AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Les Yeux fardés (52)

Et nous faisons des détours si prodigieux que nous finissons par perdre le fil de nos propos. On pourrait presque s'imaginer égaré parmi le lierre de tant de vécu accumulé. Le plus curieux est que nous le réalisons immédiatement. Moi, en tout cas, j'en suis tout à fait conscient. mais franchement, c'est tellement amusant de tirer les tiroirs de notre tortueuse cervelle où reposent nos expériences, de voir comment elles se sont fardées avec le poids des ans, que je ne sais plus m'en passer. Comme des enfants, nous jouons à nous perdre dans ce labyrinthe, en pensant présomptueusement que nous avons vécu les petits trésors d'un monde qui ne se répétera plus.
Commenter  J’apprécie          300
De toutes ces belles choses qui furent balayées en même temps que la République, l'Ecole de la Mer est pour moi une des plus exceptionnelles. Au sein de tout ce chaos politique, du soulèvement social, de la lutte et de la confusion des valeurs, quelqu'un pensait fermement que l'avenir du pays et du monde devait passer par l'éducation des enfants. Comprenez-vous ce que cela représentait ? Au milieu de l'hécatombe que connaissait notre pays, et que malgré notre âge nous pressentions déjà, pendant que les gens s'entretuaient dans les rues, que les bombes des attentats ouvriers faisaient sauter des entrepreneurs, que les pistolets des mercenaires engagés par les industriels tuaient des travailleurs, et que des assassins institutionnalisés préparaient la destruction de la République, pendant ce temps, des hommes et des femmes oeuvraient pour donner un sens à l'un des plus beaux mots qu'on puisse trouver dans un dictionnaire, enseignement. p 47
(...) La devise de l'école était la suivante : " Apprendre à Penser, à Ressentir, à Aimer". p 48
Commenter  J’apprécie          300
Et ce fut ainsi, involontairement, que nous assistâmes de la mer au bombardement de Barcelone. J'espère que vous ne serez pas étonné si je vous dis que ce que je vis me fit une impression aussi terrible que merveilleuse. De ce lieu privilégié, nous apercevions l'immense dos de la ville qui monte jusqu'au Tibidabo exploser en étranges volcans de feu qui s'élevaient par rafales et dessinaient un chemin de terreur tracé depuis le ciel. Nous aperçûmes également les énormes projecteurs de la défense antiaérienne lancer leurs faisceaux de lumière en direction de la nuit, tournant dans tous les sens pour tenter, en vain, de chasser les faucons que nous distinguions parfaitement de là où nous étions. Les batteries situées sur les hauteurs de la ville et du Carmel tiraient à l'aveugle vers un endroit du ciel éloigné de celui où volaient les bombardiers. Quelle image monsieur le réalisateur! Ah, si je savais vous la décrire mieux que cela ! Avez-vous quelquefois imaginé la beauté de l'apocalypse. Eh bien de là où nous nous trouvions, en pleine mer, là où le reflet de l'horreur se multipliait sur l'eau calme, nous étions des spectateurs bouleversés. Et émerveillés.

Barcelone fin 1937 - Germinal 17 ans - d'une barque de pêcheur - page 185
Commenter  J’apprécie          283
On me baptisa Germinal. C'était un prénom qu'à l'époque on donnait aux enfants des ouvriers athées, impies, révolutionnaires, anarchistes, communistes, syndicalistes et généralement gens de mauvaise vie. Finalement, aux enfants des modestes travailleurs, plutôt agnostiques, qui voulaient changer le monde pour vaincre leur misère et préféraient le prénom d'un diablotin à n'importe quel autre trop bien vu par une Eglise qu'ils sentaient très loin d'eux ou plutôt trop proche des prétendus gens biens. Le fait que mon père se fasse embaucher au port et que la vie se complique après son adhésion au syndicat me fit perdre toute éventualité de porter un prénom en rapport avec les Evangiles.

Page 19
Commenter  J’apprécie          282
Lentement, me regardant dans les yeux, il me parla comme s'il récitait une leçon apprise pour l'occasion :

- Germinal, il y a quelques années j'ai lu un livre où on raconte que souvent, trop souvent les pères meurent sans avoir dit à leurs enfants combien ils les aiment. Je sais que je ne me suis pas toujours bien occupé de toi, avec tout ce travail sur les quais et tout ce militantisme de merde, mais à présent, avant d'y aller, je voudrais te le dire. Mieux encore, je voudrais que tu m'entendes te le dire : je t'aime, Germinal. Tu es ce que j'aime le plus au monde. Je voudrais que ça reste gravé dans ta tête, aussi vide que la mienne, me dit-il en souriant et en caressant mes cheveux. Tu es mon fils, la personne que j'aime le plus au monde.

Je compris qu'il était en train de me faire ses adieux au cas où il ne reviendrait pas. Je ne pus éviter de fondre en larmes, à mon grand dam, car je voulais qu'il me voie à ses côtés comme un garçon courageux et pas comme un petit pleurnicheur à la manque.

Barcelone - 19 juillet 1936

page 112
Commenter  J’apprécie          252
C’était une époque où on croyait encore à l’être humain comme à une entité unique, qui méritait d’avoir une chance face à son destin et qui était doté d’une générosité magnifique. Vous imaginez ça, au début du XXIe siècle ? Pas moi. Ou est-ce seulement lorsque les collectivités sont confrontées à des périodes de difficultés exceptionnelles que se créent les conditions pour que l’épopée de l’humanisme des meilleurs se révèle avec éclat ? Je l’ignore, voyez-vous. Mais même si pour rien au monde je n’aimerais revivre les moments horribles que j’ai dû traverser pendant ces années-là, je vous avouerai que secrètement, presque honteusement, j’en ressens une certaine nostalgie. Le souvenir du fantastique courage des résistants persiste au fond de moi, la faculté de toujours capter l’imposante grandeur des sans-noms. Ce doit être grâce à eux, ou seulement par eux, que l’humanité mérite son avenir.
C’était une époque intense, peu encline au calme ou à la réflexion, qui palpitait à une vitesse démoniaque. p 108
Commenter  J’apprécie          220
J'appris plus tard que de nombreux fuyards avaient été exécutés à l'endroit même où ils avaient été pris, fusillés par les restes d'une armée qui elle aussi fuyait. Vous imaginez la perversion ? La logique des guerres est souvent une exaltation des toutes les irrationalités possibles.
Commenter  J’apprécie          190
C'est souvent pendant les cataclysmes de l'humanité, monsieur le réalisateur -- vous permettez que je vous appelle Lluis ? --, que la noirceur et l'égarement intimident le monde, et que surgit la lumière solitaire des gens. Et ces petites, ces infimes particules de toute une collectivité prennent une dimension épique qui se répand avec une puissance inédite et finit par illuminer l'existence de ceux qui les entourent et, de temps en temps de l'humanité toute entière. p 107
Commenter  J’apprécie          180
Les senteurs de la mer étaient là, dans notre quartier, suspendues dans l'air et toujours prêtes à ce que n'importe quelle brise les fasse circuler le long du réseau des ruelles, passer par les minuscules portes des maisons, grimper les escaliers modestes et sombres jusqu'à nos étages, pour pénétrer dans les appartements et prendre possession des objets, des armoires, des tapis, des draps... Mais c'est surtout de nous qu'elles prenaient possession.
Commenter  J’apprécie          140
Dans mon souvenir, l'appartement de mes parents n'est pas si minuscule que je sais aujourd'hui qu'il était. J'imagine qu'un enfant ne vit pas seulement dans l'espace que délimite son corps, mais aussi dans celui qu'il parvient à envahir grâce aux jeux de ses rêves.
Commenter  J’apprécie          140






    Lecteurs (603) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Littérature espagnole au cinéma

    Qui est le fameux Capitan Alatriste d'Arturo Pérez-Reverte, dans un film d'Agustín Díaz Yanes sorti en 2006?

    Vincent Perez
    Olivier Martinez
    Viggo Mortensen

    10 questions
    95 lecteurs ont répondu
    Thèmes : cinema , espagne , littérature espagnoleCréer un quiz sur ce livre

    {* *}