Jusqu'où peut aller l'exclusion à la suite d'une rumeur sans fondement lancée par dépit ? C'est la question judicieuse que pose cette bande-dessinée douce-amère intelligente.
Merel est une femme d'une quarantaine d'années, qui vit dans le petit village belge où elle a grandi, entourée de sa bande d'amis de toujours, en majorité des hommes, et avec qui elle partage foot, bières et bonne camaraderie. Sans enfant et presque sans attaches, elle vit une vie libre et sans contraintes, heureuse dans sa profession d'éleveuses de canards. Mais un soir, la blague malencontreuse qu'elle lancera pour rire à Suzie sur son mari, un ami, passera particulièrement mal et ce sera la catastrophe : lui faisant porter la faute d'un mariage qui bat de l'aile, Suzie lancera la rumeur selon laquelle
Merel est une fille facile et une voleuse de mari…
Cette histoire pourrait être anodine, car qui accorde de l'importance à une rumeur portée sur une amie de plus de trente-cinq ans ? Cela pourrait prêter à sourire tellement c'est ridicule.
Sauf à partir du moment où rumeur il y a — d'autant plus qu'il y a toujours un idiot pour dire qu'il n'y a pas de fumée sans feu —, l'enchaînement façon jeu de dominos est dramatique : un « ami » accuse
Merel de l'avoir accosté alors que c'est l'inverse, le reste de la bande, y compris la meilleure amie, suivra le mouvement et lui tournera le dos sans se poser plus de questions et les ados désoeuvrés du village, intrigués par cette histoire et par l'odeur du sang, commenceront à harceler
Merel jusqu'au drame… sans que celle-ci, impuissante et profondément gentille, ne se résolve a réagir. J'ai d'ailleurs eu envie à plusieurs reprises de la secouer un peu !
Effets de meute, amour des commérages et méchanceté aveugle pour qui est identifié comme plus faible, «
Merel » remue les mauvais instincts qui animent les membres d'un petit village qui s'ennuie.
Merel, qui refuse de rendre coup pour coup, est admirable face à la veulerie de personnes non concernées mais qui retournent quand même leur veste face à quelqu'un qui ne leur a rien fait. Cette histoire banale mais affreuse est très crédible, tellement que ça ne réconcilie pas forcément avec l'espèce humaine…
Le seul reproche à cette bande dessinée est sa fin, qui se résout de manière convenue et un peu facile. Peut-on tourner la page aussi vite quand on a été tellement vilipendée ?
Les dessins de
Clara Lodewick rendent particulièrement bien les expressions du visage, et des couleurs nettes et tranchées rendent agréablement bien.