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Critique de Erik35


LA MAGIE LE GUIN EN ONZE ÉTAPES.

Crée à l'instigation du normalien mais féru de SF, fantastique et fantasy Jacques Goimard, sous la direction et (très intelligemment) préfacé par l'essayiste, écrivain et directeur de collection Gérard Klein, voici donc un énième mais indispensable petit bijou tout droit tiré de l'imaginaire riche, humain, dense, poétique et complexe de la regrettée Ursula K. le Guin.

Certes, l'anthologie n'est pas des plus récentes et demande quelques instants de recherche sur les sites d'ouvrages d'occasions (la tâche n'est guère ardue et plus d'une proposition à coût très raisonnable se présente de suite au fouineur) puisqu'elle n'est plus disponible à l'état neuf chez votre libraire de proximité préféré. Cette collection qui fit les beaux jours du genre "Le Livre d'or de la science-fiction" date en effet des années 70-80...

Il n'en demeure pas moins que la plupart des nouvelles proposées ici n'ont jamais été reprises ailleurs, à l'exception notable de la première "Le collier de Semlé", édité sous une forme proche en prologue du roman inaugural du fameux cycle de Hain (qui deviendra le cycle de l'Ekumen), "Le Monde de Rocannon". Les amateurs, de même que les éventuels curieux décidé à venir tâter de cette oeuvre polyphonique, profonde, majestueuse, ne seront pas déçus par ce choix de texte dans lequel ils retrouveront (découvriront) tout aussi bien la veine futuriste de l'autrice que celle, sans doute plus poétique encore, liée au monde de la fantasy et proche, indubitablement, de son superbe cycle de Terremer.

Toutes les thématiques propres à l'autrice américaine sont déjà présente dans ces quelques textes, dont certaines pépites comme ce surprenant et anachronique "Avril à Paris", ce troublant de beauté "Le Roi de Nîvose" où l'on pénètre à nouveau dans la magie de cette planète aux êtres asexués de "La main gauche de la nuit" (sans doute son roman le plus attachant), cet inquiétant "Plus vaste qu'un empire" qui est une sorte de réponse à "Le nom du monde est forêt" ou encore la toute dernière qui donne quelques pistes sur ce qui allaient permettre cette expérience anarchiste réelle dans "Les Dépossédés", l'autre très grand roman d'Ursula K. le Guin.

Chaque fois, ce sont d'incroyables leçons d'humanité que nous propose la californienne, mais d'un humanisme totalement acentrique, ainsi que le rappelle fort judicieusement Gérard Klein. Un humanisme qui n'est pas fils de la Renaissance puis des temps modernes où, pour aller un peu vite, l'homme s'est imposé comme centre du monde en lieu et place de dieu, mais un humanisme dans lequel nous sommes à l'intérieur du grand tout, capable de bien nombreuses réalisations capables d'influer sur le reste, sans aucun doute, mais qui ne fait pas de cette humanité la chose première et dernière autour de laquelle tout le reste doit invariablement tourner. L'homme est, chez Ursula K. le Guin une part parmi d'autres de la création. «Les hommes ne sont pas détrônés mais redéfinis», explique le préfacier. Et de poursuivre ainsi : «À l'image souveraine et centrale d'un homme idéal succède l'idée des hommes, différents, communiquant et tâtonnant. Aucun d'eux dès lors, pas même le plus humble, pas même la communauté apparemment la plus arriérée et la plus isolée, ne peu être négligée, car l'un et l'autre portent une irremplaçable potentialité d'expérience et d'interactions.»

Par ces quelques lignes, on comprend mieux comment la violence, qu'elle soit guerrière, policière, entre les sexes, entre les générations ne peut être que condamnée par Ursula K. Leguine. de même que toute forme de sexisme, de racisme, d'oppression sociale, économique, culturelle, éthique. L'écoute, le respect de l'autre dans ce qu'il a de plus profond, de différent, d'atypique y sont sans cesse rappelés. le plus inouï, c'est que sans aucune espèce de didactisme, de moralisme de café du commerce ou d'imprécation intellectuelles factice et fastidieuse, toute l'oeuvre de cette magicienne des idées et des mots parvient, en quelques dizaines de pages d'une simplissime (dans les moyens) mais évidente finesse, d'une infinie tendresse la plupart du temps - ce qui ne l'empêche pas de décrire, souvent, des mondes rudes, difficiles, convulsifs - à démonter les mécanismes de ces violences, de cet hubris, à en montrer l'absurde même, mais aussi à chercher et souvent proposer des alternatives, des chemins d'expérimentation, des voies divergentes possibles. Là est toute la grâce et la très grande force de cette oeuvre qu'il est, dans une certaine mesure, bien dommage de circonscrire à des genres littéraires souvent mésestimés tant du public que des critiques, tandis qu'elle s'ouvre sur des thématiques aussi diverses que l'écologie, les sciences cognitives aussi bien que celles qualifiées d'humaines, sociologie et ethnologie en tête, sur une certaine forme (très souvent dénuée de puissance supérieure, de divinité incarnée ou révélée) de spiritualité et de métaphysique, et bien entendue sur toutes les formes de gouvernement que ces beaux rêves éveillés sont à même de proposer et de partager.

Une oeuvre d'une richesse immense que le public français n'a pas fini de découvrir (au rythme des traductions et selon le bon vouloir des éditeurs) dont il nous semble, sans aucune hésitation, qu'elle émane d'un des esprits majeurs de la fin du XXème siècle et de l'aube de celui-ci. Cette anthologie, pour celles et ceux qui parviendront à se la procurer, en est une excellente porte d'entrée.

Ci-après, les titres, en français (puis en anglais) ainsi que le nom des traducteurs des onze nouvelles proposées dans ce recueil :

1 - le Collier de Semlé (Semley's Necklace / The Dowry of Angyar), trad. Jean BAILHACHE
2 - Avril à Paris (April in Paris), trad. Jean BAILHACHE
3 - La Règle des noms (The Rule of Names), trad. Jean BAILHACHE
4 - le Roi de Nivôse (Winter's King), trad. Jean BAILHACHE
5 - Neuf vies (Nine Lives), trad. Jean BAILHACHE
6 - Plus vaste qu'un empire (Vaster Than Empires and More Slow), trad. Claude SAUNIER
7 - Étoiles des profondeurs (The Stars Below), trad. Jean BAILHACHE
8 - Champ de vision (Field of Vision), trad. Jacques POLANIS
9 - le Chêne et la mort (Direction of the Road), trad. Jean BAILHACHE
10 - A la veille de la révolution (The Day Before the Revolution), trad. Jean-Pierre PUGI
11 - Ceux qui partent d'Omelas (The Ones Who Walk Away from Omelas), trad. Henry-Luc PLANCHAT
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