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Critique de Fabinou7


Maeterlinck au pays des mystiques.

“L'essentiel est invisible pour les yeux” disait le Petit Prince de Saint-Exupéry. Maurice Maeterlinck n'en pense pas moins dans ces petits essais mystiques rassemblés, à l'extrême fin du XIXème siècle, sous le titre “Le Trésor des Humbles”.

“Quelle est l'action de l'homme dont le dernier mobile n'est pas mystique ?”

Qui n'a pas déjà eu recours en dernier ressort à ces pensées magiques : si je ferme les yeux et compte jusqu'à cinq alors il ou elle devra me répondre, ou pensera à moi, ou bien les numéros du loto s'alignerons sous mes yeux ou encore je serai invincible face aux épreuves, du deuil à l'entretien d'embauche en passant par la paperasse administrative du dimanche soir ou les douleurs aux lombaires… dans l'obscurité relative de nos paupières complices, nous négocions inlassablement avec l'univers insondable de nos croyances mystiques…

Le dramaturge belge, auteur notamment de la pièce symboliste, puis Opéra de Debussy, Pelléas et Mélisande, nous donne les clés d'un royaume inodore, incolore mais pas indolore… Car il faut accepter un réel effort pour toucher du doigt ce que l'écrivain, après Novalis, Emerson, Plotin et les mystiques médiévaux semble avoir compris, l'auteur reconnaît d'ailleurs que cela demande un peu “d'ivresse d'âme” (on ne peut totalement se départir du soupçon d'un coup de pouce herbacé quelconque afin d'atteindre les hauts sommets fongiques de la mystique médiévale n'est-ce pas…).

“Les abeilles ne travaillent que dans l'obscurité, la pensée ne travaille que dans le silence, et la vertu dans le secret…”

Le chapitre introductif “Le Silence” est d'une richesse inégalée par le reste de l'ouvrage. Pourquoi cette peur du silence ? Peur de l'exigence requise pour mener une vie spirituelle ? Pourtant nous avons beau lutter contre ce “réveil de l'âme” il fait partie de nous, Maeterlinck soulignant que “l'élément spirituel parait lutter au fond de l'humanité comme un noyé qui se débat sous les eaux d'un grand fleuve”.

Maeterlinck voit dans la parole un obstacle au contact profond avec l'âme, avec l'invisible, pour lui, la parole étouffe la pensée. Mais se taire n'est pas chose aisée, nous ne sommes pas très à l'aise à laisser s'installer le silence entre nous et autrui. Peut-être nous sentons tous ce danger du silence, surtout lorsqu'il est partagé, Maeterlinck note que “même les plus imprudents ne se taisent pas avec le premier venu” comme si quelque chose de plus intime, de plus indélébile que des bavardages pourrait s'installer par le silence laissé entre deux êtres qui ne désirent pas se connaître… le silence est donc un “poids inexplicable” lorsqu'il est partagé et c'est pourquoi nous en sommes tous si “avares”.

Dans un monde en proie au bruit, où la nuisance sonore s'exerce toujours sur les plus faibles, que se soient les salariés plongés dans l'enfer de l'open-space face à la porte close du bureau insonorisé du chef de service, ou les immeubles proches d'une Gare ou du périphérique, avec leurs populations précaires exposées… le silence est pourtant, comme le souligne la philosophe Cynthia Fleury, une “ressource cognitive” indispensable à la production, la concentration, la démocratie la psyché et le sacré, “le fardeau sonore est toujours porté par les plus vulnérables” dénonce Fleury tout en déplorant que l'on assiste à une “confiscation du silence par les espaces de luxes” alors que c'est une “denrée essentielle pour le corps et l'esprit”, ce que confirme déjà Maeterlinck en écrivant “la pensée ne travaille que dans le silence”.

“ce qui nous distingue les uns des autres, ce sont les rapports que nous avons avec l'infini.”

Il ne faut pas aborder la “morale mystique” par le biais de la parole et du langage, toujours réducteurs, ils diminuent ce qu'ils veulent exprimer. Dans le silence, avant la raison qui “donne une forme arbitraire aux mouvements invisibles des royaumes intérieurs” nous ressentons l'indicible qui commande nos actions et notre sens de ce qui est juste.

Ces certitudes, “reines voilées” qui nous guident dans l'existence nous ne pouvons parvenir ni à les formaliser ni à en retracer l'origine profonde. Maeterlinck invite sans doute à être plus attentif à ces voix intérieures, ces intuitions sur les autres, qui ne reposent a priori sur rien, qui ne s'expliquent pas et qui pourtant nous font sentir “qu'il y a des êtres qui protègent dans l'inconnu et d'autres qui y mettent en péril”… qui n'a jamais eu ce pressentiment sur l'influence qu'une personne pourrait avoir sur sa vie.

Dans ces chapitres comme “le tragique du quotidien”, “la bonté invisible” ou encore “la vie profonde” l'auteur nous enjoint à mettre un pied dans les eaux “graves et inattendues” de la vie supérieure, à sculpter notre propre morale et trouver notre idéal dans l'humilité de la vie quotidienne.

Est-ce que Maeterlinck produit le même effet que les moines mystiques du Moyen-Âge, à savoir un égaré illuminé par une croyance dévoyée ? Malgré le risque d'extravagance associé à sa démarche, nous devons nous rendre à l'évidence que bien des intuitions nous parlent.

…Et pour celles qui nous parlent moins, il reste la beauté de la langue, sa poésie incontestée qui nous berce un peu comme si nous étions sur une planète inconnue, face à des couleurs et des formes dont nous serions témoins pour la première fois. Maeterlinck nous déconseille d'entrer dans la lecture des mystiques “par curiosité littéraire”, je dirais pourtant qu'il n'y a pas meilleure raison d'entrer dans “Le Trésor des Humbles”.

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