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Critique de Kirzy


Pierre Lemaitre a le don d'écrire les romans que j'ai envie de lire lorsque je ressens l'appel de la littérature d'aventures et d'évasion à la Dumas. Ce roman, c'est la lecture plaisir par excellence, 100 % régalade tant la réjouissante générosité de l'auteur déborde de chaque page.

Et ça commence fort, dès la virevoltante scène d'ouverture, en mode caméra embarquée, qui permet de présenter la famille Pelletier lors de sa traditionnelle procession fêtant la création de leur savonnerie beyrouthine. Les parents, quatre enfants dont aucun ne veut reprendre l'entreprise familiale. D'emblée, on devine que le terrain de jeux va nous éclater, l'auteur a le génie des personnages. le fils aîné, Jean, qui rate tout ce qu'il entreprend, à commencer par son mariage avec l'abominable Geneviève ( indispensable tête à claques, personnage exceptionnel d'humour noir ), fuit de honte à Paris après un échec aux côtés de son père. Il y retrouve François, son frère cadet, qui démarre une carrière journalistique dans un journal type France-Soir, rubrique fait divers. Pour Etienne, le dernier frère, ce sera Saïgon pour retrouver son amoureux, légionnaire embarqué dans la guerre d'Indochine qui disparaît. Et enfin, il y a Hélène qui ronge son frein de petite dernière et ne rêve qu'à quitter Beyrouth et ses parents.

Pierre Lemaître s'autorise tout. L'intrigue est vite intenable, voyageant le lecteur de Beyrouth à Saïgon en passant par Paris, adjoignant aux six Pelletier une flopée de personnages truculents personnages secondaires. Avec un savoir-faire magistral, se crée sous nos yeux un tissu narratif donnant à chaque personnage son propre couloir de nage tout en anticipant le moment où ils vont se croiser. L'auteur a un oeil sur tout, les aventures individuelles s'enchâssent en un feuilletonnage évident. le sens du rebondissement est inégalé, le récit nous propulsant dans des péripéties inattendues, comme un arc narratif polar sur les traces d'un tueur en série qui s'en prend à des femmes … forcément les Pelletier sont dans le cinéma lorsque la tête d'une célèbre starlette est défoncé dans les toilettes ! Il n'y a pas une phrase qui ne soit vivante sans pour autant chercher à me mettre plein la vue, juste pleine de verve et de sève, porté par un humour en filigrane qui colle au récit. On se marre beaucoup et on s'amuse des nombreux clins d'oeil comme ceux à Simenon avec le chat Joseph et les noms des personnages secondaires.

Si la famille est le premier creuset narratif, celui dans lequel chacun se construit, le foyer de toutes les névroses, le destin familial des Pelletier va bien au-delà de leur cercle intime et s'insère dans un magnifique portrait d'une époque, à savoir le tout début des Trente Glorieuses. Au sortir de la Deuxième guerre mondiale, 1948 est une année grise, un de ses interstices méconnus de l'Histoire dans lequel Pierre Lemaitre aime se glisser. La prospérité économique n'a pas encore démarré, les tickets de rationnement sont toujours nécessaires et les pénuries de logement réelles. Avec des accents à la Zola, des manifestations d'ouvriers communistes sont violemment réprimées. Les passages centrés sur Saïgon et le touchant Etienne, devenue fonctionnaire à l'Agence des monnaies, sont ceux que j'ai préférés révélant le scandale du trafic des piastres dans une incroyable atmosphère de déliquescences, entre vapeurs d'opium, concussion, corruption et extension de la guerre d'Indochine.

Du souffle, de l'esprit, de la passion, du rythme, de la malice, en complicité totale avec le lecteur qui dispose d'une liberté totale pour se déplacer dans ce jubilatoire récit multi-facettes, jusqu'à une époustouflante surprise qui fait hurler de plaisir le lecteur connaisseur de l'oeuvre de l'auteur.

Merci Monsieur Lemaitre et vite, la suite !!!

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