AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Tandarica


Nous avons tous en nous quelque chose de Linda Lê, dans la mesure où: "On croit avoir tué la version réussie de soi. On croit avoir assassiné son semblable, son noble jumeau pour manger sa chair et devenir meilleur" (page 214). Je me risquerais même à dire que l'obsession d'un Mircea Cărtărescu n'est au fond absolument pas différente, même si l'écriture en est bien plus torturée, plus tortueuse, voire moins élégante. Sur ce radeau de la Méduse qu'est devenu notre "village universel" et qui apparaît explicitement dans les premières pages du "Solenoid" de Cărtărescu, nous sommes, par la force de la littérature, des bouchers "en train de dépecer une crapule" (page 214).
Dédié "[au] père" que d'aucuns nous exhortent à tuer, ces quatre évangiles comportent en exergue cette citation de Lautréamont : "Je n'envie rien au Créateur; mais qu'il me laisse descendre le fleuve de ma destinée, à travers une série croissante de crimes glorieux". N'est-ce pas là un excellent prétexte? J'ai l'impression que Linda Lê illustre, à chaque fois, par la force de sa joaillerie des mots, les textes qu'elle choisit de citer.
Pour "Reeves C." dont le sous-titre pourrait très bien être "aimer son double cela ne se peut", elle part de la citation suivante de Carlo Michelstaedter: "La détermination d'une substance s'affirme dans l'affirmation de l'autre car chacune ne voyait dans l'autre que sa propre affirmation. Leur amour est haine, comme leur vie est mort." Les personnages de Reeves C et de Carson.C, empruntent beaucoup de chair à l'écrivaine Carson McCullers, et à son mari Reeves.
Pour "Professeur T. " elle se sert de ce passage de Bohumil Hrabal: "Il suffit de serrer un peu sa cravate et d'interroger son ombre: y a-t-il encore de la vie en toi, vieux frère?". Pour enquêter sur le suicide de ce professeur T., une alternance de "notes d'un enquêteur" (policier) reprenant parfois des témoignages, et du journal du suicidé, ou de celui de "Plus-dure-sera-la-chute".
Pour "Klara V.", le "grande est la faute de celui qui est né" de Georg Trakl ouvre de meurtriers carnets: qu'elle est blanche cette arme, la folie !
Pour le dernier évangile, de "Vinh L.", construit sous forme d'échanges épistolaires entre un écrivain-narrateur et un étrange accusateur de plagiat qui confessera son cannibalisme, l'exergue est signé de Pier Paolo Pasolini (comme pour mieux confirmer la vitalité des références cinématographiques de Linda Lê): "J'ai tué mon père. J'ai mangé de la chair humaine et je tremble de joie." Je relève une mise en abîme saisissante: "Sur la page de garde, il avait recopié une phrase de mon livre: "Le corps d'un homme contient assez de phosphore pour fabriquer dix boîtes d'allumettes, assez de fer pour forger un clou capable de supporter le poids d'un pendu, assez d'eau pour faire mijoter dix litres de soupe aux tripes." Il ajouta, en conclusion: "et assez de bons mots pour engraisser des générations de plagiaires."
Suffisamment de talent pour qu'on n'en sorte pas indemne: c'est là mon ajout!
Commenter  J’apprécie          210



Ont apprécié cette critique (15)voir plus




{* *}