Une des grandes joies de mon histoire avec Morgane a quand même été une phénoménale dévastation de mon capital-confiance zob. Une nana qui désigne votre intimité par « limace » sait très bien comment vous faire du mal.
– Son nom c’est Rémus.
– Rémus… Je ne m’y ferai jamais à cette histoire de Rome antique… Il a un frère, ce petit loup ?
– Oui
– Il s’appelle comment ? Romulus ?
– Oui. C’est dingue ! Comment vous avez deviné ?
– J’arrive du futur. On a déjà eu cette conversation.
– C’est vrai ?
– Non
On utilise le mot « ténèbres » à tout bout de champ. Je peux vous dire que quand on y est plongé, c’est très angoissant. On avance comme on peut, mais essayer de percer cette noirceur avec un phare de mobylette revient à tenter d’éradiquer la faim dans le monde avec un paquet de Figolu.
Arrivé en haut des marches, je me rends compte que mon look et mon hygiène sont une source terrible de préjugés : les deux officiers en faction devant la porte me regardent comme si j'avais inventé la diarrhée.
On aurait dit le début de "La dame de Haute-Savoie" de Francis Cabrel. Déjà la version originale donnait des envies de se battre à un contre mille, mais alors l'arrangement pour tam-tam et clochettes... On doit passer ce genre de musique aux cinglés en camisole, quand les électrochocs ne font plus que les chatouiller.
– Dites-moi Rémus, j’ai un doute : les espèces d’oiseaux que vous exportez, c’est pas un peu de la contrebande ?
– Tout de suite les grands mots… Disons qu’on leur fait voir du pays. S’ils avaient tendance à devenir un peu pantouflards avec bobonne dans leurs petits nids, on leur redonne le goût du baroud et du sac à dos. Je remets un coup de polish à leur instinct migrateur quoi.
- J'ai rarement habillé quelqu'un d'aussi mal gaulé que vous.
- Merci.
- Et pourtant, si vous saviez les sacs à patates que j'ai dû bâcher...
- C'est beau une franchise comme la vôtre.
- Je n'ai jamais vu ça : vous n'avez pas de cou du tout.
- J'ai de quoi tourner la tête. Ça me suffit.
- Quand vous mettez un col roulé, on doit plus voir votre bouche, si ? Le prenez pas mal mais que c'est énervant de bosser sur des gens difformes... Levez les bras pour voir ?
- Ils sont levés.
- Mon Dieu...
Quelques mois après notre mariage, Morgane a pris en grippe ce qui l'avait au départ attiré chez moi : une certaine forme de douceur, un romantisme un peu nouille... C'est un schéma assez classique, on quitte les gens pour les raisons qui nous ont fait les aimer.
- Ça me tasse un peu, non ?
- Mais non. Le boubou, ça se porte ample. C'est beau, cette fluidité. Ça souligne bien votre silhouette en même temps. Vous avez un beau buste. Vous faites du sport ?
- Pas trop.
- Votre mère était dans les petits papiers des bonnes fées, pour faire un beau bébé pareil. Vous êtes réellement splendide, monsieur Robillard.
- Chevillard. Monsieur Chevillard. Et le motif ?
- La tête de lion ? Qu'est-ce qui ne va pas avec la tête de lion ? Ça dit tout de votre personnalité. Rugissant comme ça... Féroce. Imposant. Ultra beau. Ça me donne des frissons de vous regarder.
- Hummm... Et c'est pas en trop, le calot ?
- C'est vous qui savez... Mais le boubou sans calot, ça manque de distinction. Ça fait négligé un peu. Si c'est pour un entretien présidentiel, à votre place, j'irai pas sans calot.
- Et le motif ?
- Du calot ?
- Oui...
- Ben gnou, ça va bien avec un lion, non ? Qu'est-ce qui vous choque ?
Hein que c'est du bon tamanoir, à sa mémère, ça, hein ?! C'est qui qui veut ses fourmis ? C'est son pépère ?