Guillory fait des merveilles pour donner l'impression du mouvement, pour faire ressortir les prouesses physiques, et pour en faire apparaître la dimension comique et absurde quand elles s'y prêtent (la force impossible de Poyo ou la grâce impossible de Mason Savoy, faits déjà attestés antérieurement). Pourtant le lecteur peut être sujet à une certaine frustration qui s'installe au fil des séquences. En effet il voit passer beaucoup de personnages, plus d'une vingtaine réguliers. Pour certains, il aimerait bien profiter un peu plus longtemps de leur présence. Il est dommage qu'Amelia Mintz n'ait pas la possibilité d'exister un peu mieux, que sa personnalité n'apparaisse pas dans ses réparties. le lecteur voit passer trop rapidement l'Agent Vorhees dont il garde également un bon souvenir. Il aurait aussi apprécié que le chef Chow Chu ait droit à plus d'une case, qu'il ait le temps de pendre de ses nouvelles. Cette frustration demeure avec le retour de Paneer Sharma qui a droit à plus de temps d'exposition, mais qui reste également à l'état de simple dispositif narratif.

Bien sûr, il serait malhonnête de dire que ce tome marque une baisse de qualité de la série, ou une baisse d'implication de ses auteurs. Les moments énormes fusent avec une régularité impressionnante, qu'il s'agisse de savoureux clins d'oeil, comme la trace de Kool Aid Man, ou ces 3 étranges créatures que sont Crack, Snaple et Pop, les mascottes d'une célèbre variété de céréales pour le petit déjeuner. Parmi ces moments, certains appartiennent au registre humoristique comme ceux cités précédemment, d'autres relèvent d'une forme subtile d'horreur, comme lorsque Poyo extrait le squelette de son adversaire, une personne coupée en deux qui continue d'avancer en rampant, ou Tony Chu qui goûte du sang tombé d'un brancard emmenant un de ses proches. Mais comme il arrive de temps à autre, à force de vouloir trop en mettre, le lecteur peut ressentir comme une forme de papillonnage qui nuit à l'empathie avec les personnages qu'il a appris à connaître, avec lesquels il a tissé des liens affectifs.
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