Citations sur Xoco, tome 1 : Papillon obsidienne (11)
Si vous cessiez de sangloter un instant pour me décrire ce meurtrier, nous pourrions peut-être l’arrêter.
Bon, alors commençons par lui. Luigi Pellone, dit La trique. Fâcheuse destinée que de s’être écrasé contre ce mur. Résultat : commotion d’une rare violence, boîte crânienne défoncée, cervicales en miettes ! J’en passe et des meilleures. Ton tueur ne fait pas dans la dentelle. Et ici, Rita Esperendo. Blessures multiples, mais peu importe les détails. Le meilleur est invariablement pour la fin. Assurément, ton petit copain a de bonnes connaissances en anatomie. Sa façon d’exécuter une thoracotomie frise la perfection. De plus, cette crevure utilise une arme qui n’est pas faite en métal, avec un tranchant dentelé. Nul lien entre les victimes, pas de mobile.
Il est de l’autre côté maintenant.
C’était il y a dix ans. Le décès de ma mère emportée par la tuberculose plusieurs mois avant avait laissé mon père encore plus renfermé que de nature, morose et lointain. Avec pour seul et dernier intérêt dans l’existence, l’étude de ses chers vieux manuscrits. Il y consacrait le plus clair de son temps. Son indifférence à mon égard me faisait souffrir ! Mais il était là et je l’aimais de tout mon cœur d’enfant. Essayez d’imaginer cette petite fille, inspecteur, qui essaye désespérément d’attirer l’attention de son père, juste son attention. Et qui reste des heures à l’attendre… Les semaines ont passé. Un soir, alors que j’en avais perdu l’habitude, je suis venue le voir ici. J’ai cru qu’il avait entendu la clé dans la serrure, mais absorbé par sa tâche, il n’avait rien remarqué. Il s’apprêtait à dissimuler le poignard. Bien qu’il ait essayé de s’en défendre, j’ai clairement senti qu’il avait peur, vraiment peur. Il n’a rien voulu me dire. Alors je me suis blottie contre lui et il a posé une main sur mes cheveux. Une semaine plus tard, il…. Quelqu’un l’avait torturé, et il était mort ! Cette vision restera à jamais gravé dans ma mémoire. J’ai mis des années avant de pouvoir en parler, des années de cauchemars.
Alih yn otlica omitl xaxamãtoc… Et je suis le papillon de l’aigle. Le papillon du bouclier. Calli tzontlapolihtoc. Calli Chichilliuhtoc ocuilti. Aux quatre horizons, il a fait naître l’aurore… L’aurore rouge ! Itzlapalotl ! Itzlapalotl ! Moyacatlamina otlica… Auh yncaltech haha… Lacatoc yn… Des lances brisées gisent sur les chemins. Itzlapalotl ! Quatextli auh yn atlaca yuhqui chichiltic… L’eau qui coule est rouge comme si on l’avait teintée. Itzlapalotl ! Tlapatlatl ça yuh tiquique tiquia Tequixquiatl ! Des palais s’élèvent sans toit. Leurs murs rouge sang ! Itzlapalotl !
Question témoignage, je n’ai pas récolté grand-chose. Notre assassin semble simplement avoir la gueule de l’emploi.
Les sanglots s’écoulent. Les larmes ruissellent. Quetzalquatl, seigneur serpent, je fais appel à ta puissance. Dieu de mes ancêtres, esprit de paix et de clémence, fais de ce fourreau la prison de ton éternel ennemi, Tezcatlipoca, miroir fumant, jaguar nocturne, car il exige de nouveaux sacrifices sur cette terre ! Les sanglots s’écoulent. Les larmes ruissellent. Je demande ta protection, Mescalito ! Vois la tristesse qui envahit mon âme. Retiens en ce fourreau celui qui n’aurait jamais dû s’éveiller à la vie. Itzapalotl ! Papillon obsidienne ! Car il a franchi la brèche d’entre les mondes, afin de perpétuer un rite sanglant.
Lucio est mort, Xoco. Nous avons voyagé sur les vagues du crépuscule et franchi la brèche d’entre les mondes. Nous marchions dans la dimension des esprits lorsque nous nous sommes séparés. Peu après, j’ai senti et partagé sa peur, mais il était trop tard pour le secourir. Le mangeur d’âmes avait déjà fait son œuvre. Seules les plus anciennes légendes de notre peuple parlent d’un tel esprit prédateur. Comment imaginer qu’un jour nous aurions à l’affronter ? Car il va falloir le combattre maintenant, suivre sa piste, apprendre à le connaître, pour le piéger et le détruire. Nous sommes tous du même avis, il s’agit d’Itzlapalotl, le papillon obsidienne ! Pour l’instant, il est faible, il vient de se réveiller. Mais si nous attendons, nous ne pourrons plus jamais danser sur l’horizon, à l’envers du ciel. Puis il franchira lui aussi la frontière qui sépare le jour de la nuit, dans l’autre sens. Ses pas soulèveront la poussière de nos collines et il viendra dévorer nos âmes en ce lieu précis. Je vais demander conseil à Mescalito. Peut-être me dira-t-il ce qu’il faut faire ?
La violence est là, tapie dans l'ombre, prête à surgir à tout instant.
Il y a des démons du mal comme du bien autour de nous, et je crois que nous nous mouvons dans un monde inconnu, dans un lieu où il y a des cavernes, des ombres et des habitants au début de leur évolution. Il se peut que l’homme retrouve un jour le chemin de l’ancien savoir, et je suis convaincu qu’un savoir redoutable survit encore. – Arthur Machen (1863-1947)