Risquer sa peau tous les jours érodait les convictions. Frôler la mort les attaquait à la dynamite.
Depuis le meurtre de la rue des Barricades, seul Ethan intéressait les médias. Sa personnalité avait été disséquée sur toutes les chaînes et dans tous les journaux. C'était la même chose avec les attentats ; tout le monde connaissait le nom et le visage des terroristes ; les victimes, elles, étaient laissées au bon souvenir de leurs familles.
Dans l'inconscient collectif suintait une sensation de fin du monde. Le populisme et le fascisme gagnaient du terrain. Le terrorisme ouvrait la porte à une troisième guerre mondiale. Le cataclysme écologique planait de plus en plus bas, la pollution ne montrait aucun signe d'amélioration, les abeilles mouraient en masse, la vache folle et la grippe aviaire n'avaient pas dit leur dernier dernier mot. Quant à l'humanité, elle venait de s'effondrer à Alep.
Les mensonges que l’on se fait à soi-même sont les plus douloureux lorsqu’il faut voir la vérité en face.
Dans le monde moderne de l'éphémère, mieux valait accepter la précarité des choses, sous peine de souffrir indéfiniment.
Ce type venait de repousser dans une autre galaxie les limites de l’égocentrisme.
— J’ai combien de temps ?
— Un psy vient de partir d’Évry, ça ne devrait pas te laisser plus de quarante minutes
Madame Simon avait dit l’essentiel, Gange lui indiqua qu’il était temps d’y aller.
— Je peux l’embrasser avant de partir ?
Le lieutenant acquiesça et sentit son cœur se serrer devant la douleur de cette mère déposant un dernier baiser sur le front de son fils. Contre toute attente, l’adolescent déplia son bras maigre et attira la tête de sa mère contre la sienne. Cette fois, elle ne put réprimer ses sanglots. Aucun mot ne fut prononcé. Le dialogue était intérieur, jusqu’au moment où Ethan retira son bras pour reprendre sa position initiale. Gange sut que ces quelques secondes d’amour intense avaient redonné à la mère la force d’affronter les heures à venir. Elle serra une dernière fois l’épaule de son fils et sortit.
— La perquisition, ça a donné quoi ?
— Rien. Le môme a la tête perchée dans les nuages. Il veut être chercheur pour le bien de la planète.
— Aucun signe de radicalisation ?
— Il est à des années-lumière de toute religion. Sa dernière passion, d’après la mère, c’est de trouver un système pour dépolluer l’air des maisons. Il a écrit une vingtaine de pages là-dessus.
Gange aurait voulu répondre que ça n’avait aucune valeur en matière criminelle, mais le souvenir d’Helena Medj l’en dissuada. S’il avait accordé plus d’attention à l’intuition de la journaliste dans l’affaire de l’Abbaye blanche, le capitaine Michelet n’aurait sans doute pas été attaqué par une meute de chiens, il aurait conservé son œil et trois doigts.