C'est très simple, pour moi
Désert est un des grands romans du 20e siècle. Ceux qui me suivent savent que je ne suis pas porté sur les superlatifs mais cette fois-ci c'est différent.
Je vais essayer d'expliquer pourquoi.
Mais d'abord, une précision. Certains ont dit que ce roman est en rupture avec les précédents romans de le Clézio, qu'à l'écriture expérimentale a succédé un roman plus narratif. Il se fait que j'ai lu quelques-uns de ces romans précédents:
le livre des fuites,
La guerre,
Les géants, Voyage de l'autre côté, et les nouvelles de Mondo. C'est vrai qu'il y a là moins de narration que dans
Désert, mais la façon de dire les choses et les humains est celle qui se retrouvera dans
Désert. Il y a une continuité évidente dans sa façon de s'immerger dans les choses de la nature, dans les objets techniques, et aussi dans le comportement des humains, comme si
Le Clézio puisait dans la manière qu'il avait acquise.
L'originalité du style est déjà quelque chose de fondament
al. Mais par son point de vue sur le monde ce livre est encore plus essentiel. C'est à la fois le livre d'une disparition et celui d'une survivance. Dans l'histoire de Nour, une civilisation et une résistance disparaissent, elle se perdent dans les sables, dans une sorte de marche de la mort. La brutalité de la colonisation ne laisse plus de place à ceux qui voulaient vivre selon leur voie. Mais que cette résistance ait existé, qu'elle ait été portée par une spiritualité, par un rapport singulier au monde, et que le souvenir de tout cela soit ravivé, témoigne d'une permanence.
Il y a aussi les conséquences de la colonisation et de la modernité. C'est la ville de planches et de papier goudronné où vit Lalla. Heureusement elle s'en échappe pour fréquenter l'homme du
désert, le Hartani, ou passer du temps avec Naman, le vieux pécheur, sur la plage. C'est le contraste entre la pauvreté et la promiscuité du bidonville et les immensités de la mer et du
désert.
Et puis il y a la violence des rapports sociaux, du mariage, et l'émigration à Marseille. La misère sur les deux rives de la Méditerranée. Encore le contraste entre l'entassement et l'ouverture, l'oppression et la liberté, et la mort qui arrive à ceux qui veulent échapper à la hiérarchie établie.
Mais tout cela n'est pas du tout démonstratif. Cela se déduit des descriptions et des faits, de cette prose si singulière, que l'on pourrait même juger maladroite au premier abord, mais qui est si évocatrice quand on se laisse entrainer par elle.
Le Clézio nous plonge dans toutes les réalités du monde, naturel, technique, social. Il nous fait voir les choses de l'intérieur, nous permet de nous identifier à elles.
Ce roman aura bientôt 45 ans et il n'a jamais été aussi actuel. Il est ce dont nous avons besoin aujourd'hui.