À force de tourner autour de ma maison
J’ai tracé un chemin autour de ma maison
Un chemin de prières
Par mes pas
Par leurs sons sur les graviers
Qui à force de marcher au pas trouvent leur rythme
Leur poème
Dont le sens
Comme un mantra
Vérifie ma vie par le bruit qu’elle fait
En tournant autour de ma maison
La première tombe
C’était il y a si longtemps
Peut-être cent mille ans
Le premier lien de la terre avec le ciel
Du présent avec le passé
Le lieu des premiers mots dits à l’âme avec le corps
La lune au-dessus de nous
Ne tombait pas
Par les chants
Le soleil au-dessus de nous
Ne nous brûlait pas
Par la danse
Le temps autour de nous se dépliait pas à pas
Par les pierres dressées
Dans les champs astronomiques
Et funéraires
Pour faire calendrier
Et compter nos jours dans les nuits
Et le feu
Bien sûr
Pour manger chaud
Et rêver loin
J’ai fait le tour du monde
En faisant le tour du bois
Ce matin
Pour la première fois de ma vie
Et de la vie du poème que j’écris
Je pense le regard au plus loin d’où je suis
Que peut-être je n’irai pas jusqu’au bout de lui
Un poème va-t-il jusqu’au bout
Est-il achevé par la mort du poète ou par la mort de son lecteur
Le poète et le lecteur cheminent-ils ensemble le temps du poème
Et qui s’en va en premier
Serai-je le lecteur de mon poème d’aujourd’hui
Ou seulement l’auteur que je suis en même temps que lui ?
J’écris et pour la première fois de ma vie
Je n’ai jamais eu autant besoin du lecteur que je suis aussi
Il m’attend à la fin du vers que j’écris
Pour traverser le blanc et le silence d’aujourd’hui
Qui nous envahit de tous les côtés de la page où j’écris
Sur la terre où je vis comme beaucoup d’entre nous
En sursis
La fleur ne sait pas qu’elle va mourir
Extrait 1
La fleur
ne sait pas qu’elle va mourir
je le sais
pour elle
je le sais
pour moi
je le sens
chaque matin
chaque aube
l’aube
d’avant le matin
l’aube
avec encore un peu de nuit qui traîne
les morts le savent qui meurent à l’aube
sans leur petit déjeuner du matin
…
La fleur ne sait pas qu’elle va mourir
Extrait 3
au plus profond de nous
tel qu’au plus loin du ciel
mais en dedans
où il n’y a plus de frontière
entre toi et moi
mon amie de là-bas
à un mètre de moi
plus je suis près de toi
jusqu’à être en toi
plus tu risques de mourir à cause de moi
une fois
il serait une fois
comme dans un conte
le conte où nous vivons aujourd’hui
tels qu’eux autrefois
Le Petit Poucet
contre la forêt
Le Petit Chaperon rouge
contre le loup
La Petite Fille aux allumettes
contre le froid
La fleur ne sait pas qu’elle va mourir
Extrait 2
je le sens
comme un loup renifle sa piste
un enfant
ses parents
un amant
son amour
un chagrin
sa fenêtre par où se jeter dans le ciel
je le sens
avant d’armer ma journée
comme on arme un pistolet
j’ai peur
de tomber dans la maladie
comme on tombe dans un cauchemar
qui débuta par un rêve
j’ai peur
pour mes amis dispersés sur la carte
nul lieu
où aller pour se sauver
pour moi
pour eux
pour personne
sur la terre où nous vivons
les îles dont nous rêvons
la mer qui les relie
sinon un lieu
un seul
…