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Emmanuelle Polack (Autre)
EAN : 9782221269473
240 pages
Robert Laffont (11/05/2023)
4.03/5   100 notes
Résumé :
Le récit inédit de la femme qui a sauvé soixante mille oeuvres d'art spoliées par les nazis.

Quand Goering pénètre au musée du Jeu de Paume pour s’emparer de Fragonard, de Rubens ou de Brueghel, elle est là. Si un marchand d’art français conseille les nazis pour embarquer les trésors spoliés aux collectionneurs juifs, elle est là. Cachée derrière ses lunettes épaisses, elle note. Au risque d’être fusillée. Car elle sait qu’un jour elle rendra toutes ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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Après avoir lu le bel album de Jirô Taniguchi, « Les gardiens du Louvre », dans lequel le lecteur revit, entre autres, les évènements qui ont entouré l'évacuation du musée du Louvre pendant l'Occupation, c'est avec plaisir que j'ai demandé à lire le récit de Rose Valland, espionne de l'ombre, qui a dédié sa vie à la restitution des oeuvres d'art spoliées par les Nazis.
Je remercie Babelio, les éditions Robert Laffont et l'autrice, Jennifer Lesieur. J'ai aimé mon voyage dans le Paris occupé, j'ai aimé me promener dans l'histoire de ces oeuvres et de cette femme hors du commun.

*
Le récit débute quelques mois avant l'entrée des Nazis dans Paris. Jacques Jaujart, alors directeur du musée du Louvre puis des musées nationaux en 1940, fut chargé d'organiser l'évacuation des collections des musées parisiens au début de la Seconde Guerre mondiale.
C'est avec beaucoup d'émotions que j'ai revécu la mise à l'abri, hors de Paris, de milliers de chefs d'oeuvre, tableaux, sculptures, meubles et objets (tapisseries, livres, bijoux, …).
Imaginez aujourd'hui Le Louvre sans la Joconde, la femme à la perle, la Dentellière, le Sacre de Napoléon, les noces de Cana, le radeau de la méduse ou la Victoire de Samothrace.

Rose Valland, historienne de l'art et attachée de conservation au Musée du Jeu de Paume, va également participer au sauvetage des plus belles pièces du Musée qu'elle a en charge, celles de Picasso, Chagall, Modigliani pour n'en citer que quelques-unes. Mais après les avoir accompagnées dans le sud de la France, elle se sent liée à son musée et à ses oeuvres et décide revenir sur Paris pour poursuivre sa tâche.

*
Grâce à son beau travail de recherche, Jennifer Lesieur nous plonge dans le Paris occupé.
La capitale française va représenter une manne pour Hitler et Goering, la capitale regroupant la quintessence de l'Art, mais aussi pour les riches investisseurs et les marchands d'art collaborationnistes attirés par toutes ces richesses. Ils vont profiter de l'aubaine pour acquérir, à moindre coût, des trésors volés.

*
« C'était le rêve de ma vie de pouvoir visiter Paris. Je ne saurais dire combien je suis heureux que ce rêve se soit réalisé aujourd'hui. »

Ces paroles sont d'Hitler. Il vouait une passion malsaine pour l'art, il rêvait de devenir artiste peintre, mais il fut refusé deux fois à l'entrée de l'Académie des Beaux-Arts de Vienne. Eprouvant un sentiment de ressentiment à l'égard des Viennois, Hitler aura pour ambition de construire le plus grand musée du monde à Linz, en Autriche.
Il décide alors que tous les biens des collections nationales et privées doivent passer sous son contrôle exclusif. Dès lors, les plus grands chefs d'oeuvre vont être confisqués pour approvisionner le futur musée du Führer dédié à l'Art Véritable reflétant l'idéal aryen.
Néanmoins, certaines oeuvres dites « dégénérées » seront vendues ou échangées pour soutenir et alimenter l'effort de guerre. D'autres, malheureusement, seront détruites.

« Hitler donnait à l'art une place majeure dans les projections de sa folie, au même titre qu'à l'antisémitisme et à l'expansion d'un « espace vital » pour les Aryens. … Il s'agissait moins d'un plaisir esthétique que d'un programme parallèle à sa politique raciale et expansionniste : une rage égocentrique qu'il nourrirait jusqu'à sa mort. »

Si Hitler avait des idées mégalomaniaques, Goering n'était pas en reste. le numéro 2 du parti nazi, surnommé « L'ogre », un homme obèse et drogué, vaniteux et obsessionnel, n'aura de cesse, lui aussi, d'enrichir sa collection privée, se servant généreusement dans les territoires occupés pour dira-il « assurer la conservation des objets d'art ayant appartenu à des juifs ».

*
Pour en revenir à notre héroïne, les biens de valeur des juifs, des communistes et des francs-maçons seront tout d'abord entreposés dans plusieurs salles du Louvre réquisitionnées à cet effet. Mais, en raison de l'ampleur des saisies, Jacques Jaujart va proposer aux Nazis de stocker les nouvelles arrivées au Musée du Jeu de Paume, subterfuge pour pouvoir espionner les déplacements les oeuvres volées.

Rose Valland va voir transiter par son musée les plus belles collections publiques et privées appartenant à de grandes familles juives, les Rothschild, Paul Rosenberg, Veil-Picard, Adolphe Scholss, … avant de rejoindre l'Allemagne.

« Cet anéantissement de leur vie privée, de ces symboles du coeur et de l'esprit, marquait l'avant-dernière étape avant leur extermination. »

Femme réservée, sensible, courageuse, tenace, totalement dévouée à l'art, sa présence ne représente pas une menace aux yeux des Nazis.
Sans participer personnellement au recensement de toutes les pièces qui vont passer au Jeu de Paume, Rose Valland va risquer sa vie en écoutant, observant, mémorisant et consignant le nom de nombreuses oeuvres, leur provenance et leur destination, en retenant également le nom et l'emplacement de plusieurs dépôts en Allemagne.

Après la Libération, avec l'aide d'un américain appartenant aux Monuments Men, James Rorimer, Rose Valland va se consacrer à traquer, retrouver et restituer le patrimoine dérobé et disséminé dans toute l'Europe et principalement en Allemagne.
La tache est colossale : après presque cinq ans d'occupation, les nazis ont soustrait près de 100 000 objets d'art.

« La vengeance était une manière vaine de détruire les souffrances du passé, et elle préférait regarder en avant, réparer ce qui pouvait l'être. »

*
Je lis assez peu de documentaires, d'essais, de biographies, mais j'ai apprécié ce livre qui se lit comme un thriller historique.
Jennifer Lesieur retrace la vie de cette femme discrète et effacée, intelligente et instruite, diplômée en art et détentrice d'une thèse, qui a voué sa vie à la restitution des biens volés jusqu'en 1980, date de sa mort.
Le récit de sa vie nous fait revivre les évènements principaux qui ont marqué ces heures sombres de l'Histoire. On ressent l'atmosphère lourde et angoissante de l'occupation allemande, le climat fébrile et trouble de l'après-guerre, les tensions très vives entre les alliés au moment de la capitulation de l'Allemagne et du découpage de Berlin.

En marge, l'autrice aborde la place de la femme dans le monde de l'art.
Malgré ses nombreux diplômes, son engagement et son parcours incroyables, Rose Valland aura du mal à gravir les échelons de cette profession essentiellement masculine.

« Si la guerre révéla bien des héroïnes, les années 1950 n'étaient pas disposées à leur accorder une position plus méritantes dans la société. Les oeuvres avaient retrouvé leur place au musée ; pas Rose. le monde muséal restait régi par des hommes, pour des hommes. »

*
L'écriture est simple, sobre, va à l'essentiel tout en étant parsemée de détails et d'anecdotes passionnants.

J'aurais cependant aimé que le texte soit agrémenté de photos d'époque.

*
Pour conclure, « Rose Valland, l'espionne à l'oeuvre » est le beau portrait d'une femme engagée qui a joué un rôle essentiel dans la localisation et la récupération des nombreux chefs d'oeuvre spoliés par les nazis sous l'Occupation. Elle a également permis d'identifier les propriétaires légitimes en vue de leur restituer leurs biens.
Ce livre est un bel hommage à son courage et à sa détermination.
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J'avais écouté récemment avec curiosité la série sur France Culture "Rose Valland, héroïne de l'ombre" , Masse Critique et les Éditions Robert Laffont m'ont permis , à point nommé, de compléter agréablement ma connaissance sur l'histoire de cette femme valeureuse et je les en remercie grandement.

En 1938, Rose Valland est nommée par Jacques Jaujard responsable du musée du Jeu de Paume à Paris , musée baptisé : Musée des écoles étrangères contemporaines .

Jacques Jaujard , sous directeur des musées nationaux est l'homme qui a organisé le transfert des oeuvres du Louvre et en particulier de la Joconde vers des lieux plus sûrs dès les prémices de la seconde guerre mondiale.

Lors de l'arrivée des troupes allemandes à Paris en 1940 , Rose Valland ne tarde pas à recevoir la visite de Goering alors que le musée du Jeu de Paume a été transformé en plaque tournante des objets d'arts, tableaux, statues , livres , mobiliers volés dans les différents musées et chez les particuliers, surtout juifs où les collections ont été largement pillées .
Des expositions sont rapidement organisées par ses sbires pour que le numéro 2 du régime nazi fasse son choix pour Hitler et surtout pour lui .
Des trafics et des vols se succèdent sans cesse.

Rose, qui n'a pas de rôle officiel pour les allemands, observe, scrute, répertorie , mémorise et note tout ce qui entre et qui sort du musée , n'hésitant pas à arpenter les bureaux après la fermeture, à fouiller les corbeilles de papier au péril de sa vie .
Elle emporte précieusement ses notes en en informant régulièrement J Jaujard .

L'autre combat pour Rose est celui de la préservation des oeuvres dites modernes ,considérées comme de l'art dégénéré par les nazis et dont certaines sont conservées dans une arrière salle appelée Salle des martyrs et qui servent de trocs .

Beaucoup de personnes peu scrupuleuses gravitent autour de ces trafics, des officiers et des civils allemands mais également français ,des galeristes , des collectionneurs etc ...

Rose parvient aussi à alerter les résistants sur certains convois ferroviaires à destination de l'Allemagne ou de l'Autriche chargés de caisses d'oeuvres d'art.

L'autre partie du livre , et qui n'est pas moins importante, relate l'acharnement de Rose ainsi que d'autres personnes à retrouver ces oeuvres pour ensuite les restituer à leurs propriétaires : musées et particuliers .

Rose a accumulé des carnets avec les destinations des caisses et c'est finalement aux américains qu'elle confiera ses notes, ces Monuments Men , beaucoup plus efficaces que les services français ou anglais croulant sous les démarches administratives , Rose va passer dix années en Allemagne dès 1945 .

Grâce au travail de fourmi de Rose et de rares autres personnes, de nombreuses caches vont être trouvées, des mines, des châteaux , des tunnels ferroviaires à l'abandon ...

Cette récupération laborieuse va être entravée par l'arrivée des troupes soviétiques qui veulent se rembourser en nature et remplacer ce qui leur a été volé ou détruit ...L'absence d'autorisation ne va pas empêcher Rose de faire des incursions dans les territoires sous domination russe , sa mission d'espionnage n'étant pas non plus à l'abri de dangers .

Pendant ce temps s'ouvre l'ère des procès mais certains individus ayant participé à cette grande spoliation ne seront pas poursuivis, l'importance de ce trafic d'Art venant bien sûr au second plan derrière les drames humains.

Rose Valland , parce qu'elle était femme, est restée dans l'ombre , inconnue de beaucoup de personnes, à commencer par de nombreux hommes politiques .
Elle a pourtant été décorée à plusieurs reprises y compris en Allemagne .
Elle a poursuivi durant le reste de sa vie la tâche difficile de la restitution des oeuvres d' arts.

"En 2022, il restait 2143 oeuvres d'art estampillées MNR en France . Et encore plus d'oeuvres sans étiquette, disparues elles aussi, cachées dans des salons privés, des coffres bancaires ou circulant dans les circuits obscurs d'un marché d'art parallèle.

Mais comme ces tableaux qui réapparaissent parfois , bien des années plus tard dans des lieux insoupçonnables , des secrets sortent des limbes de l'histoire. Des hommes et des femmes continuent de consacrer leur vie à retrouver , et à restituer , ces oeuvres d'art arrachées par la violence à leurs propriétaires , à réparer des torts que personne n'a oubliés. Et à perpétrer ainsi ce geste simple pour lequel Rose Valland s'est battue jusqu'au bout : ramener un tableau chez lui, le raccrocher au mur de ceux qui l'ont aimé et le contempler, l âme en paix ."

* MNR : Biens Musées Nationaux Récupération

Une femme courageuse, obstinée que je ne suis pas prête d'oublier !

Il faut noter que les recherches continuent de nos jours et que le 29 Juin une loi a été votée pour permettre de sortir les oeuvres des musées sans passer par le Parlement ...
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Les vrais héros de l'histoire ne s'annoncent pas toujours. Il faut parfois les trouver, aller les chercher. C'est le cas de Rose Valland. Vous ne la connaissez peut-être pas, mais au moment où vous aurez terminé ce livre/récit de Jennifer Lesieur, elle pourrait bien faire partie de votre panthéon personnel. de ces personnages qui vous marquent à la fois dans ce qu'ils sont et ce qu'ils font.

Et pourtant :
"Le secret absolu dans lequel elle avait cadenassé sa vie et son action a effacé plus que son nom. L'existence de Rose Valland, criblée de béances, comporte un gouffre qui relève de la magie noire. Il n'existe aucune image animée d'elle. Aucun film, aucune vidéo amateur, aucun extrait de documentaire, aucune apparition, même floutée, fugitive, hors champ ou accidentelle, sur aucune pellicule. Traverser presque tout le XXe siècle sans se laisser capter par une caméra est un tour de force qu'elle a réussi, à supposer qu'elle l'ait souhaité."

Le 3 novembre 1940, Goering emportait dans son train personnel des chefs-d'oeuvre déposés au musée du Jeu de Paume. Ce jour-là "La femme invisible était toujours là. Impuissante, elle avait assisté à ce rapt en redoutant déjà les suivants, ici même, dans son musée où flottait encore l'odeur du cigare froid et des souffles lourds, son musée qui venait d'être souillé.
Elle s'appelait Rose Valland, et elle apprit ce jour-là à hurler en silence."

À une époque où l'on préférait une femme éduquée à une femme instruite, c'était déjà une avancée remarquable pour une jeune fille de son milieu, dont le père était maréchal-ferrant et sa mère qui tenait la maisonnée. Inscrite à l'école normale son chemin d'institutrice était tout tracé.
Mais c'était sans compter sa passion pour l'art. Direction les Beaux-Arts de Lyon, puis les Beaux-Arts de Paris. Malgré sa réussite son goût pour apprendre était bien plus fort que celui de transmettre...
Mais rien, ni personne ne l'avait préparée à ce qui allait advenir. Elle allait être propulsée dans L Histoire....

L'exode des oeuvres d'art des musées parisiens devait commencer.
"La « drôle de guerre », dans son attente inquiète des premiers combats, permit aux sauveteurs du Louvre d'agir avec calme et méthode. En quelques jours, il ne resta plus au musée que des oeuvres d'importance secondaire, des cadres vides posés le long de murs nus où se dessinaient des carrés et des rectangles plus clairs à l'emplacement des toiles. La Grande Galerie avait des airs de hall de gare vide, où résonnait le moindre son. Comme la scène d'un théâtre déserté par ses décors et ses acteurs, le coeur du bâtiment cessa de battre."

L'armistice signé, Hitler était à Paris
" Hitler porta sur les fontaines, les immeubles, les volets fermés, un regard de propriétaire. Il tenait enfin cette ville qu'il admirait, volée à un peuple qu'il méprisait. Une capitale engourdie, où il n'avait croisé aucun regard de défi. [...] Pour lui, l'art n'était pas tant une source de beauté, de contemplation, d'ouverture des perceptions qu'une addiction mauvaise, une obsession fanatique parmi tant d'autres. Et un moyen de se venger, d'effacer l'humiliation du traité de Versailles et celle des Beaux-Arts qui n'avaient pas voulu de lui."

Les nazis mirent en place une organisation réglée au "millimètre" pour organiser le pillage. Mais trop d'administration tue l'administration, ce fut très vite la confusion...
Si vous ajoutez à cela, la voracité de certains dont Goering (numéro 2 du régime) qui vivait dans un luxe malsain et ostentatoire, les marchands d'art véreux, les délateurs intéressés, des soldats qui s'improvisent huissiers de justice de pacotille, la création de l'ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) chargé de répertorier et de confisquer les biens des indésirables du parti, etc...
Vous obtenez une confusion extrême aux antipodes de l'image que voulait donner le régime, "Curieuse manie du Reich, cette tendance à créer une multitude d'organismes et d'institutions voués aux mêmes tâches, au risque de contre-productivité et d'inévitables luttes de pouvoir…"

Rose d'abord spectatrice de ces scènes qu'elle abhorrait devint très vite une actrice discrète en remplissant fiches, notes, listes. Écoutant les conversations pour y glaner ce qui pourrait être utile au traçage des oeuvres. Allant jusqu'à faire les poubelles pour y récupérer ce qui pourrait avoir de la valeur pour la suite.
Remontant ces informations collectées à Jacques Jaujard surnommé « L'homme qui sauva nos chefs-d'oeuvre » par l'essayiste André Chamson.
Vivant avec la peur au ventre, peur qui était devenue sa compagne de tous les jours...
Trouvant le courage, en se disant :
"Ce que les nazis volaient à ces familles, ce n'était pas seulement ce que l'humanité avait produit de plus raffiné, et que d'autres amoureux de l'art avaient patiemment acquis avec les années. Après avoir privé les Juifs de leur statut, de leur profession, de leur droit à vivre comme tout un chacun, ils les privaient de leur histoire intime. Car ces natures mortes, ces naïades de marbre, ces violoncelles et ces porcelaines représentaient davantage que des biens marchands. Ils étaient des souvenirs heureux, de fêtes en famille, de dîners entre amis, de berceuses chantées, d'instants de grâce, de repos et de paix."

Les chiffres donnent le tournis et parlent d'eux-mêmes
À la date d'août 1944, 203 collections particulières avaient été pillées. Soit plus de 21 900 objets d'art, dont 10 000 tableaux, dessins, gravures ; 500 000 meubles et objets domestiques, et plus d'1 million de livres et manuscrits, sans compter les disparitions, les vols en interne, voire les oublis.

Une fois la Libération arrivée, commence pour Rose un autre pan de sa vie :
" Rose, elle, n'avait aucune envie de gifler les Allemands dans la rue. La vengeance était une manière vaine de détruire les souffrances du passé, et elle préférait regarder en avant, réparer ce qui pouvait l'être. Consacrer ses forces à accomplir enfin cette idée fixe qui l'avait fait tenir et remplir ces fiches au péril de sa vie pendant quatre ans : retrouver, récupérer et restituer le patrimoine volé. "

Elle se rend en Allemagne, pour entamer son travail de restitution.
Avec un "monuments man", ils inventorièrent 6 557 peintures, 2 300 dessins et aquarelles, 954 estampes, 137 sculptures, 129 armes et armures, 122 tapisseries, 78 meubles, 79 vanneries, 484 caisses vraisemblablement d'archives, 181 caisses de livres, 1 200 à 1 700 caisses apparemment de livres ou objets similaires, 283 caisses de contenu totalement inconnu et c'est sans compter avec les oeuvres acquises par Goering : 1 375 peintures, 250 sculptures, 108 tapisseries, 75 vitraux et 175 objets décoratifs....

Elle poursuivra son oeuvre tout en restant dans l'ombre, ce qui reste à la fois incompréhensible, injuste, et incroyable tant son dévouement fut incommensurable.

La réponse est peut être dans les mots de la conservatrice Magdeleine Hours, qui avait participé à l'exode des oeuvres du Louvre, et qui écrira plus tard dans ses Mémoires : « Cette femme, qui avait risqué sa vie si souvent et avec tant de constance, qui avait honoré le corps des conservateurs et sauvé les biens d'un grand nombre de collectionneurs, eut droit à l'indifférence, quand ce ne fut pas l'hostilité de beaucoup. La reconnaissance n'existe pas et la grandeur dérange dans ce milieu où l'élégance est plus affaire de goût et de formes qu'affaire de coeur. L'histoire de Rose Valland en est bien l'illustration décevante. »

Et bien grâce à ce récit, qui se lit comme un roman, la voilà sortie de l'indifférence, en espérant que ce livre aille dans le plus de mains possible, c'est à mon sens le moins que l'on doit à cette femme qui a agi dans l'ombre, qui est restée dans l'ombre, et qui merite pour ses actions, son abnégation, sa résistance - au sens propre et figuré - d'être mise en lumière.
Et se dire que sans elle, nos musées n'auraient certainement plus le même visage...
Et se dire que sans elle, les familles spoliées n'auraient certainement recouvré leurs biens.... Même si son combat que d'autres poursuivent, est loin d'être terminé....


PS : merci à Sandrine qui grâce à sa critique à mis ce livre sur mon chemin
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Instinct, organisation et efficacité, peu de personnages historiques peuvent rivaliser avec les qualités de Rose Valland.

Jennifer Lesieur a réussi un double coup : celui de l'enquête de vie de Rose Valland en parallèle du parcours des oeuvres spoliées pendant la Seconde Guerre Mondiale. Qui dit mieux ? Peu d'auteurs réussissent à nous transmettre autant d'informations sous la forme d'un roman d'enquête (si la dénomination m'est permise). Sans m'ennuyer une seule seconde durant la lecture des 230 pages, j'ai non seulement appris l'essentiel concernant les spoliations des différentes oeuvres d'art, mais aussi le parcours de celles-ci ainsi que leurs différents modes de restitution. le tout orchestré avec poigne par Rosa-Antonia Valland dite Rose.

L'autrice a été épaulée par Emmanuelle Polack, spécialiste des spoliations artistiques. Leur collaboration nous garanti, à nous les lecteurs, l'authenticité historique de ce fait dont on parle un peu plus depuis qu'en 1995, Jacques Chirac, lors de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv, a admis officiellement la responsabilité du gouvernement de Vichy dans la déportation des Juifs de France.
Récemment, en janvier 2023, un vote au Parlement d'une loi-cadre sur les restitutions, a en quelque sorte bouclé une page d'histoire, celle qui depuis plus de 75 ans méritait une reconnaissance.

Les grandes lignes du livre débutent par l'arrivée au Musée du Jeu de Paume à Paris de 400 caisses bourrées de toiles de maîtres, de sculptures, de meubles, de tapis, de tapisseries et d'objets précieux ; le tout sous les yeux d'une discrète jeune femme de 42 ans -Rose est née le 1er novembre 1898- diplômée à la fois par l'Ecole Normale de Grenoble à 16 ans mais aussi les Beaux-Arts de Lyon.
A une époque où « l'on préférait une femme éduquée à une femme instruite », Rose a écouté son coeur et fort heureusement d'ailleurs, puisque cette passion portera ses fruits lorsque musées et familles spoliées pourront revoir leurs merveilleux objets. En 1949 on suivra le rapatriement de 61 233 objets culturels : 45 441 seront rendus.
Rose Valland mérite largement qu'on ait créé une association à son nom et des livres tels que celui-ci.

Jennifer Lesieur note en passant que « le rôle de la Dame du Jeu de Paume avait été minimisé » et que sa participation « a été subtilement gommée dans l'histoire inachevée des restitutions des biens culturels des victimes des pillages et des spoliations ».

En parallèle du parcours de vie de Rose, l'autrice situe précisément l'Histoire avec un grand H. Entre Anschluss et fausses promesses de paix, évacuation des tableaux pendant la guerre en Espagne, virées du Reichsmarschall Goering à Paris au moment de l'armistice, folie des grandeurs d'Hitler qui prévoit Sa ville natale Linz comme allant devenir La plus grande ville culturelle, ou encore les oeuvres de Modigliani, Picasso, Chagall évacuées vers Chambord, nous suivons facilement le pan historique présenté par l'autrice. En fin de livre elle partage une généreuse liste de ses sources afin que nous puissions pousser davantage nos connaissances, si affinités.

En refermant le livre je me suis promis de lire une des biographies écrites par Jennifer Lesieur, celle d'Alexandra David-Néel, par exemple.
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Un nouveau récit sur une héroïne de l'ombre qui a magistralement oeuvré pour sauver du pillage orchestré par les sinistres sbires, entre autres Göring, au service d'Hitler, des tableaux et objets d'art rassemblés au Musée Du jeu de paume.

Rose Valland sur délégation de Jacques Jaujard directeur du Louvre, s'est employée avec une efficacité redoutable pour repérer, noter, inventorier tous les objets d'art que les nazis avaient sélectionnés pour se les approprier et les faire expédier en Allemagne.
J'avais lu le front de l'art de Rose Valland qui est incontournable, et celui-ci l'est tout autant pour suivre toutes les péripéties traversées au péril de sa vie, car Rose dotée d'une mémoire visuelle phénomènale notait tout de retour chez elle, description de l'objet, son origine, l'identité des propriétaires, le lieu de destination....

L'autrice met l'accent aussi sur la mission de récupération en Allemagne que Rose Valland a pu mener plusieurs mois après la libération.
Grâce à sa détermination de nombreuses oeuvres ont pu être rapatriées. Je n'ai plus les chiffres exacts en tête car j'avais emprunté ce livre, mais le sauvetage est colossal.
J'ajoute que ces deux passionnés d'art Rose Valland et Jacques Jaujard n'ont pas été assez reconnus et sont restés dans l'oubli trop longtemps.

Démis lâchement de ses fonctions par A. Malraux, ministre dont l'intégrité est écornée suite au vol de bas relief cambodgiens, J.Jaujard décédera un an plus tard.
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critiques presse (1)
LaCroix
26 juin 2023
La vie de Rose Valland, qui a sauvé 60 000 œuvres d’art pillées par les nazis lors de la Seconde guerre mondiale, se lit comme un roman d’aventures dans un récit historique passionnant.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Mais comme ces tableaux qui réapparaissent parfois, bien des années plus tard, dans des lieux insoupçonnables, des secrets sortent encore des limbes de l'histoire. Des hommes et des femmes continuent de consacrer leur vie à retrouver, et à restituer, ces oeuvres arrachées par la violence à leurs propriétaires, à réparer des torts que personne n'a oubliés. Et à perpétuer ainsi ce geste simple pour lequel Rose Valland s'est battue jusqu'au bout : ramener un tableau chez lui, le raccrocher au mur de ceux qui l'ont aimé, et le contempler, l'âme en paix.
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Un fourmillement nerveux précéda son arrivée.
Le 3 novembre 1940, des soldats allemands vidèrent 400 caisses déposées l’avant-veille au musée du Jeu de Paume. Elles contenaient des toiles de maîtres par centaines, des sculptures, des meubles, des tapis et tapisseries, des objets précieux qui furent disposés, en un jour et une nuit, dans les espaces du bâtiment. L’accrochage fut rapide, précis, dans une agitation que les musées, en temps normal, ignorent. Au bout d’une centaine d’allers-retours entre l’entrée et l’étage, le mouvement ralentit, s’arrêta, et le silence revint. Jamais exposition n’avait été plus vite mise en place. Jamais le Jeu de Paume n’avait vu une telle profusion de chefs-d’œuvre.
Le matin venu, le maître des lieux passa en revue les salles de son seul œil valide, mains derrière le dos, un sourire satisfait aux lèvres. Le baron von Behr, un nazi de haute taille, sanglé dans un grand uniforme de la Croix-Rouge allemande, n’y connaissait pas grand-chose en art, mais assez pour deviner la qualité de l’ensemble. Pas de doute, son équipe avait bien travaillé.
Puis on attendit.
Enfin, une berline noire fit crisser le gravier devant l’entrée. Un ordre claqua, les sentinelles armées se figèrent au garde-à-vous. Une masse énorme s’extirpa gauchement de la portière arrière. La mine bonhomme, vêtu d’un manteau trop long qui élargissait encore plus sa silhouette, coiffé d’un chapeau informe, le Reichsmarschall Goering tendit une main potelée à celle, sèche et ferme, du baron, incliné en profond respect. Ils franchirent la porte, et le numéro 2 du Reich laissa échapper un grognement d’aise.

(INCIPIT)
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La Jeep tressautait sur une route semée de roches, de trous, de tiges de fer tordues. En ce mois de mai 1945, c’était comme si l’Allemagne avait implosé. Les grandes villes n’étaient plus que de gigantesques ruines fumantes, des montagnes de décombres sur lesquelles grimpaient des femmes et des enfants en haillons, à la recherche de quoi survivre encore un jour, dans un territoire dont l’avenir dépendait désormais de quatre puissances étrangères.
Rose avait la nausée. L’Allemagne, ce pays qu’elle foulait pour la première fois, qu’elle avait aimé à travers sa musique, sa littérature, ses artistes, avait été pulvérisée par la folie d’un homme. Folie devenue inflammable, collective, muant une promesse de grandeur en abîmes de sauvagerie.
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Même une innocente danseuse de Degas avait été mise au pilori. Fallait-il qu’ils soient fragiles, ces Aryens dits « supérieurs », pour craindre que les carnations rosées des femmes de Renoir leur pervertissent l’esprit… Ces officiers sûrs d’eux, persuadés d’être de la race des guerriers, destinés à gouverner le monde, étaient anéantis par les reflets fauves d’un Vlaminck ! Les visages tordus de souffrance de Kokoschka les révulsaient, alors qu’ils se réjouissaient de les voir sur leurs victimes, et qu’ils adulaient la face écumante de Hitler vociférant ses discours hystériques.
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Alors que la désolation des villes l’avait bouleversée, Rose fut éblouie par leur longue route dans la campagne bavaroise. Mais bien vite, à cette beauté se mêla un malaise diffus. Comment croire que ces collines douces, ces forêts odorantes et ces villages paisibles avaient vu éclore puis glorifier l’idéologie la plus mortifère de l’histoire ? Rose réalisa soudain que quelque chose d’essentiel manquait dans ce paysage préalpin. Des êtres vivants. C’était une gifle de plus pour les civils : seules les feuilles et les fleurs avaient survécu au dernier hiver de la guerre. L’été allemand ressemblait aux étés des pays vainqueurs, l’humanité en moins.
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Les écrivains et le suicide

En 1941, cette immense écrivaine, pensant devenir folle, va se jeter dans une rivière les poches pleine de pierres. Avant de mourir, elle écrit à son mari une lettre où elle dit prendre la meilleure décision qui soit.

Virginia Woolf
Marguerite Duras
Sylvia Plath
Victoria Ocampo

8 questions
1711 lecteurs ont répondu
Thèmes : suicide , biographie , littératureCréer un quiz sur ce livre

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