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Critique de Erik35


MAGIE DE L'EKUMEN

Dire plus et mieux que mes six prédécesseurs sur ce petit, mais tellement agréable, opus de l'immense Ursula le Guin serait plus qu'audacieux : à peu près impossible !

Une fois encore, l'autrice de l'inégalable La main gauche de la nuit et du très politique - dans la meilleure acception du mot - Les dépossédés nous embarque vers les rives lointaines de la planète Hain pour les premiers essais humains - et Ô! combien périlleux - du Churten, une technologie aussi nouvelle qu'hasardeuse permettant une sorte de transilience instantanée entre deux points distants de l'espace-temps, un mode transport d'une complexité inouïe à définir convenablement, y compris lorsque l'on est un expert scientifique originaire d'Anarès. Et cela donne à peu près cela :

"- En langage profane, le churten peut-être considéré comme un déplacement opéré dans le champ virtuel afin d'obtenir cohérence relationnelle en matière d'expérimentabilité transilientielle, [...]."

Vous n'avez rien compris ? Rassurez-vous, vous n'êtes pas les seuls, à commencer par ces courageux et candides premiers aventuriers de "L'histoire des Shobies", et qui entame donc ce recueil intitulé et intégralement consacré à L'Effet Churten. Tout ce qui est à retenir, c'est que l'on ne voyage pas instantanément sans dommages ni risque. c'est ce à quoi ces explorateurs intrépides vont se trouver confrontés, et de se trouver à deux doigts de s'y perdre corps et âmes.

C'est aussi ce que vont comprendre les partenaires de Dalzul, le même homme qui finit par passer pour une sorte de Messie, sur la terre d'où il venait mais où les hainiens le renvoyèrent afin de pacifier notre planète au main des extrémistes religieux nommés Unistes, personnage seulement évoqué dans le très spirituel roman d'Ursula le Guin intitulé "Le dit d'Aka". La règle d'or des voyages vers de nouvelles planètes, au sein de l'Ekumen, est de prendre un temps infini à l'observation et à la compréhension des peuples rencontrés. Hélas, cette simultanéité de déplacement permise par le churten ne permet pas forcément cette prudence, d'autant plus que l'un de ses effets majeurs semble transformer l'approche de la réalité que l'on croit découvrir. le malheureux Dalzul en fera les frais, au cours de la seconde nouvelle, "La danse de Ganam", dans le plus pur respect d'une apparente volonté mal comprise par lui comme par les habitants de cette planète à découvrir.

L'ultime nouvelle - presque de la longue d'une novella - est, incontestablement la plus aboutie et, surtout, la plus en résonance avec les ouvrages plus importants de ce fameux "cycle de l'Ekumen". D'une évidente grâce, on y retrouve plusieurs des thématiques abordées par ailleurs par cette très grande dame de la Science-Fiction mondiale : le respect d'autrui, l'empathie, la description -sans jugement à l'emporte-pièce- de moeurs, de coutumes, de traditions et de modes d'existences différentes les unes des autres, des vies souvent communautaires aux rapports amoureux et sexuels très souvent complexes, l'importance centrale du sentiment amoureux (filial, amical, sexuel, etc), le pardon à l'égard des éventuelles erreurs, et une réflexion toujours beaucoup plus vaste qu'il n'y parait sur le sens même de l'existence.

Ainsi, en trois textes écrits à quelques années d'intervalles (entre 1990 et 1994), Ursula le Guin complète, par petites touches subtiles, toujours empruntes d'une grande poésie (et l'air de rien), faisant dérouler SA science fiction, bien éloignée des grandes sagas inter-planétaires, trop souvent guerrières, trop souvent sanguinolentes, trop souvent manichéennes et trop régulièrement sans fond philosophique, métaphysique véritable (sauf chez quelques rares maîtres du genre). Rien de tel dans l'oeuvre de cette femme où, par exemple, la musique et la danse sont des réponses possibles au chaos, où les mariages peuvent se faire à quatre adultes (deux hommes, deux femmes) sans qu'il soit question, pour autant, que d'amour pur et sincère, et sans une once de "porno-chic" généralement aussi futile que gratuit.

Le principal effet churten, en définitive, c'est cette magie qui finit par s'imprimer dans l'esprit du lecteur. Et il faut bien avouer qu'on en redemande !
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