Son envie de mourir était comme une envie de dormir, de disparaître. En regardant couler les eaux noires, Tape arriva à la seule conclusion susceptible de tout résoudre. Remonter le fil du courant pour revenir sur les événements et les annuler. Certes, il savait la tâche pour une part impossible, mais il pouvait au moins en interrompre le cours et reprendre sa liberté.
Un type l'aborda peu après. Il le suivit vers un fourré et se laissa faire. L'homme lui sourit en lui tendant un billet qu'il prit machinalement. Le type s'éloigna à pas vif. Tape remonta son pantalon, écœuré de s'être prêté à ce jeu pour lequel il n'éprouvait aucun plaisir mais qu'il se sentait obligé de faire.
Les autres pièces révélaient des tableaux proches. Une image de misère, d'abandon. Une cours des miracles reléguée dans les limbes d'une société riche et indifférente. Ils avaient choisis de disparaître plutôt que de se battre pour exister.
Si j'étais sociologue, je ferais une étude sur les relations dans les cafés, ou même sur tout ce qui se passe dans un café au long du jour.
Il se rendait compte des aspirations des jeunes squatters. Il y avait trop de cassures dans leur histoire pour que leur pensée n'en porte pas les traces.
Il vivait dans l'instant. Le passé, pour lui comme pour les autres squatters, était une forme de l'oubli. L'avenir, autrefois si difficile à envisager, commençait à prendre corps ses yeux. Il essayait de ne pas penser à autre chose. Son aspiration passionnée était de devenir normal et de se fondre dans la foule.
Ailleurs, certains journaux, au Brésil, en Grande-Bretagne, auraient publié les photos les plus sordides du meurtre, éventuellement un gros plan montrant l'impact de la balle, ils auraient saisi le visage de l'homme emporté dans la mort et affiché à la une les images des proches effondrés.
La sobriété de la photographie montrait seulement l'absence et elle était terrible. Elle ne donnait pas un visage à la mort, elle la laissait planer sur les tables vides et les tasses abandonnées. Elle ne saisissait pas le crime mais un lieu où le crime se dissimulait, c'est-à-dire partout, sur n'importe quelle terrasse de café, là où n'importe quel lecteur pouvait s'asseoir pour lire son journal.
Le monde des squats changeait chaque jour. Ces jeunes ne vivaient ni le temps ni l'espace, mais l'éphémère. Ils restaient dans le passage, tant qu'ils ne trouvaient pas une attache. Mais cela pouvait durer longtemps, et parfois même sans autre fin que la mort.
L'un des secrets de l'existence tenait peut-être à ces moments de détachement où l'on regardait le monde dans les yeux, avec tranquillité, se sachant réel et vivant.
Luc était mort. Il aurait éternellement six ans. Son père qui ne dissimulait pas sa préférence pour son fils, frappa violemment Laura en lui reprochant d'avoir laissé son frère mourir sans rien dire. Personne s'interposa pour le rappeler à plus de modération. La police, les pompiers posèrent des milliers de questions. Ensuite il y eut l'absence de Luc, la souffrance de sa mère, le père réfugié dans l'alcool, le couple battant de l'aile.