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Critique de AgatheDumaurier


Troisième lecture des Bienveillantes depuis 2006...Je n'ai jamais réussi à en faire la critique tant l'oeuvre me paraît puissante...Une sorte d'Everest...
Jonathan Littell plante profondément ses griffes dans la civilisation occidentale, jusqu'à la Grèce antique, pour trouver les racines du mal, et, il me semble à présent, réécrit plutôt l'Orestie dans le contexte de la seconde guerre mondiale qu'il ne fait l'inverse (la guerre saupoudrée d'allusion au mythe d'Oreste et des Atrides)...Les grands berceaux de la civilisation, la Grèce, mais aussi la France des Lumières, omniprésente dans la culture du narrateur, notamment par son amour de Rameau, ses lectures philosophiques, sa passion pour Watteau, toute son éducation dans les classes préparatoires parisiennes, la pensée kantienne, son impératif moral, le développement de la science au XIXème siècle, Darwin, physique, chimie, médecine, transport, armement, tout le progrès de la pensée et de la connaissance depuis Socrate se retrouve convoqué au grand tribunal de l'après-guerre, l'autre tribunal de Nuremberg, celui qui juge l'homme occidental moderne et qui le déclare : fondamentalement mauvais. Et sa civilisation : perverse. Dominatrice, impérialiste, exterminatrice,sans pitié, monstrueuse. Les allusions sont nombreuses aux exterminateurs qui ont précédé les nazis : la conquête de l'Amérique par les Occidentaux, le génocide parfait, admiré par Hitler et pris comme base de travail par Eichmann (exil, extermination, réserves indigènes...), la colonisation par la France, l'Angleterre, la Belgique de l'Afrique ou de l'Asie (l'Allemagne n'a pas assez d'expérience en ce domaine, pense le narrateur, d'où ses ratés au début en Ukraine...), la révolution bolchévique et ses grands massacres etc...
Les mille-quatre-cents pages du roman interrogent l'homo occidentalis dans sa conviction d'être l'incarnation de la raison, de la science, de la Loi, du progrès infini de la pensée humaine. Il interroge donc la pensée même où nous vivons depuis la renaissance, elle-même répétition de l'antiquité gréco-latine : la raison humaine est le coeur du système, et elle est bonne. L'homme est bon, disent les Lumières, il faut l'éduquer et il donnera la pleine mesure de sa bonté. La science marche avec cette raison, et elle améliorera le sort de l'homme, dit le XIXème siècle. Et les deux guerres mondiales apportent un démenti farouche à cette idée. Les discours des nazis très éduqués de ce roman montrent comment la raison peut être aisément pervertie, comme il est facile de la retourner pour lui faire dire n'importe quoi, ainsi qu'à la science. Tout est léger dans notre cerveau, nous nous prenons très au sérieux,mais nous sommes idiots : à l'impératif catégorique de Kant, je peux faire dire n'importe quoi, car à quelle loi obéit-il ? A La loi du führer, qui est la loi du Volk allemand, donc, comme la loi du Volk allemand est l'unique Loi, ce que dit le führer est l'impératif moral et permet l'assassinat des Juifs et de tous ceux qui s'opposent au Volk. CQFD.
Darwin : le plus faible doit mourir, c'est une nécessité. Merci Darwin. Etc etc...Les syllogismes s'enchaînent, justifiant le pire, avec des imbéciles armés jusqu'aux dents, comme dirait l'autre. Que reste-t-il de l'homme des Lumières ? du philosophe grec, du scientifique ? Cendre et poussière. Nous vivons dans un monde post-apocalyptique, depuis la Shoah, depuis Hiroshima. Nous avons tout détruit, nous avons tué nos parents, nos frères, nos soeurs, et, comme Max Aue, Oreste, le narrateur, nous délirons tellement que nous ne le savons même pas.
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