J'ai toujours été un peu transparente, aussi volatile qu'un parfum qui ne tient pas une journée.
Je mange tout seul en bas, et je me sens con. Pourtant, je mange tout seul tous les jours, ou presque. C'est de savoir qu'elle est là-haut et qu'elle sait que je suis en train de manger en bas. Je suis allé la voir tout à l'heure. Enfin, voir… Pas vraiment : je lui ai demandé à travers la porte si ça allait, si elle voulait quelque chose. Elle a juste dit : " ça va, non merci ", d'une toute petite voix qui ment un peu. Plus de vingt-quatre heures qu'elle n'a rien mangé. A moins qu'elle ait des réserves dans son sac à dos, je ne sais pas.
Je ne suis rien... pour quiconque, et ce depuis toujours. Je ne compte pas. Je n'ai jamais compté, je n'étais pas assez, ou bien j'étais trop... mais jamais comme il l'aurait fallu. Jamais. Je suis au monde, m.ais je ne suis rien. J'existe mais je ne vis rien. Et ici, dans cet univers reculé où j'ai choisi d'échouer, je suis, encore une fois, une moins que rien, celle qu'on ne retient pas, qui ne compte pas. Invisible, aussi inutile et transparente que l'écume foulée par les sabots d'un cheval.
Je regarde ses mains pendant qu'il coupe les légumes, et je ne le pense plus du tout à la cuisine. Je les imagine sur moi.
Depuis presque sept ans, je navigue entre des femmes comme un bateau qui va d'ile en île pour faire escale. Seulement escale. Tout en évitant les récifs.
Envie de rien, force de rien. rester couchée, volets fermés. Attendre... attendre rien, sans conjuguer à aucun temps. Attendre que les secondes s'égrènent et tombent dans le passé, pour que le temps s'écoule calmement et passe, passe, passe... Juste respirer.
Je n'ai pas un cœur de sportive. j'ai un cœur de rien du tout, (…).
Mais on ne peut pas remonter le temps. Sinon, d'ailleurs, j'aurais rejoué le film de ma vie ; même si le grain du malheur avait été semé avant même ma naissance, peut être que j'aurais pu vivre autre chose ... autrement.
On peut vivre sans quelqu'un à côté de soi , non ? Même s'il manque quelque chose, un soutien, de la tendresse, le plaisir de partager des choses... C'est toujours mieux que d'être mal accompagné, et moi je n'ai su faire que ça : d'être mal accompagnée. Je suis toujours mal tombée, j'ai toujours trouvé des hommes qui voulaient mon corps sans mon esprit, ou alors m' "aimaient" avec des gros guillemets à la hauteur de la dimension pathologique de leurs attachements...
Voilà : je n'ai jamais été aimée "normalement". Je ne sais pas pourquoi. Est-ce de ma faute?
Quand on va mal, on ne voit pas bien les choses, on ne distingue rien ....