Citations sur Meurtres rituels à Imbaba (17)
« De quel genre de menace est-il question, au juste ?
– Le mieux est encore que je vous montre. » Faragalla prit un trousseau de clefs et ouvrit un tiroir dans lequel il farfouilla un moment avant d’en sortir une feuille de papier qu’il tendit à Makana. Quelques lignes serrées, imprimées en capitales, occupaient le centre de la page. Makana lut lentement : « As-tu vu celui qui s’est détourné de la Foi, qui n’a que peu donné et s’est ensuite rétracté ? Détiendrait-il la clef du mystère, au point d’y voir avec clarté ? »
« Qu’est-ce qui vous fait croire qu’il s’agit d’une menace ?
– C’est évident, non ?
– Vous trouvez ?
– Bien sûr. C’est un passage du Coran, j’ai vérifié. La sourate de l’Étoile.
– Ça n’en fait pas une menace pour autant. En tout cas, il n’est pas mentionné explicitement qu’on vous veut du mal. »
Faragalla agita une main en l’air, faisant trembloter la flamme de l’allumette qu’il tenait entre ses doigts. « Talal m’avait donné à entendre que vous aviez eu affaire à ces fanatiques et que vous reconnaîtriez aussitôt le danger.
– Fanatiques ?
– Vous savez… les islamistes. Les djihadistes. Ces gens qui veulent nous ramener au XIe siècle.
– Vous pensez que cette lettre, parce qu’elle contient une citation du Coran, constitue une menace ?
– Ça ne vous suffit pas ? » Faragalla souffla sur l’allumette et déposa dans le cendrier les restes carbonisés. « Laissez-moi vous expliquer une chose. Je dirige une agence de voyages. Depuis des années, nous faisons venir des Occidentaux dans ce pays.
– Depuis l’époque du roi Farouk, murmura Makana.
– Précisément. »
Mon grand-père a fondé cette agence à l’époque du roi Farouk. J’ai grandi en écoutant les glorieux récits de l’âge d’or, quand les touristes étaient des gentlemen et des ladies. Les temps ont changé. Nous avons aujourd’hui une clientèle différente, mais notre réputation remonte à ces années-là.
Pour Makana, c’était toujours un petit miracle que quelqu’un consente à l’engager. Une grande partie de son job consistait souvent à déterminer pour quelle raison on l’avait choisi, lui. Bien sûr, personne ne faisait vraiment confiance à la police, ce qui jouait en sa faveur.
Quelque chose, chez elle, ne cadrait pas avec cet environnement.
La mort d’un enfant, dans cette partie de la ville, ne retenait guère son attention.
La police, dont la présence était le plus souvent limitée, ne se donnait pas beaucoup de mal pour découvrir les coupables.
À côté de ceux pour qui l’ange était une présence bienveillante, un témoignage de la protection divine, d’autres, tout aussi nombreux, y voyaient un mauvais présage. Pourquoi s’était-il manifesté au moment où débutait cette série de meurtres ? Existait-il un lien entre les deux événements ?
Chaque fois que l’ange était repéré quelque part, la nouvelle se répandait en quelques minutes et des chrétiens s’attroupaient, mains jointes, chapelets aux lèvres, indifférents aux lazzis, aux obscénités et aux légumes pourris qu’on leur jetait à la face. Les télévisions, à leur tour, s’intéressèrent à l’affaire et, bientôt, dans les talk-shows comme dans les J.T., on parla de l’Ange d’Imbaba.
La vision de l’ange était perçue comme un prodige, la preuve que Dieu ne les avait pas abandonnés. Quelques adeptes, formant une petite secte assidue, se retrouvaient tous les soirs pour une veillée aux chandelles, agenouillés devant l’église, les mains jointes en un geste de prière, implorant un miracle. Pendant leur attente, ils guettaient du regard le moindre mouvement au-dessus de leurs têtes. Naturellement, les témoignages variaient. Selon les uns, la silhouette était menue ; d’autres la disaient immense. Certains affirmaient qu’elle était raide comme une statue, d’autres juraient qu’elle avait des ailes scintillantes, d’or ou d’argent. Elle irradiait comme si elle était en feu.
« C’est un signe, murmurait-on. Les choses vont bientôt changer. »
« Le bien prévaudra. Nos souffrances prendront fin. »
« Nous serons délivrés de cette épreuve. »
Ce n’était pas un bon moment pour les phénomènes sortant de l’ordinaire. Les gens avaient les nerfs à vif, s’emportaient facilement. L’apparition de cet « ange » coïncidait avec le meurtre de plusieurs garçons du quartier. Qui donc pouvait tuer un enfant, se demandait-on, et où était la police quand on avait besoin d’elle ? Trois cadavres avaient été découverts jusqu’à présent, et ce nombre menaçait chaque jour d’augmenter.