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Critique de CeCedille


Très satisfait de la sentence de ses juges, le Sénat de Milan fait construire en 1630 une colonne en mémoire du supplice des deux accusés d'avoir répandu la peste dans la ville. Mais il s'avère par la suite que la sentence était injuste. En 1777, l'écrivain italien Pietro Verri dans ses Observations sur la torture démontre l'innocence des malheureux condamnés. La honte change de camp. L'infamie devient celle des juges. La colonne est détruite en 1778, mais l'inscription est conservée au château des Sforza à Milan.

C'est cet épisode que retient Alessandro Manzoni en 1821 pour en faire un chapitre de son roman Les Fiancés, avant de le retirer pour y consacrer une publication particulière qu'il intitule l'Histoire de la colonne infâme.
Reprenant les minutes du procès et les confrontant aux faits, il analyse, confronte, dissèque les déclarations, débusque les erreurs de procédure, dévoile les manoeuvres des juges et restitue, avec méthode autant que véhémence, leur innocence à ceux qui n'auraient jamais dû en être privés. On retrouve chez ce petit fils de Beccaria, moins la dénonciation de la torture -son grand père avait tout dit- que des conditions irrégulières de son emploi, selon la jurisprudence du temps. Même en des temps barbares, la procédure est une protection. Rudolf von Ihering l'affirmera quelques années après Manzoni : « Ennemie jurée de l'arbitraire, la forme est la soeur jumelle de la liberté ». La religion de l'aveu mène à tous les excès. Et les grands procès des temps obscurs de la peste, des relaps et des inquisiteurs ont des airs de famille avec les procès de Moscou et autres parodies chères aux régimes totalitaires qui confient aux accusés la rédaction de leur propre réquisitoire. On retrouve dans la démonstration de Manzoni la plume du Voltaire de l'affaire Calas, du Benjamin Constant de l'affaire Regnault, du Zola de l'affaire Dreyfus.
On trouve aussi dans la circulation des rumeurs, qui grossissent comme boule de neige, le mécanisme des fake news, qui se nourrissent aussi de l'envie de croire avant de vérifier. L'idée du gain d'argent par le débit de son électuaire va perdre le barbier Mora et son complice, le commissaire de le santé Piazza qui en barbouille les murs, sans besoin de vérifier l'hypothèse.

En préface au texte de Manzoni, le propos de Leonardo Sciascia est éclairant. Auteur du récit "Le contexte" (dont le film Cadavres exquis est tiré) il avait mis en scène un haut magistrat qui considérait l'erreur judiciaire comme une impossibilité ontologique : l'office du juge, dans la transsubstantiation de la loi qu'il met en oeuvre, réalise un acte sacré et infaillible, d'origine sacrée. de même dans ce siècle religieux, la peste est envoyée sur les mortels par la juste colère de Dieu contre les péchés. Mais voici que resurgit de l'Antiquité la figure de l'untore, le propagateur de l'épidémie, que vont traquer par tous les moyens les juges Monti et Visconti, y compris avec une promesse d'impunité aussitôt révoquée. Il sont devenus, dit Sciascia (p. 19) des "bureaucrates du mal".
S'agit-il de préserver l'innocence divine ? S'agit-il de chercher, et trop vite trouver, un coupable de l'épidémie.
Un petit grand livre, selon le mot de Sciascia (p. 14) !
Lien : https://diacritiques.blogspo..
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