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Critique de beatriceferon


Qui a déjà entendu prononcer le nom de Marina Chafroff ? Eh bien, à vrai dire, personne, ou presque. du moins en 2019, moment où Myriam Leroy se fait un point d'honneur à la mettre en lumière. Pourtant, dit-elle, dans d'autres pays, on en parle comme d'une « Jeanne d'Arc belge ».
Pour ma part, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre en achetant ce livre. Mais, comme j'avais apprécié les deux premières publications de Myriam Leroy , j'y suis allée en confiance.
J'avoue avoir été surprise. En effet, les cimetières, je les aime beaucoup et les visite volontiers. Ce qui m'attire, c'est l'art qu'ils renferment et qui les transforme en musées à ciel ouvert. Mais qui, de nos jours, a encore les moyens de se commander un beau mausolée, tout chargé d'anges et de pleureuses ? Et la symbolique : oiseaux, torches renversées, mains qui se rejoignent... Je ne m'en lasse pas. C'est pourquoi je m'étais laissé dire que la nécropole d'Ixelles regorgeait d'exemples de toute cette statuaire. Je l'ai arpenté en tous sens, à la recherche de l'architecture funéraire ou, plus prosaïquement, de quelques tombes VIP : celle si romantique du Général Boulanger et de Madame de Bonnemains, celles d'écrivains ou d'artistes tels Nell Doff, Charles de Coster, Victor Horta ou Antoine Wiertz. Il est donc probable que je sois passée devant la partie réservée à la Seconde Guerre mondiale, mais sans y prêter grande attention.
Myriam Leroy , elle, voulait tout simplement respirer un peu d'air et profiter de cette liberté avec une amie, à ce moment où l'épidémie de Covid cloîtrait tout le monde à l'intérieur. Les deux femmes remarquent les stèles blanches bien alignées et dédiées à quantité de Lucien, Gustave ou Achille fusillés. Et soudain, une Marina, décapitée ? Qu'est-ce que cela veut dire? En plus, à ce moment, on parle beaucoup de ce professeur exécuté de la même façon par un intégriste.
L'auteure entreprend alors des recherches. Dès la première page, elle nous confie que « Les Russes qui s'en souviennent prétendent qu'elle a changé le cours de la guerre. Les Belges, eux, ne disent rien. Ils l'ont oubliée. »
Écrire cet ouvrage a donc dû demander une somme énorme de travail, investigations, patience. Lorsqu'elle évoque les maigres documents qui existent, on se prend à regretter qu'aucune reproduction ne figure dans son livre, un plan du cimetière (elle précisait qu'au moment où elle travaillait, la tombe de Marina n'était même pas répertoriée) ou un portrait de son héroïne. Car elle a au moins déniché une photo, « un rectangle jauni au format identité agrafé à un document ».
Myriam Leroy nous présente Marina comme une femme de petit format (1 mètre 55), jeune (33 ans quand elle est décédée) et que presque tout le monde confond avec un enfant. « Certains commerçants de la rue des Radis la prenaient d'ailleurs pour un garçonnet ». Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un caractère bien trempé et de savoir ce qu'elle veut : « une morgue et des yeux durs (...) Tout dans ce visage dit à la personne qui regarde "Dégage" ». Comment et pourquoi cette inoffensive petite créature a-t-elle pu être déportée ? Décapitée ? A la hache ?
On comprend que la curiosité de Myriam Leroy ait été piquée. Mais son livre n'est ni une biographie, ni un essai. C'est un roman. Avec des sources aussi restreintes, que pouvait-elle faire d'autre que combler les lacunes et imaginer ?
La complexité de sa tâche, elle a trouvé un moyen très ingénieux de la faire ressentir à son lecteur. Soudain, le récit s'interrompt. Elle se parle à elle-même en « tu », expliquant sa méthode de travail, ses doutes, faisant la part de la réalité attestée et de ce qui relève du domaine des hypothèses, suppositions, et, puisqu'on ne connaîtra jamais le fin mot de l'histoire, elle se réserve le droit de choisir la version qui lui plaît le plus, qui lui semble la plus vraisemblable.
Outre les portraits (Maria, Ludmilla, Gilberte...)Myriam Leroy reconstitue une époque : la guerre, l'occupation, les restrictions, le marché noir, les partisans de Degrelle, les fanfarons qui se tressent des couronnes héroïques complètement imaginaires.
L'auteure nous guide à travers un quartier que je connais assez bien (Chaussée d'Ixelles).
Bien entendu, en reconstituant la personnalité d'une femme hors du commun, que, malgré son intelligence, on cantonne aux basses besognes (les pauvres courses soumises aux tickets de rationnement, les repas aussi nourrissants que possible pour l'homme et les deux enfants en pleine croissance, verser des litres d'alcool au mari et à ses amis, qui palabrent des soirées entières, mais sont absents quand il faut agir), l'auteure souligne la condition des femmes qui, même à notre époque et même dans notre pays, sont encore trop souvent reléguées au second plan, méprisées, vilipendées, insultées, harcelées. Et le monde du travail dont « les échelons supérieurs demeuraient occupés par des Jean-Michel Médiocre ».
Le personnage le plus ahurissant est sans conteste (du moins à mes yeux) Youri qui, vu à travers le regard énamouré de Marina, se révèle soudain, tel un athlète, « à la piscine d'Evere où le contre-jour lui avait dessiné un halo, une auréole à la mesure de sa divinité ». Subjuguée, la timide jeune femme s'avance alors et lance : « Tu l'ignores encore, mais tu vas m'épouser. » Et ce rêve de midinette se réalise, mais ne durera que le temps d'un soupir. Youri n'est encore lui-même qu'un enfant (18 ans) lorsqu'il devient père. Pour rapporter quelques sous, il participe à des combats de boxe clandestins, se fait embaucher sur des chantiers puis dans un garage.
Quand la guerre est déclarée, il se pique d'avoir des avis sur tout, mais ce ne sont que des paroles en l'air. « Il semblait seulement attendre (...) que les Allemands plient bagage en s'excusant ». Bien pire, « il était devenu mécanicien du parc automobile de la Wehrmacht » et « s'avinait jusqu'à tomber dans l'escalier », tandis que sa femme rivalise d'ingéniosité pour arriver à faire cuire quelques denrées sur la semelle d'un fer à repasser comme plaque de cuisson, lorsqu'il n'y a ni gaz ni électricité.
Au moment où la maison de sa mère est attaquée par des soldats qui y boutent le feu, l'héroïque Youri « s'échappe par la fenêtre sans se soucier de son fils ». Il détournera à son profit les allocations des enfants et quand, plus tard, son aîné lui reprochait de les avoir abandonnés, il ripostait : « Mon ami, cette guerre a fait des millions d'orphelins. On n'est pas à deux près. » On se demande ce que Marina a bien pu lui trouver, mis à part beauté et jeunesse !
Dans cet ouvrage, j'ai découvert des tas de choses que je ne connaissais pas. J'ai aimé le portrait que Myriam Leroy brosse de Marina. J'ai beaucoup apprécié les moments où elle partage avec le lecteur ses propres réflexions, questionnements, suppositions, doutes.
La seule chose qui m'a déplu, c'est le titre que j'ai trouvé trop commercial, racoleur et qui, de mon point de vue ne correspond pas à ce beau personnage central.
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