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Critique de Nicolas9


Le commissaire Lascano reçoit un appel tôt le matin : deux cadavres ont été découverts par un camionneur sur une route peu fréquentée bordant la rivière Riachuelo au sud de Buenos Aires. Nous sommes en 1979, en pleine dictature militaire, synonyme d'arrestations, de torture et souvent d'exécution pour des milliers de citoyens soupçonnés de sympathies avec la gauche...

Dans ce contexte tendu, Lascano sait qu'il doit opérer avec précaution, lui qui n'est pas particulièrement politisé ; ce qui ne l'empêche pas de travailler avec un maximum d'intégrité. Quand il arrive au bord du fleuve, un brouillard matinal épais estompe le paysage. Malgré sa prudence, il évite in extremis d'écraser les cadavres, déposés à même l'asphalte.

Pourtant, ce ne sont pas deux macchabées qui sont couchés devant lui, mais trois ! Et, manifestement, l'âge, l'habillement et le type de blessure révèlent d'emblée une chose : les deux « premiers » défunts dans la vingtaine, n'ont probablement pas été tués dans les mêmes circonstances que le solide quinquagénaire qui les accompagne vers l'au-delà.

En débutant son récit avec cette scène de crime relativement banale, Ernesto Mallo nous entraîne dans un monde kafkaïen où plusieurs réalités parallèles s'entremêlent avant de se heurter avec violence. Avec beaucoup de subtilité, l'auteur argentin (né en 1948) laisse transparaître le climat délétère qui régnait à l'époque des colonels en Argentine. Voyez plutôt.

Alors que Lascano arrête un proxénète qui met des filles de 16 ans sur le trottoir, il est contraint de relâcher immédiatement deux clients appartenant aux forces armées. Uniquement le maquereau et ses « collaboratrices » seront inquiétés.

Par contre, le lendemain matin aux aurores, à quelques centaines de mètres de son domicile, un escadron de l'armée prend violemment d'assaut un appartement hébergeant des militants « gauchistes » sans défense.

Seule une jeune femme en sortira indemne parce qu'elle réussit à s'enfuir par les toits. Les autres seront emmenés vers une destination inconnue, autrement dit un centre de torture. Pour couronner le tout, le logement sera ensuite consciencieusement pillé par des conscrits qui effectueront le « déménagement » avec un camion militaire. Naturellement, la police ferme les yeux.

Même si, par mon travail, j'ai largement entendu parler des ravages causés par les juntes militaires latino-américaines durant les décennies 1970-1980, jamais je n'avais lu le moindre témoignage direct de ces temps pour le moins sombres. C'est désormais chose faite avec ce très beau roman qui, on l'aura compris, va bien au-delà du simple « fait policier » pour nous immerger dans une réalité historique peu reluisante sans doute méconnue de beaucoup d'Européens.

Ernesto Mallo constitue une découverte inespérée et je compte bien poursuivre sans attendre l'exploration de son oeuvre.
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