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Citations sur Une histoire des abeilles (64)

Tout le monde allait chez l’orthodontiste, de nos jours: le charme des dentitions particulières avait disparu
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Bien vite, ma mère se détacha du monde comme les pétales de fleur qui s'envolent à la fin du printemps.
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Je connaissais l’histoire de François Huber depuis mes études, mais je ne m’étais jamais plongé dans ses théories. L’homme était né dans une famille suisse très aisée en 1750. Convaincus que leur fils s’illustrerait et que son oeuvre passerait à la postérité, ses parents firent en sorte qu’il n’eût jamais à travailler. Dès son plus jeune âge, le petit François s’employa à satisfaire son père, veillant tard dans la nuit sur des ouvrages ardus, ses yeux brûlants laissant échapper des larmes de douleur. Mais ce rythme, peu à peu, le rongea : les livres ne l’entraînaient pas dans le monde des Lumières, mais dans celui des ténèbres.
À quinze ans, il était presque aveugle. Il fut envoyé à la campagne pour se reposer, avec interdiction de s’adonner à l’étude. Tout juste était-il autorisé à participer à certains travaux de la ferme. Cependant, le jeune François ne goûtait guère l’oisiveté. Il n’avait pas oublié les espoirs que l’on avait placés en lui, et la cécité ne représentait pas un obstacle, mais une opportunité : ce qu’il ne pouvait plus voir, il pouvait toujours l’entendre, or le monde autour de lui grouillait de vie. Les oiseaux chantaient, les écureuils grognaient, le vent soufflait dans les arbres et les abeilles bourdonnaient.
Les abeilles, surtout, retinrent son attention.
Il se lança dans un travail de recherche en bonne et due forme et jeta sur le papier les bases de l’ouvrage que je tenais entre mes mains. Secondé par son secrétaire, François Burnen, il entreprit d’étudier le cycle de vie des abeilles à miel.
Leur première grande découverte porta sur la reproduction. Bien que de nombreux scientifiques à différentes époques eussent longuement observé la vie à l’intérieur de la ruche, personne n’avait jamaisassisté à la fécondation de la reine. La raison en était simple : Huber et Burnen découvrirent que la fécondation se produit à l’extérieur de la ruche, au moment où les jeunes reines s’envolent dans la nature. À leur retour, les reines sont pleines de sperme et chargées des organes reproducteurs des faux bourdons, arrachés lors de l’accouplement. Comment la nature peut-elle exiger un tel sacrifice de la part des faux bourdons ? Huber n’élucida jamais ce mystère. Ce que l’on découvrit plus tard, c’est que la nature exigeait encore plus des mâles : la mort les attendait après l’accouplement. Peut-être était-il préférable que Huber ne le sût jamais… À côté de ses travaux d’observation, Huber participa à l’amélioration des conditions de vie des abeilles en concevant un nouveau type de ruches.
Pendant des siècles, le contact des hommes avec les abeilles se limita à la capture de ruches sauvages, des gâteaux de cire en forme de demi-cercle que les abeilles construisaient dans les branchages ou les anfractuosités. Mais avec le temps, l’or produit par ces insectes devint une obsession telle que les hommes tentèrent de les domestiquer, d’abord avec des ruches en céramique aux résultats peu concluants, puis grâce à des ruches en paille, les plus communes en Europe à l’époque de Huber. Dans ma région, ce type de ruches demeurait majoritaire ; dans les prés ou au bord des chemins, elles avaient le mérite de se fondre dans le paysage. Jamais néanmoins je ne m’étais penché sur le sujet : leur conception rendait l’observation des abeilles difficile, autant que la récolte du miel, laquelle demandait de presser les alvéoles de cire, et donc d’écraser œufs et larves, ce qui non seulement donnait un miel impur mais nécessitait de détruire les gâteaux de cire, où vivaient les abeilles.
Voilà pourquoi Huber s’employa à inventer la « ruche à feuillets », qui s’ouvrait comme un livre dont chaque page était composée d’un cadre destiné au couvain et au miel. Le principe me passionna et je me mis à en étudier attentivement les schémas. Les feuillets étaient esthétiquement remarquables, mais ne me semblaient pas si pratiques. Je sentais qu’il était possible de perfectionner leur agencement, d’imaginer un système qui permît à la fois de récolter le miel sans faire de mal aux abeilles et d’observer l’intérieur de la ruche, le couvain, la reine, la colonie entière. Je tremblais d’excitation : c’était ça que je voulais, c’était là que se trouvait ma passion. Je ne parvenais plus à détacher mon regard des dessins. Je voulais rentrer dedans. Entrer dans la ruche !
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Nous possédions trois cent vingt-quatre ruches. Trois cent vingt-quatre reines et leurs colonies respectives réparties dans l’exploitation, chaque endroit abritant rarement plus de vingt ruches. Dans un autre État, nous aurions pu en installer jusqu’à soixante-dix au même emplacement. Je connaissais un apiculteur dans le Montana qui en avait parqué près d’une centaine ensemble. La végétation là-bas était tellement luxuriante que les abeilles n’avaient que quelques mètres à parcourir pour trouver leur bonheur. Mais chez nous, dans l’Ohio, l’agriculture manquait de diversité. Le maïs et le soja s’étendaient sur des dizaines et des dizaines de kilomètres, limitant les sources de nectar.
Au fil des années, Emma avait peint chacune des ruches d’une couleur acidulée. Rose, turquoise, jaune citron, vert pistache : des coloris aussi artificiels que des bonbons aux colorants, édulcorants et autres additifs en E quelque chose. Elle trouvait ça rigolo. Pour ma part, ça ne m’aurait pas dérangé qu’elles restent comme avant : mon père avait toujours peint ses ruches en blanc, comme son père et son grand-père avant lui. Ils avaient coutume de dire que, l’important, c’était ce qui se passait à l’intérieur. Mais Emma soutenait que les abeilles aimaient ces couleurs, que ça rendait notre lien avec elles plus personnel. Elle avait peut-être raison, qui sait… Et puis, je dois avouer que la vue de ces cubes colorés éparpillés dans la nature comme des sucreries égarées de la poche d’un géant me faisait toujours chaud au cœur.
J’avais décidé de commencer par le pré, entre la ferme de Menton, la grand-route et l’étroite Alabast River – guère plus que le lit d’un ruisseau, malgré son nom. C’est ici que j’avais le plus de colonies. Vingt-six en tout. Je me dirigeai d’abord vers une ruche rose pétard. Être deux présentait un avantage : Tom tenait la caisse pendant que je remplaçais l’ancien plancher, sale et jonché d’abeilles mortes au cours de l’hiver. L’année précédente, nous avions investi dans des modèles grillagés munis d’une plaque. Ça nous avait coûté cher, mais ce n’était pas de l’argent perdu : mieux ventilée, la ruche était plus facile à nettoyer. La plupart des apiculteurs à la tête d’exploitations de la même envergure que la mienne ne prenaient pas la peine de changer le fond de la ruche à cette époque de l’année ; moi, j’étais contre le laisser-aller, et je voulais que mes abeilles vivent dans les meilleures conditions.
Les ruches fonctionnaient. Nous avions de la chance : les abeilles, calmes, furent peu nombreuses à s’envoler. Et quel plaisir de voir Tom travailler à l’air libre, vite et bien, comme dans son élément ! Je lui donnai des conseils pour positionner son corps.
– Fléchis les genoux au lieu de plier le dos, et pousse avec les jambes pour soulever.
J’en connaissais plus d’un qui avait fini avec un prolapsus, un lumbago ou ce genre de saloperies en forçant sur le dos. Or Tom, qui allait exécuter ce même mouvement des milliers de fois, en aurait besoin de nombreuses années encore, de son dos.
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TAO
District 242, Shirong, Sichuan, 2098

Tels des oiseaux disproportionnés, nous nous tenions en équilibre chacune sur notre branche, un bac en plastique dans une main, un plumeau dans l’autre. Je progressais lentement, avec le plus de précaution possible. Je n’avais aucune disposition pour l’escalade, contrairement à beaucoup d’autres femmes de l’équipe. Mes mouvements étaient souvent trop brusques, ma motricité fine pas assez développée, je manquais d’habileté. Je n’étais pas faite pour cette tâche, et pourtant chaque jour je devais passer ici plus de douze heures d’affilée.
Les arbres avaient atteint leur maturité de production, mais étaient encore jeunes. Leurs branches, aussi fragiles que du verre, craquaient sous notre poids. Je grimpai avec prudence pour ne surtout rien abîmer. Je posai mon pied droit sur une branche plus élevée encore puis hissai avec circonspection mon pied gauche. J’avais enfin trouvé une position sûre pour travailler, inconfortable mais stable. De là, je pouvais même atteindre les fleurs les plus hautes.
Le petit récipient en plastique était rempli d’un or vaporeux minutieusement pesé et distribué également à chacune d’entre nous tous les matins. Je plongeai le plumeau dans le bas et disséminai cette précieuse poudre autour de moi. Chaque fleur devait être pollinisée à l’aide de la balayette en plumes de poule, des poules de laboratoire conçues spécifiquement pour cet usage, car l’efficacité de leur plumage était supérieure à celle de n’importe quelle fibre artificielle. Une multitude de tests avaient été menés au fil du temps : dans mon district, ce savoir-faire remontait à plus d’un siècle. Les abeilles avaient disparu dès les années 1980, bien avant l’Effondrement, tuées par les insecticides. Quelques années plus tard, quand les substances en cause avaient cessé d’être utilisées, les abeilles étaient réapparues, mais la pollinisation manuelle avait déjà commencé et fournissait de meilleurs résultats, même si elle requérait un nombre de personnes – de mains – incroyable, colossal. Ainsi, lorsque survint l’Effondrement, mon district avait une longueur d’avance sur ses concurrents. Notre pays avait été le plus touché par les dégradations environnementales : pionniers en matière de pollution, nous étions devenus pionniers en matière de pollinisation manuelle. Ce paradoxe nous sauva.
J’avais beau m’étirer au maximum, la fleur demeurait hors de ma portée. J’étais à deux doigts d’abandonner, mais la crainte d’une sanction me poussa à persévérer. Un bac de pollen vidé trop vite pouvait nous valoir une retenue sur salaire. Tout comme un bac encore trop plein après des heures de labeur. Notre travail était invisible. Quand, à la fin de la journée, nous redescendions au sol, seules des croix rouges tracées à la craie sur le tronc des arbres – jusqu’à quarante, idéalement – indiquaient où nous avions pollinisé. Il fallait attendre l’automne, quand les arbres ployaient sous les fruits, pour savoir qui avait bien oeuvré. Mais souvent nous avions déjà oublié qui était passé par là.
Ce jour-là, on m’avait affectée à la parcelle 748. Sept cent quarante-huit sur combien ? Je l’ignorais. Nous n’étions qu’un groupe parmi des centaines d’autres. Dans nos uniformes beiges, nous nous ressemblions toutes, comme les arbres. Et nous étions aussi proches les unes des autres que l’étaient les fleurs. Toujours en groupe, perchées sur les branches ou marchant le long des ornières lors des changements de verger. La solitude, nous ne la trouvions qu’entre les murs de nos appartements exigus, à peine quelque heures par jour. Sinon, toute notre vie se déroulait à l’extérieur.
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J'avais réussi à supporter la disparition de ma mère. Elle était malade, âgée. Et puis, on l'avait placée dans un bon endroit apparemment, la maison avait l'air très bien sur la vidéo. Elle était entre de bonnes mains.
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Mais l'Effondrement toucha aussi les réseaux numériques. En l'espace de trois ans, ils furent anéantis. Il ne resta plus alors aux gens que les livres, les vieux DVD, les bandes magnétiques usées, les CD rayés contenant des logiciels dépassés, et le réseau hors d'âge de téléphonie fixe, qui ne tarderait pas lui-même à se désagréger.
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Et j'appris notre histoire. L'extermination des insectes pollinisateurs, l'élévation du niveau de la mer, le réchauffement climatique, les accidents nucléaires et ce qui était arrivé aux Etats-Unis et à l'Europe, ces deux anciennes superpuissances qui, en l'espace de quelques années seulement, avaient tout perdu. Faute d'avoir su s'adapter, elles vivaient désormais dans la plus profonde pauvreté, amputées de la majeure partie de leur population, avec comme Seules sources de subsistance le blé et le mais. Alors qu'ici, en Chine, nous avions réussi à nous relever. Le Comité nous avait dirigés d'une main de fer et sortis de I'Effondrement en prenant un cortège de de qu'il n'avait pas la possibilité de remettre en question. Tout cela, je l'avais appris.
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C'est pourquoi la première visite des ruches au printemps revêtait un caractère si particulier: revoir les abeilles, entendre à nouveau leur bourdonnement... Nous avions l'impression de fêter des retrouvailles.
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L'histoire était la même chaque fois. Des ruches en bonne santé, un stock de nourriture suffisant, un couvain et tout ce qu'il fallait. Et puis, en l'espace de quelques jours, de quelques heures même, les abeilles disparaissaient, abandonnant leur reine et tout le reste. Et ne revenaient jamais.
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