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Critique de HundredDreams


Après avoir lu le bel album de Jirô Taniguchi, « Les gardiens du Louvre », dans lequel le lecteur revit, entre autres, les évènements qui ont entouré l'évacuation du musée du Louvre pendant l'Occupation, c'est avec plaisir que j'ai demandé à lire le récit de Rose Valland, espionne de l'ombre, qui a dédié sa vie à la restitution des oeuvres d'art spoliées par les Nazis.
Je remercie Babelio, les éditions Robert Laffont et l'autrice, Jennifer Lesieur. J'ai aimé mon voyage dans le Paris occupé, j'ai aimé me promener dans l'histoire de ces oeuvres et de cette femme hors du commun.

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Le récit débute quelques mois avant l'entrée des Nazis dans Paris. Jacques Jaujart, alors directeur du musée du Louvre puis des musées nationaux en 1940, fut chargé d'organiser l'évacuation des collections des musées parisiens au début de la Seconde Guerre mondiale.
C'est avec beaucoup d'émotions que j'ai revécu la mise à l'abri, hors de Paris, de milliers de chefs d'oeuvre, tableaux, sculptures, meubles et objets (tapisseries, livres, bijoux, …).
Imaginez aujourd'hui Le Louvre sans la Joconde, la femme à la perle, la Dentellière, le Sacre de Napoléon, les noces de Cana, le radeau de la méduse ou la Victoire de Samothrace.

Rose Valland, historienne de l'art et attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume, va également participer au sauvetage des plus belles pièces du Musée qu'elle a en charge, celles de Picasso, Chagall, Modigliani pour n'en citer que quelques-unes. Mais après les avoir accompagnées dans le sud de la France, elle se sent liée à son musée et à ses oeuvres et décide revenir sur Paris pour poursuivre sa tâche.

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Grâce à son beau travail de recherche, Jennifer Lesieur nous plonge dans le Paris occupé.
La capitale française va représenter une manne pour Hitler et Goering, la capitale regroupant la quintessence de l'Art, mais aussi pour les riches investisseurs et les marchands d'art collaborationnistes attirés par toutes ces richesses. Ils vont profiter de l'aubaine pour acquérir, à moindre coût, des trésors volés.

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« C'était le rêve de ma vie de pouvoir visiter Paris. Je ne saurais dire combien je suis heureux que ce rêve se soit réalisé aujourd'hui. »

Ces paroles sont d'Hitler. Il vouait une passion malsaine pour l'art, il rêvait de devenir artiste peintre, mais il fut refusé deux fois à l'entrée de l'Académie des Beaux-Arts de Vienne. Eprouvant un sentiment de ressentiment à l'égard des Viennois, Hitler aura pour ambition de construire le plus grand musée du monde à Linz, en Autriche.
Il décide alors que tous les biens des collections nationales et privées doivent passer sous son contrôle exclusif. Dès lors, les plus grands chefs d'oeuvre vont être confisqués pour approvisionner le futur musée du Führer dédié à l'Art Véritable reflétant l'idéal aryen.
Néanmoins, certaines oeuvres dites « dégénérées » seront vendues ou échangées pour soutenir et alimenter l'effort de guerre. D'autres, malheureusement, seront détruites.

« Hitler donnait à l'art une place majeure dans les projections de sa folie, au même titre qu'à l'antisémitisme et à l'expansion d'un « espace vital » pour les Aryens. … Il s'agissait moins d'un plaisir esthétique que d'un programme parallèle à sa politique raciale et expansionniste : une rage égocentrique qu'il nourrirait jusqu'à sa mort. »

Si Hitler avait des idées mégalomaniaques, Goering n'était pas en reste. le numéro 2 du parti nazi, surnommé « L'ogre », un homme obèse et drogué, vaniteux et obsessionnel, n'aura de cesse, lui aussi, d'enrichir sa collection privée, se servant généreusement dans les territoires occupés pour dira-il « assurer la conservation des objets d'art ayant appartenu à des juifs ».

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Pour en revenir à notre héroïne, les biens de valeur des juifs, des communistes et des francs-maçons seront tout d'abord entreposés dans plusieurs salles du Louvre réquisitionnées à cet effet. Mais, en raison de l'ampleur des saisies, Jacques Jaujart va proposer aux Nazis de stocker les nouvelles arrivées au Musée du Jeu de Paume, subterfuge pour pouvoir espionner les déplacements les oeuvres volées.

Rose Valland va voir transiter par son musée les plus belles collections publiques et privées appartenant à de grandes familles juives, les Rothschild, Paul Rosenberg, Veil-Picard, Adolphe Scholss, … avant de rejoindre l'Allemagne.

« Cet anéantissement de leur vie privée, de ces symboles du coeur et de l'esprit, marquait l'avant-dernière étape avant leur extermination. »

Femme réservée, sensible, courageuse, tenace, totalement dévouée à l'art, sa présence ne représente pas une menace aux yeux des Nazis.
Sans participer personnellement au recensement de toutes les pièces qui vont passer au Jeu de Paume, Rose Valland va risquer sa vie en écoutant, observant, mémorisant et consignant le nom de nombreuses oeuvres, leur provenance et leur destination, en retenant également le nom et l'emplacement de plusieurs dépôts en Allemagne.

Après la Libération, avec l'aide d'un américain appartenant aux Monuments Men, James Rorimer, Rose Valland va se consacrer à traquer, retrouver et restituer le patrimoine dérobé et disséminé dans toute l'Europe et principalement en Allemagne.
La tache est colossale : après presque cinq ans d'occupation, les nazis ont soustrait près de 100 000 objets d'art.

« La vengeance était une manière vaine de détruire les souffrances du passé, et elle préférait regarder en avant, réparer ce qui pouvait l'être. »

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Je lis assez peu de documentaires, d'essais, de biographies, mais j'ai apprécié ce livre qui se lit comme un thriller historique.
Jennifer Lesieur retrace la vie de cette femme discrète et effacée, intelligente et instruite, diplômée en art et détentrice d'une thèse, qui a voué sa vie à la restitution des biens volés jusqu'en 1980, date de sa mort.
Le récit de sa vie nous fait revivre les évènements principaux qui ont marqué ces heures sombres de l'Histoire. On ressent l'atmosphère lourde et angoissante de l'occupation allemande, le climat fébrile et trouble de l'après-guerre, les tensions très vives entre les alliés au moment de la capitulation de l'Allemagne et du découpage de Berlin.

En marge, l'autrice aborde la place de la femme dans le monde de l'art.
Malgré ses nombreux diplômes, son engagement et son parcours incroyables, Rose Valland aura du mal à gravir les échelons de cette profession essentiellement masculine.

« Si la guerre révéla bien des héroïnes, les années 1950 n'étaient pas disposées à leur accorder une position plus méritantes dans la société. Les oeuvres avaient retrouvé leur place au musée ; pas Rose. le monde muséal restait régi par des hommes, pour des hommes. »

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L'écriture est simple, sobre, va à l'essentiel tout en étant parsemée de détails et d'anecdotes passionnants.

J'aurais cependant aimé que le texte soit agrémenté de photos d'époque.

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Pour conclure, « Rose Valland, l'espionne à l'oeuvre » est le beau portrait d'une femme engagée qui a joué un rôle essentiel dans la localisation et la récupération des nombreux chefs d'oeuvre spoliés par les nazis sous l'Occupation. Elle a également permis d'identifier les propriétaires légitimes en vue de leur restituer leurs biens.
Ce livre est un bel hommage à son courage et à sa détermination.
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