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Critique de Pecosa


S'il fallait n'en lire qu'un ce serait celui-là, LE roman sur la vengeance, LE roman noir sur la guerre d'Algérie, LE meilleur roman écrit sur la ville de Bordeaux.
Dans les années cinquante, la ville se remet de la guerre, même si elle a laissé des traces sur les murs et dans les mémoires.
Le commissaire Albert Darlac, fasciste convaincu qui exècre la faiblesse et se place toujours du côté des plus forts, a su s'enrichir pendant la guerre entre marché noir et saisies. Jamais inquiété lors de l'épuration, il règne sur sa ville grâce à sa connaissance du milieu et des secrets les plus inavouables des notables du coin. Mais une silhouette fantômatique semble rôder autour de lui, surveiller sa famille, tuer des gens qui lui sont proches.
Darlac est un homme sans état d'âme qui n'a pas l'habitude qu'on le menace. Pendant qu'il met toute sa hargne et son réseau d'informateurs à la recherche d'une piste, les jeunes français reçoivent leur feuille de route pour l'Algérie. Daniel Delbos, dont les parents ont été assassinés à Auschwitz, travaille comme apprenti dans un garage et s'interroge. Pourquoi combattre? Doit-il déserter ou faire son devoir? le premier chapitre du roman, une scène d'interrogatoire musclé au cours de laquelle Darlac et ses sbires torturent un suspect, préfigure ce qui se déroule de l'autre côté de la Méditerranée. Les destins de Daniel, un amoureux du cinéma hanté par le souvenir de ses parents défunts et de Darlac, ogre dénué d'empathie semblent liés.
Inutile de dévoiler davantage l'intrigue complexe et la remarquable construction du roman, Après la guerre est le récit d'une vengeance obstinée dont la justice n'est pas le but. Ce beau roman sombre est rempli de personnages complexes, de belles figures féminines et de fantômes qui s'attachent aux semelles des vivants. On retiendra la pudeur et la délicatesse de le Corre lorsqu'il dit la déportation et le retour à la vie lorsque l'on préférerait être mort.
On retiendra aussi l'évocation de la guerre d'Algérie, si rare dans les romans français, l'arrivée des jeunes recrues sans tambour ni trompette alors que leurs parents se remettent difficilement du conflit précédent, leur quotidien, leurs craintes et leurs cas de conscience dans un conflit qui les dépasse: "Il aimerait bien aller parler avec eux, ces étudiants peinards, mais il ne sait pas ce qu'il leur dirait: la chaleur, la soif, les ampoules aux pieds, la peur, la poussière, la crasse, les insomnies, la bêtise, l'alcool, la solitude et les larmes et les sourires quand le courrier arrive, selon ce que racontent les lettres..." Après la guerre, c'est encore et toujours la guerre.
Impossible désormais d'oublier l'évocation sans concession de Bordeaux, surnommée autrefois "la belle endormie". La ville de l'oubli qui a préféré jeter le voile sur le commerce triangulaire, sur les exactions de Pierre-Napoléon Poinçot, chef de la Section des Affaires Politiques, auxiliaire zélé de la Gestapo qui torturait Cours du Chapeau-Rouge, sur le maire Adrien Marquet qui prônait la collaboration avec l'Allemagne nazie, s'est refait le pucelage en élisant le résistant Jacques Chaban Delmas à l'Hôtel de Ville. Au delà des façades XVIIIème et des demeures bourgeoises, Hervé le Corre ressuscite une ville qui n'existe plus, le port dont on a oublié qu'il fut autrefois si vivant, Bacalan, les Capus, Bordeaux et ses banlieues populaires dans une langue riche et dense saupoudrée d'un bordeluche jamais "folklorique" qui colle si bien à la réalité.
Un des plus beaux romans lus ces dernières années.
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