Elle avait parcouru son pays du sud jusqu'au nord, pris des risques inconsidérés pour échapper aux pisteurs, souffert de la faim, de la soif, de la chaleur et du froid, failli perdre la vie, et voilà que sa course pour la liberté allait se terminer là, sur le bord d'un lac dont elle ne connaissait même pas le nom!
Comme c'était difficile de trouver sa place quand on était entre deux mondes !
Liberté… Ce mot avait-il encore un sens ? La société à laquelle ils appartenaient désormais semblait ne pas le connaître. Le mot « travail » l’avait remplacé. Sans travail, l’homme n’était rien. Il n’existait que par ce qu’il produisait et qui lui permettait de gagner de l’argent : ces morceaux de papier qui procurent tant de choses inutiles. Ce monde était vraiment étrange. Tellement différent de celui qu’ils avaient connu ! Avant.
Ce Peuple du désert qui avait souffert de la colonisation essayait de s’adapter. Son retard sur la civilisation européenne était considérable. Les autochtones savaient que le temps n’était pas encore venu pour eux de se faire une place dans cette nouvelle société. L’arrogance des occupants, avides de possessions, frisait trop souvent le mépris.
La naissance d’un garçon assurait la pérennité du nom.
Elle apprenait aussi la patience, la déférence, la réserve. Son vocabulaire s’enrichissait de phrases élégantes. En revanche, elle était chagrinée de devoir renoncer à sa langue maternelle et à des croyances sans réelles correspondances avec celles enseignées à la mission.
Dans la salle de classe, elle se trouva confuse face au tableau noir. Elle ne comprenait rien aux explications. Quant aux signes alignés par la maîtresse – un nouveau mot à ajouter à son vocabulaire –, elle se demandait à quoi ils pouvaient bien servir. La connaissance de son peuple se transmettait par l’oral mais aussi par le dessin. Elle découvrait que l’anglais avait une écriture propre qui n’avait rien de commun avec les graffitis ou les peintures figuratives utilisés par les siens.
Pour les kangourous on a un autre mot. On dit qu’ils sont albinos. Je ne crois pas que ça les dérange. Chez eux comme chez les hommes, il existe des différences. Il paraît même que de l’autre côté des mers vivent des hommes jaunes. Et aussi des « Peaux-Rouges » ! On les appelle comme ça !
La civilisation n’avait pas que des avantages ; elle masquait bien des insuffisances. À vivre dans le luxe, les sociétés évoluées en perdaient le goût du naturel.
Il n’était pas facile de marier les jeunes gens sans qu’il existe entre eux une parenté. Il fallait absolument éviter la consanguinité, que la loi des Aborigènes comme celle de tous les peuples réprouvaient. Et leur situation était d’autant plus compliquée qu’ils vivaient en vase clos.