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Critique de VABO1


Émilienne Malfato nous offre un premier livre, court et percutant, récompensé par le prix Goncourt du premier roman 2021. Pour avoir vécu et travaillé en Irak on sent qu'elle a su s'imprégner de cette société confrontée au sang : celui de la guerre, des attentats et celui qui est censé réparer l'outrage, car " une femme déshonorée est une souillure que seul le sang peut laver".
On sait tous que le sang est une tâche indélébile, au propre et au figuré. Mais non, la sentence est annoncée dès le début et rien n'arrêtera la marche vers ce sang "purificateur".
Construit comme une tragédie grecque, où l'effroi et la sidération emportent le lecteur vers l'inéluctable, le choeur qui s'adresse à lui est celui d'une société enfermée dans des siècles d'asservissement de la pensée. Bien sûr les femmes sont les premières victimes : voilées dès leur adolescence, contraintes à une vie domestique dans laquelle elles se dissolvent, mariées sans amour... mais surtout propriété de leur père, frère ou mari. C'est aussi l'asservissement à un mode de pensée qui aliène et conduit chacun à reproduire le modèle patriarcal le plus primaire. La jeune femme, dont on ne connait pas le prénom (mais a quoi bon puisqu'elle est vouée disparaître y compris dans les souvenirs des siens) découvre avec peur qu'elle est enceinte de 5 mois. Celui qui aurait dû l'épouser est mort sans gloire dans un bombardement. Alors tour à tour, les membres de son entourage s'expriment.
Baneen, la docile belle soeur, "qui porte un enfant à naître". Deux enfants en gestation, deux destins tragiquement opposés !
Amir, le frère aîné qui a endossé, à la mort du père, le rôle "d'homme de la famille, dépositaire de l'autorité masculine". Souvent, dans pareil cas, le fils est plus rigoriste que ne l'était le père. Il dit "je suis l'assassin". Finalement il a conscience que sa mission est plus assassine que rédemptrice !
Mohammed, est mort et ne "sera jamais père jamais époux".
Le petit frère, Hassan, trop tendre qui refusera peut être plus tard d'être un assassin, mais dans l'immédiat "appartient encore au monde des femmes"...sa voix ne compte donc pas.
La mère, vieillie prématurément, qui a consciencieusement reproduit sur ses filles le carcan qui l'enserre et leur a bâti une prison. Elle est incapable de se révolter contre ces règles iniques et d'empêcher la mort de sa fille et son enfant.
Ali le jeune frère, plus modéré mais lâche, lequel gardera de sa soeur le souvenir de la virée qu'ils avaient fait ensemble dans Bagdad, mais il n'interviendra pas.
Layla, petite soeur, qui devient le prétexte pour justifier cette barbarie.
Entrecoupant ces chapitres, le Tigre, grand fleuve, nous parle du pays qu'il traverse, de la folie des hommes et du sang versé, des ruines et villes réduites en cendres, mais aussi des périodes fastes où la paix régnait. "Dehors, le fleuve était ruban argenté sous la lune". Cette phrase clôt le livre.... J'y ai vu l'évocation d'une dague.
L'épopée de Gilmanesh et Enkidu, première odyssée humaine, ponctue le récit et donne le titre du livre.
Enfin, admirez la sublime photo de couverture : on y voit deux femmes en abaya noir qui se font des confidences en riant. Elles cachent avec leurs mains leurs sourires (indécents?). Au premier plan une fillette, pas encore voilée, a déjà le réflexe de cacher sa bouche parce qu'elle a du sourire en entendant les propos des deux femmes derrière elle. En arrière-plan une main tenant une cigarette, probablement celle d'un homme de la maison qui surveille.
Dire en peu de mots et en une photo l'essentiel, c'est un témoignage fort et une grande signature, celle d'Émilienne Malfato. A suivre.
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