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Critique de Lutvic


J'ai mauvais caractère. J'ai l'habitude de prendre une pause-déjeuner en mangeant léger devant Babelio : façon de dire à mon patron que je suis là tout en n'y étant pas, une torture pour lui. En plus, je lis sur ce que les gens lisent : terrible perte de temps qui le fait se tordre de souffrance. Je me délecte à le supplicier souvent comme ça, ce qui augmente mon plaisir gustatif et celui de mes lectures également.
Avec ce notoire mauvais caractère j'ai choisi, les yeux fatigués, parmi les titres restant de la Masse critique, un livre audio ; quel doux repos, qu'on me lise un bouquin pendant que je regagne de la force oculaire après une journée de boulot devant un écran, deux chats à mes côtés et un troisième aux pieds, au lit, pensais-je. Je l'ai choisi vite fait, sans aucune attention à l'auteur, uniquement par mauvaise foi : tout ce qui m'avait retenue était une mention sur son sujet lié, parait-il, au chômage ; je brûlais d'envie de massacrer un texte, encore un, qui ne pourrait être que profondément faux, au mieux d'une bien-pensance écoeurante sur cette réalité protéiforme que j'ai intimement explorée. Parce qu'un texte polémique est très facile à écrire, il se tricote tout seul, aucun effort à faire à part distiller sa bile noire.

Je suis faite comme une rate.
Je me suis trouvée dans une souricière d'émotions, d'intelligence et mélancolies.
Peu après la réception du CD-ROM, j'ai écouté jusque tard dans la nuit "Cadres noirs", en admirant la profondeur et la noirceur de la vie d'Alain Delambre, victime quoi qu'il fasse, et pour qui il sera toujours trop tard, dès qu'on l'aperçoit et jusqu'à ce qu'on le quitte - à regret.
Alain Delambre n'est pas un révolutionnaire et n'aurait pas envie de tout remettre en question. Il voudrait juste un boulot, si possible accommodant et en accord avec ses compétences et ses réflexes (plutôt d'exécutant consciencieux que de manager, encore moins d'innovateur ou de concepteur), pour qu'il ne déçoive pas sa bien-aimée et ses filles, à ses 57 ans. Et pour qu'il puisse continuer à payer sagement le crédit de l'appartement.
Mais à travers la rage tragique qui s'emparera de lui, rien ne lui sera épargné - ni l'éclat de la folie, ni la solitude -, et il fera le tour de toutes les relations de force et de domination qui composent la supercherie énormément grotesque de ce que l'on appelle aujourd'hui travail.
Le meurtrier - au propre et au figuré - monde du travail se trouve reflété dans les contorsions d'un thriller magistral.
Pierre Lemaître nous force à espérer naïvement, jusqu'à la fin, qu'Alain Delambre retrouve le goût du bonheur.
Ça serait ne pas assez prendre en compte l'une des phrases-clé du livre : "l'espoir... est une saloperie inventée par Lucifer pour que les hommes acceptent leur condition avec patience".

Après ce petit catharsis à portée de main, survenu tard dans la nuit, le matin je suis retournée au boulot.
Pour pouvoir continuer à payer sagement mon loyer.
En attendant la pause-déj, salade composée de légumes et d'errances sur Babelio...



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