Dix rêves de pierre

Ses enfants n'ont pas eu de funérailles. N'étant pas baptisés, ils n'avaient pas droit à la terre consacrée. Le premier, on ne savait pas où le mettre, c'était affreux. Pour finir, c'est elle qui a choisi un recoins ombragé au parc. pas trop loin de la maison. Là, elle a fait planter un hortensia - bleu, car c'était un garçon. Elle n'imaginait pas que l'année suivante il faudrait en planter un autre puis un autre... Six en tout - trois roses, trois bleus - qui forment à présent un massif énorme et mouvant. Elle ne pensait pas qu'ils grossiraient autant.

Elle ne veut rien du monde, aucun bruit, seulement elle et lui.

Oh, je ne suis pas naïve à ce point ! Croyez-moi, je sais bien reconnaître le mal quand je l'ai sous les yeux. Seulement, il me semble qu'il y a mieux à faire que s'y intéresser.

Cette conscience aiguë d'une perte irrémédiable le submerge soudain d'une tristesse infinie.
(P21)

Il les regarde penchés sur leurs tablettes de cire, le stylet à la main, si concentrés, si désireux de bien faire que c'en est émouvant. Il se demande s'il les aime davantage depuis qu'il a compris le lien qui les unit. Non, en fait. Avant cela, il les aimait deja autant qu'on puisse aimer.

On les chasse sans cesse ; ils reviennent toujours : qu’ils soient hommes, qu’ils soient chiens, ils savent qu’en fouillant patiemment les détritus, ils trouveront de quoi survivre – les riches sont si riches qu’ils ne savent plus ce qu’ils jettent ; ils sont généreux sans le vouloir.

Laissons-les dire - nous seuls connaissons le lien qui nous unit. Nous seuls savons combien cet amour est beau, combien il est doux et ardent. Et nous n'avons que faire du jugement des hommes.

Contre la force obscure qui, bientôt, va les emporter tous, il sourit. C'est sa victoire, la seule qui soit possible.

Toi qui lis ces lignes,
va aux bains d’Apollon,
Ce qu’avec ma femme j’ai souvent fait
et voudrais faire encore,
si seulement je pouvais.

Secrètement, elle attend encore un miracle - oh,bien sur pas un enfant vivant, cela, elle n'y croit plus. Elle s'est habituée, à force, à les voir mourir l'un après l'autre. Elle a accepté cette macabre routine comme une fatalité, une malédiction attachée à son corps dont aucune prière, aucune médecine ne pourront la délivrer. Lorsqu'elle dit à Dieu, me le laisserez-Vous, celui-la ? lorsque, inlassablement, elle le répète, les deux mains sur le ventre, pas un instant elle n'espère qu'Il lui permettra de mettre au monde un enfant vivant.
Elle n'en est plus là. Ce qu'elle espère de Lui, c'est un autre miracle.