L'identité à travers l'exil et l'actualité
Il n'existe pas de mot dans la langue tchétchène pour désigner l'amour entre deux personnes du même sexe. Oumar, émigré aux Pays-Bas, découvrira que son désir pour les hommes connaît une réalité et peut même être désigner : il est homosexuel. Mais il est aussi tchétchène. Comment vivre sa vie entre le poids de ses origines et son nouveau droit à la liberté, surtout quand celle-ci est dynamitée par l'islamisme qui gangrène sa famille ?
Nous sommes à La Haye en 2017. Une bombe explose dans un lycée : « vingt enfants tués. Un homme qui pose une bombe à l'heure du déjeuner, pour tuer des écoliers dans un pays en paix ». L'effroi envahit les hollandais. La terreur a encore frappé.
Très vite, un élève est soupçonné. Il s'agit de Kirem Akhmaïev. D'origine tchétchène, ce jeune garçon a rejoint, accompagné de sa mère Taïssa et son cousin Makhmoud, son frère aîné, Oumar, qui avait pu s'exiler quelques mois plus tôt aux Pays-Bas pour y suivre des études et fuir son pays ravagé par la guerre qui le brûle depuis tant d'années.
Oumar le solaire, sociable et intégré, et Kirem, éteint et renfermé, englué dans une idéologie qui petit à petit le détruit, appâté par Makhmoud le fanatique.
La professeure de russe de Kirem est tchétchène elle aussi. Mais contrairement au jeune garçon, celle-ci cache ses origines de peur de l'amalgame avec les exactions terroristes dont s'est si souvent rendu célèbre son pays. Son passé la rattrape. Pourquoi n'a-t-elle rien vu venir ?
Alissa Zoubaïeva, c'est son nom, a pu elle aussi se réfugier à La Haye, ville internationale et cosmopolite, promesse de tous les possibles, fuyant la violence de son pays. Écrasé par l'ogre russe, la « kkheram », cette idée de la peur plus forte encore que notre mot « terreur » semble inscrite dans la culture tchétchène. Villes détruites, maisons dévastées, peuple brisé. On vit souvent entre deux murs en ruine dans ce pays du Caucase, où les habitants ne sont pas de type caucasien comme l'entend l'Occident. Leur religion étouffée, opprimés pour ne pas être assez russe, les Tchétchènes s'enlisent dans une révolte sans fin face au puissant maître colonisateur, qui ne laissera jamais de liberté à ce territoire grand comme un confetti de son empire. Intérêt stratégique, géopolitique, arrogance des puissants.
La terreur sera son arme de résistance. Métro, aéroport, immeuble, prise d'otage du théâtre de la Doubrovka en 2002, ou celle de l'école de Beslan en 2004 et ses 334 morts dont 186 enfants. Les Tchétchènes deviennent célèbres de par leurs attentats. La montée des islamismes achèvera le portrait de ce petit territoire musulman.
C'est pour toutes ces raisons qu'Alissa cache ses origines et se jette dans une intégration effrénée, quitte à renier sa culture, marquée encore au corps par son passé de frayeur.
La Tchétchénie la rattrape. Elle se sent coupable de n'avoir pas repéré l'isolement de Kirem et son endoctrinement extrémiste. La police a besoin d'elle. Elle se fera traductrice., quitte à passer dans les yeux de sa conscience, pour une « Iamartkho », une traître, bafouant le code d'honneur de sa culture : la loi du silence
Oumar, La Haye fut son refuge, s'échapper de la guerre, mais s'échapper aussi des conventions. Il se fera appeler Adam, pour s'intégrer plus facilement, mais aussi et surtout pour se dédouaner aux yeux « des règles ancestrales ». C'est plus facile pour porter un pantalon moulant ou illuminer sa peau de poudre claire.
Oumar est homosexuel mais il ne le sait pas, car aucun mot dans sa langue ne désigne ces personnes qui l'attirent et lui ressemblent : il les a vu un jour à la télévision tchétchène, nommées par le présentateur « stigal basakh vol stag », Des hommes couleur de ciel.
Sont-ce les couleurs du « rainbow flag » fièrement arboré sur le fronton de la mairie hollandaise ? Symbole de la liberté pour tous les homosexuels, ce drapeau sera l'étendard de son émancipation.
Contre les traditions qui l'écrasent, la honte qui le menace et le silence qui le condamne, Oumar deviendra Adam.
« Un Tchétchène homosexuel doit vivre caché ou mourir ». Une fois son secret révélé, sa « fragilité incandescente » suffira-t-elle à le sauver des griffes de son passé. Entre un code d'honneur mortifère, un frère assassin, un cousin fanatique, Oumar pourra-t-il être libre et « vivre une vie vierge de tout déterminismes » avec pour ambition la liberté d'exister.
À la fois pudique et sociologique, le récit d'Anaïs Llobet fascine et séduit. de sa plume sensible elle arrive à relier les questions d'identité, les mutations que vous imposent l'exil et la tragédie de l'homosexualité dans une culture qui ne la reconnaît pas, le tout dans un contexte de terrorisme fictif mais parfaitement vraisemblable. Journaliste pour l'AFP à Moscou pendant cinq ans, elle connaît son sujet et sait nous le raconter. Sensible et juste !
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