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Critique de Archie


Réputé en Espagne, mais peu connu en France, Javier Marias, décédé en 2022 à l'âge de 70 ans, avait voulu, dans ses derniers romans, brosser la vie quotidienne et familiale d'un agent secret. Rien à voir avec les aventuriers mythiques de romans best-sellers ou de films à grand spectacle, qui fêtent la fin de chaque épisode par un week-end de folie avec une créature de rêve. Agent secret n'est certes pas un métier comme un autre ; mais nous savons que, pour veiller à la sécurité de son territoire et de ses citoyens, chaque pays emploie de mystérieux professionnels du renseignement, de l'espionnage, du contre-espionnage. Comme vous et moi, ils ont le droit de mener une vie privée, de fonder une famille.

C'est le cas de Tomás Nevinson, moitié anglais, moitié espagnol, jadis recruté par contrainte sournoise au service secret de Sa Majesté britannique. Son épouse, espagnole, avait raconté la vie d'une femme d'agent secret dans le roman qui porte son nom, Berta Isla, publié par Javier Marias en 2019, et dont je vous invite à consulter ma critique. Au tour du mari de prendre la parole dans Tomás Nevinson, second volume du diptyque, qu'on peut lire sans avoir lu le premier. Tomás rapporte une aventure marquée par la menace des terrorismes basque (ETA) et nord-irlandais (IRA) en 1997 ; elle est ultérieure aux événements que Berta avait relatés et qui sont résumés clairement quand nécessaire.

En 1997, « on » recherche une Irlandaise du Nord, membre de l'IRA, qui avait fait partie, dix ans plus tôt, d'un commando de l'ETA responsable d'épouvantables attentats à Saragosse et à Barcelone, où les victimes, parmi lesquelles des enfants, s'étaient comptées par dizaines. « On » sait alors qu'aussitôt après les attentats, cette femme, dont « on » ne connaît pas l'aspect physique, s'était installée, sous une identité espagnole, dans une ville qu'on nommera Ruán, qu'elle s'est intégrée dans la population et qu'elle mène une vie tranquille. Trois femmes étaient arrivées ainsi à Ruán à la même époque. Nevinson a pour mission de découvrir laquelle des trois est la terroriste… puis de la « neutraliser ». Il s'installe lui aussi dans la ville, sous le nom de Miguel Centurión, professeur d'anglais.

Nevinson est mal à l'aise dans sa mission, surtout au regard de sa seconde partie. Il a beau se dire que les crimes de cette femme sont moralement imprescriptibles, qu'elle pourrait préparer un nouvel attentat, mais voilà ! Ce gentleman est né en 1951 et on a inculqué aux hommes de sa génération (qui est aussi la mienne) que « ils ne doivent jamais battre une femme, même avec une fleur ». L'agent secret parviendra-t-il à surmonter ses scrupules et à affronter ses responsabilités, sachant qu'il pourrait lui-même être en danger ? Sa cible est peut-être en mesure de l'identifier et elle n'aurait, pour sa part, aucun état d'âme à tenter de l'éliminer.

Comme Berta Isla, Tomás Nevinson est un roman-fleuve (plus de sept cents pages) très agréable à lire. Javier Marias était un écrivain érudit, réfléchi, conceptuel et raffiné. Il multipliait les citations littéraires. L'excellent travail de sa traductrice permet de percevoir tous ses talents. J'ai apprécié le subtil principe de narration, qui bascule du JE pour les monologues mentaux de Nevinson, au IL quand il s'agit des actes de Centurión. Je me suis délecté des longues phrases harmonieuses dans lesquelles le narrateur ressasse ses cas de conscience d'agent trouble, tout en se laissant aller à des digressions parfois interminables, mais toujours opportunes, sur l'état de nos démocraties et sur les menaces qui pèsent sur elles, notamment les mouvements terroristes, dont le but est de les détruire, en tuant de prétendus oppresseurs sous prétexte d'émanciper des opprimés. Selon l'auteur, « tous les terroristes soi-disant idéalistes et libérateurs sont avant tout des assassins aussi intelligents que rusés ».

Certes, dans leur mission de protection des démocraties, il arrive que les méthodes des services secrets enfreignent les lois de ces démocraties. Mais pour vaincre des ennemis aussi dépourvus de scrupules, il faut ne pas en avoir soi-même, quitte à commettre des actes inavouables et inavoués, dont les exécutants ne doivent pas supporter la responsabilité à titre personnel. Restent les faits, les incertitudes, les doutes, les intimes convictions…

Restent aussi, chez Tomás, les regrets d'avoir été un mari et un père trop silencieux, souvent absent, parfois longuement. Sans compter toutes sortes de trahisons commises en service commandé…

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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