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Passionnée par l'oeuvre de Javier Marias, je ne pouvais pas passer à côté de son dernier livre « Tomas Nevinson ».
Car Janvier Marias nous a quitté l'année dernière, suite à un mauvais COVID, et c'est un très grand auteur européen qui a disparu.

On retrouve ici le personnage de Tomas Nevinson, que ceux qui ont lu « Berta Isla » connaissent déjà.
Pour les autres, Tomas est un jeune homme très doué, d'origine espagnole mais ayant vécu longtemps en Angleterre, qui a été recruté par les services secrets britanniques, notamment pour sa capacité à se fondre dans le paysage, et à épouser la destinée de personnages qu'il doit incarner pour les besoins des services secrets. Une sorte d'acteur discret, vivant « D'autres vies que la mienne » comme le dit l'excellent titre du roman d'Emmanuel Carrère.

Nous le retrouvons donc en 1997, alors qu'il s'est rangé des affaires et qu'il vit une petite vie tranquille aux côtés de son épouse avec qui il tente de renouer malgré le fait qu'il ait vécu longtemps loin d'elle pour les besoins du service.
Mais quand Tupra, son ancien chef, vient le solliciter pour une dernière mission, la tentation est trop forte de revenir aux affaires. « La tentation d'écrire un autre chapitre, l'idée de ne pas avoir terminé mon petit livre, alors que je l'estimais déjà achevé, voilà ce qui, jusqu'à un certain point, m'avait incité à accepter. Et par-dessus tout ce que j'avais exprimé plus tôt : même si tu es fatigué et décides de tout lâcher, même si la vie tranquille que tu n'as pas eue te manque (…), tout initié qui a cru pouvoir, à l'occasion, changer d'un iota l'ordre des choses ne saurait supporter de ne plus être dans la course. » écrit-il page 154 et Tomas ne résistera pas longtemps à reprendre du service.

La mission consiste à démasquer une dangereuse terroriste, dissimulée dans une petite ville du Nord-Ouest de l'Espagne. Membre de l'IRA, et originaire d'Irlande du Nord, celle-ci aurait été « prêtée » à l'ETA pour contribuer à des actes terroristes, puis aurait repris une vie banale sous une fausse identité. Mission a priori facile. Sauf que les services secrets britanniques et espagnols, associés dans cette entreprise, hésite entre 3 identités possibles : Magdalena O'ura O'Dea (son nom irlandais) peut s'appeler aujourd'hui soit Ines Marzan, soit Celia Bayo, soit Maria Vita.
Tomas se rend donc dans cette petite ville qu'il baptisera Ruan (est-ce Vigo ? Orense ? Lugo ?) et se fait passer pour un professeur d'anglais discret. Il doit se lier avec les trois femmes, tout en observant la première, Ines Marzan, à l'aide d'une paire de jumelles dans l'appartement d'en face, et écouter les micros branchés chez Celia Bayo et Maria Vita.
Derrière le jeu de masques, c'est donc bien à un jeu de séduction auquel Tomas doit se prêter.

Il ne tarde pas à se rapprocher d'Ines, une géante aux yeux énormes, propriétaire du restaurant « La Demanda » qui devient facilement sa maîtresse. Il se lit d'amitié avec la charmante Celia Bayo, femme d'un drôle de type – hâbleur, escroc notoire et figure locale – et écoute le récit de leurs ébats aux micros dissimulés dans leur maison. Il a plus de difficulté à entrer en contact avec Maria Vita, mariée à Folcino Gausi, un aristocrate local qui se mêle peu à la populace. Il réussira néanmoins à obtenir une place de professeur d'anglais attitré des deux jeunes enfants, et pourra ainsi s'approcher de la belle et mystérieuse Maria.

Commence alors le dilemme qui va agiter celui qui se fait appeler Miguel Centurion – un nom improbable choisi par Tupra, parce que les noms improbables ne font pas du tout agent secret.
Laquelle des trois femmes est-elle l'ancienne terroriste ? Aucune ne semble correspondre au portrait qu'on peut se faire d'une dangereuse criminelle. Aucune ne se trahit en parlant irlandais.

Que faire ? S'avouer vaincu et rendre une copie blanche – au risque alors que les trois femmes soient soupçonnées et peut-être même éliminées. En choisir une des trois pour sauver les deux autres ? Mais laquelle ?

Tupra le presse alors. Car ce personnage de second rôle est aussi cynique qu'inflexible. La femme qu'il doit confondre risque de passer à nouveau à l'acte. Il faut donc à Tomas intervenir avant. Et comme il n'obtient aucune preuve à fournir à la police, c'est lui, Tomas, qui doit se charger d'en éliminer l'une des trois …


On ne peut parler de Javier Marias sans parler de son style, avec ses phrases amples, presque proustiennes, et ses longs paragraphes. Certains diront que 736 pages, c'est long, très long. Mais il faut prendre son temps et apprécier la prose du grand auteur espagnol, remarquablement servi par la traduction. Un seul regret peut-être : la photo de couverture choisie pour la version française, avec une photo de Gérard Philippe qui a détourné mon attention vers le célèbre acteur, alors qu'il n'y a aucun lien, hormis le fait qu'un agent secret est une sorte de comédien au service du personnage qu'il incarne.

On ne racontera pas la fin pour préserver le suspense des 200 dernières pages. Disons simplement que l'alternative qui va s'offrir à Tomas est de savoir s'il choisit de désigner une coupable, de prendre le risque de se tromper, de la condamner par sa faute peut-être pour rien, ou de laisser les services secrets se dépêtrer de la question au risque de condamner les trois.


Il y a quelque chose de commun entre « Tomas Nevinson » et « le Château de Barbe Bleue » de Javier Cercas. La question de la violence faite aux femmes tout d'abord – n'oublions pas que nous sommes en Espagne, où la question des féminicides fait à juste titre la Une des Journaux - mais aussi la question de la justice et de la vengeance. Les services secrets sont-ils légitimes à éliminer quelqu'un pour éviter une récidive ? que peut faire la justice ? les crimes de sang sont-ils imprescriptibles ? dans ce cas doit-on se faire justice par soi-même ou par le biais de moyens illégaux ?

Javier Marias clôt son récit sans trancher le débat. L'auteur de « Comme les amours » que j'avais chroniqué en son temps, ou de « Si rude soit le début « - magistral aussi – nous donne ici une leçon de morale solennelle dans le bon sens du terme. Et impeccablement servi par du grand style.
Je ne peux donc à mon tour clore ce modeste billet sans saluer l'écrivain espagnol à la stature européenne, au moment où le rideau se baisse pour lui et qu'il nous laisse orphelin de ses livres à venir.
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Si je devais résumer ce livre en un seul mot, je dirais « talentueux » tout simplement !

Voilà ma première immersion dans l'univers de Javier Marías et pourtant, je débute par sa dernière oeuvre, publiée – en français – quelques mois après son décès dans sa ville natale de Madrid, des suites d'une pneumonie.

« Tomás Nevinson » est le second tome d'un diptyque consacré à un agent secret, mi-espagnol, mi-britannique du même nom. Ici, c'est la vie de cet agent du MI5 qui est contée par le principal intéressé. Après avoir pris sa « pension », il est recontacté par son ancien supérieur pour une dernière mission un peu spéciale. Il s'agit de retrouver une femme, membre active de l'IRA qui serait impliquée dans plusieurs attentats de l'ETA mais dont personne n'a jamais su mettre de visage. Pour cela, il devra faire la connaissance de trois jeunes femmes dont l'une d'entre elles serait la terroriste.

Javier Marías, ce n'était pas seulement un écrivain, mais aussi un conteur hors pair. En plus de 700 pages, il parvenait à happer son lecteur dans tout un univers, mêlant des faits réels à de la fiction. Tout semblait tellement cohérent dans ses écrits que le lecteur se perd et se demande où est la frontière avec le réel et finalement, ne raconte-t-il pas un brin de sa propre histoire ?

C'est le genre de livre qu'on souhaite doucement savourer, tournant pianissimo les pages, sans se presser dans un moment hors du temps. Ce n'est pas le livre qu'on s'empresse de lire en deux temps deux mouvements, au risque de passer à côté de beaucoup de choses.

Doté d'un style d'écriture tout à fait singulier, Javier Marías offre un très grand roman dans lequel il multiplie les considérables digressions par la voix de son héros. Malgré qu'elles puissent sembler démesurées, leurs pertinences apparaissent ensuite aux lecteurs. Il est évident que l'auteur maniait parfaitement sa plume, par un travail de recherches conséquents en amont. Son talent tend à s'exprimer notamment par l'utilisation du pronom « je » pour les réflexions de son principal protagoniste qui se mue, ensuite, en « il » pour ses actions.

Le premier tome était paru en 2019 et s'intitulait « Berta Isla » du nom de l'épouse de Tomás Nevinson. Il n'est pas nécessaire de lire les deux tomes dans l'ordre. Mais après avoir découvert « Tomás Nevinson », vous aurez sûrement, tout comme moi, envie de vous plonger dans le second.

Il est triste à penser que l'Espagne a définitivement perdu l'une de ses plumes majeures du XX-XXIème siècle.
Lien : https://www.musemaniasbooks...
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Réputé en Espagne, mais peu connu en France, Javier Marias, décédé en 2022 à l'âge de 70 ans, avait voulu, dans ses derniers romans, brosser la vie quotidienne et familiale d'un agent secret. Rien à voir avec les aventuriers mythiques de romans best-sellers ou de films à grand spectacle, qui fêtent la fin de chaque épisode par un week-end de folie avec une créature de rêve. Agent secret n'est certes pas un métier comme un autre ; mais nous savons que, pour veiller à la sécurité de son territoire et de ses citoyens, chaque pays emploie de mystérieux professionnels du renseignement, de l'espionnage, du contre-espionnage. Comme vous et moi, ils ont le droit de mener une vie privée, de fonder une famille.

C'est le cas de Tomás Nevinson, moitié anglais, moitié espagnol, jadis recruté par contrainte sournoise au service secret de Sa Majesté britannique. Son épouse, espagnole, avait raconté la vie d'une femme d'agent secret dans le roman qui porte son nom, Berta Isla, publié par Javier Marias en 2019, et dont je vous invite à consulter ma critique. Au tour du mari de prendre la parole dans Tomás Nevinson, second volume du diptyque, qu'on peut lire sans avoir lu le premier. Tomás rapporte une aventure marquée par la menace des terrorismes basque (ETA) et nord-irlandais (IRA) en 1997 ; elle est ultérieure aux événements que Berta avait relatés et qui sont résumés clairement quand nécessaire.

En 1997, « on » recherche une Irlandaise du Nord, membre de l'IRA, qui avait fait partie, dix ans plus tôt, d'un commando de l'ETA responsable d'épouvantables attentats à Saragosse et à Barcelone, où les victimes, parmi lesquelles des enfants, s'étaient comptées par dizaines. « On » sait alors qu'aussitôt après les attentats, cette femme, dont « on » ne connaît pas l'aspect physique, s'était installée, sous une identité espagnole, dans une ville qu'on nommera Ruán, qu'elle s'est intégrée dans la population et qu'elle mène une vie tranquille. Trois femmes étaient arrivées ainsi à Ruán à la même époque. Nevinson a pour mission de découvrir laquelle des trois est la terroriste… puis de la « neutraliser ». Il s'installe lui aussi dans la ville, sous le nom de Miguel Centurión, professeur d'anglais.

Nevinson est mal à l'aise dans sa mission, surtout au regard de sa seconde partie. Il a beau se dire que les crimes de cette femme sont moralement imprescriptibles, qu'elle pourrait préparer un nouvel attentat, mais voilà ! Ce gentleman est né en 1951 et on a inculqué aux hommes de sa génération (qui est aussi la mienne) que « ils ne doivent jamais battre une femme, même avec une fleur ». L'agent secret parviendra-t-il à surmonter ses scrupules et à affronter ses responsabilités, sachant qu'il pourrait lui-même être en danger ? Sa cible est peut-être en mesure de l'identifier et elle n'aurait, pour sa part, aucun état d'âme à tenter de l'éliminer.

Comme Berta Isla, Tomás Nevinson est un roman-fleuve (plus de sept cents pages) très agréable à lire. Javier Marias était un écrivain érudit, réfléchi, conceptuel et raffiné. Il multipliait les citations littéraires. L'excellent travail de sa traductrice permet de percevoir tous ses talents. J'ai apprécié le subtil principe de narration, qui bascule du JE pour les monologues mentaux de Nevinson, au IL quand il s'agit des actes de Centurión. Je me suis délecté des longues phrases harmonieuses dans lesquelles le narrateur ressasse ses cas de conscience d'agent trouble, tout en se laissant aller à des digressions parfois interminables, mais toujours opportunes, sur l'état de nos démocraties et sur les menaces qui pèsent sur elles, notamment les mouvements terroristes, dont le but est de les détruire, en tuant de prétendus oppresseurs sous prétexte d'émanciper des opprimés. Selon l'auteur, « tous les terroristes soi-disant idéalistes et libérateurs sont avant tout des assassins aussi intelligents que rusés ».

Certes, dans leur mission de protection des démocraties, il arrive que les méthodes des services secrets enfreignent les lois de ces démocraties. Mais pour vaincre des ennemis aussi dépourvus de scrupules, il faut ne pas en avoir soi-même, quitte à commettre des actes inavouables et inavoués, dont les exécutants ne doivent pas supporter la responsabilité à titre personnel. Restent les faits, les incertitudes, les doutes, les intimes convictions…

Restent aussi, chez Tomás, les regrets d'avoir été un mari et un père trop silencieux, souvent absent, parfois longuement. Sans compter toutes sortes de trahisons commises en service commandé…

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Et je découvris Javier Marías…😍

Madrid, fin des années 1990, Tomás Nevinson, membre à la retraite des services secrets britanniques et qui vit maintenant une vie tranquille dans sa ville natale est approché par son ancien supérieur qui lui propose une dernière mission : aménager, sous couverture, dans une petite ville espagnole, pour découvrir laquelle des trois femmes qui s'y sont installées il y a dix ans est en fait une terroriste de l'ETA, prêtée par l'IRA, aujourd'hui en fuite et qui y vit incognito. Les détails de la mission sont obscurs - pour qui exactement travaillera Nevinson ? quelle "justice" devra-t-il rendre? Mais séduit par l'attrait d'être à nouveau à l'intérieur, il accepte le poste.

J'ai l'impression qu'on ne lit plus que rarement de la littérature de ce niveau: exigeante, subtile mais absorbante. Il faut aimer prendre son temps pour s'embarquer dans cette lecture qui, avec une narration très personnelle (passage du Je ou Il dans un même chapitre), des digressions à foison et des références à la littérature, demande un peu de concentration.
Mais on est largement récompensé parce que c'est brillant.
Il y a aussi les dialogues, souvent tripartites, (les pensées du narrateur se glissent fréquemment entre deux interlocuteurs) qui apportent une incroyable densité au texte.

Pourtant cette histoire est haletante et les dilemmes moraux de Tomás Nevinson conduisent le lecteur à de profondes réflexions sur le bien et le mal, la justice, le terrorisme et le terrorisme d'état, le temps.

J'ai tout aimé dans ce roman. Émerveillée, je jure de relire Javier Marías.

Traduit par Marie-Odile Fortier-Masek
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Tomás Nevinson, ancien agent des services secrets du MI5 et MI6, travaille à l'ambassade britannique de Madrid lorsque le 06 janvier 1997, jour de l'Épiphanie, il est contacté par Trupa, son ancien patron, pour une dernière mission : identifier, parmi 3 femmes localisées dans une ville du Nord-Ouest de l'Espagne, Maddie Orúe O'Dea, terroriste latente, prêtée jadis par l'IRA à l'ETA, ayant déjà participé aux attentats meurtriers perpétrés à Barcelone et Saragosse 10 ans plus tôt. Tomás devra soit apporter des preuves irréfutables de son implication, soit la supprimer à défaut de la livrer à la justice afin d'anéantir le risque qu'elle reprenne du service.

Une entrée en matière éblouissante dès les premières pages où le protagoniste expose d'emblée ses dilemmes : Comment un homme élevé à l'ancienne peut-il de tuer une femme ? Peut-on tuer une personne pour ce qu'on pense qu'elle fera, sans être certain qu'elle le fera ?

Nous oublions presque l'intrigue pourtant captivante de cet ultime roman de Javier Marias tant nous sommes emportés dans les longues phrases qui caractérisent le style de l'auteur. J'ai trouvé trouvé que le suspense était davantage basé sur le voyage introspectif de Tomás que sur l'enquête, car chaque être est une énigme.

C'est principalement à la première personne que Tomás, devenu Miguel Centurion pour l'occasion, nous confie ses doutes, ses réflexions, ses interrogations, nous embarquant ainsi dans les dédales et la complexité des comportements humains mais sans jamais nous perdre ni poser de jugement.

727 pages, c'est long me direz-vous, pourtant elles sont nécessaires pour refléter le cheminement des pensées les plus intimes de Centurion/Tomás en prise avec son passé, son expérience, ses doutes et ses limites.

Les personnages secondaires sont également intéressants dans le sens où leurs profils contribuent merveilleusement à la profondeur des pensées intérieures du protagoniste.

Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce roman éblouissant de Javier Marias dont la prose maîtrisée touche la perfection tout comme la remarquable traduction de Marie-Odile Fortier-Masek.

Tomás Nevinson fait suite au précédent roman de l'auteur « Berta Isla ». Il n'est cependant pas nécessaire d'avoir lu « Berta Isla » pour lire Tomás Nevinson. Ces lectures sont toutefois complémentaires et, de mon point de vue, ne doivent pas être spécialement lues dans l'ordre.
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Le hasard (ou presque) m'a fait enchaîner le dernier livre publié de John le Carré et le dernier roman de Javier Marias, deux livres "testament" en quelque sorte, deux livres où se croisent des espions sur le retour qui ont du mal à croire encore à ce qu'ils font. Chez Marias, Tomas Nevinson est de plus anglo-espagnol... Mais la comparaison s'arrête au stade de clin d'oeil, même si l'auteur, parfaitement familier des deux cultures a dû lire le Carré à un moment ou un autre. Cela faisait un moment que je voulais revenir à Javier Marias après ma lecture enthousiaste de Comme les amours, l'occasion était belle...

Tomas Nevinson est a priori la suite de Berta Isla que je n'ai pas lu mais rien de gênant. La densité de l'ouvrage, le foisonnement et la précision des détails en font un roman à part entière. Dès les premières pages, le narrateur nous confie son dilemme. Il s'appelle Tomas Nevinson et, en 1997 alors qu'il pensait avoir quitté pour de bon les services secrets britanniques et tentait de reprendre le cours de sa vie madrilène auprès de sa femme et de ses enfants, voilà que ses anciens employeurs lui demandent d'effectuer une nouvelle mission. Il s'agit d'identifier, dans une petite ville du nord-ouest de l'Espagne et parmi trois femmes, celle qui serait une terroriste impliquée dans un terrible attentat survenu dix ans plus tôt. Identifier et éliminer. Lorsque je dis que la comparaison avec le Carré n'est que superficielle, c'est que ce qui intéresse Marias, c'est le questionnement moral qui saisit son héros et englobe tous les protagonistes. "J'ai été élevé à l'ancienne et jamais je n'aurais cru que l'on m'ordonnerait un jour de tuer une femme" sont les premiers mots du roman dont les premières pages posent clairement l'énoncé du problème qui va être développé au cours des sept cents à venir. Peut-on s'arroger le droit de tuer même si l'on a toutes les bonnes raisons de le faire ? le monde dans lequel est plongé Tomas Nevinson depuis deux décennies le confronte à ce qui se fait de pire sur la planète, entre membres de l'ETA et de l'IRA qui naviguent même parfois entre les deux organisations ; pas d'états d'âme de ce côté, et ses employeurs aimeraient qu'il en soit de même pour lui. Pas si simple...

A la suite de Tomas Nevinson le lecteur est embarqué dans un jeu de masques où l'on ne sait jamais qui est qui, et ce doute qui s'insinue partout provoque un climat de déséquilibre permanent. Les références historiques et littéraires foisonnent, Shakespeare s'en mêle, l'auteur lui-même joue avec la figure de l'écrivain s'amusant à créer ses personnages. L'ensemble est redoutablement intelligent, parfois ardu lors des quelques incursions géopolitiques lorsque comme moi on est moins au fait des événements côté Espagne, mais surtout très impressionnant par sa profondeur et sa maîtrise littéraire. Javier Marias est mort il y a quelques mois mais il nous a laissé matière à exciter nos petits neurones car ce genre de littérature n'est jamais périmé.
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Existe-t-il des circonstances où tuer un autre être humain est la meilleure solution? Quel est le devoir d'un homme face à celui ou celle qui, peut-être, commettra un jour des atrocités? Tomás Nevinson ne se pose pas du tout ces questions de façon théorique: plus ou moins retraité des services secrets anglais, menant une petite vie rangée à Madrid dans la fin des années 90; le voici prié de reprendre du service pour identifier une ancienne membre de l'IRA impliquée dans des attentats de l'ETA. Et, si il ne peut trouver de preuves suffisamment solides pour un procès, de la liquider.
Nous sommes ici très loin de la figure de James Bond, descendant son prochain à tour de bras sans aucun remord, et c'est un roman plus psychologique qu'autre chose, de digression en digression, tandis que Tomás s'insinue dans la vie d'une petite ville espagnole et tente d'identifier sa proie parmi les trois suspectes.
C'est un long cheminement, parfois j'avoue un chouïa trop long pour moi, une réflexion pleine de digressions sur l'Espagne, les Anglais, la culpabilité, écrite et traduite avec beaucoup de talents. Un grand roman, qui nécessite d'être lu dans le calme, et qui fait honneur à son auteur.
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Qui es-tu Tomàs Nevinson ? Un espion espagnol ou un agent des services secrets anglais, un père de famille ou un amant, un assassin ou un justicier? Tous ses visages se superposent et se confondent quand on a fait de la duplicité et du secret son métier.
En cette année 1997, Tomàs Nevinson, officiellement retraité de sa carrière des services secrets, se voit confier une dernière mission. Envoyé dans le nord-ouest de l'Espagne, on lui confie la tâche de débusquer une criminelle qui aurait participer à des attentats meurtriers de l'ETA et de l'IRA. Mais la tâche est d'autant plus compliquée qu'on lui désigne 3 femmes qui pourraient potentiellement être cette terroriste au sang froid. Nevinson devra donc déterminer laquelle des 3 pourrait être sa cible, et l'éliminer avant qu'elle ne prépare un nouvel acte terroriste.
Ainsi Nevinson devient Centuriòn, accepte de s'inventer (encore) une nouvelle vie, s'immisce dans l'intimité de ces femmes, observe à la loupe l'organisation sociale de la petite ville de province qui l'accueille et s'interroge sur sa place dans l'existence. Il réfléchit au bien-fondé de sa mission, au fanatisme de ceux qui choisissent la voie du terrorisme et à la folie du terrorisme d'état, à cet ennemi abstrait qu'il faut combattre, et à la « tristesse secrète » qui étreint chacun d'entre nous. Se résoudra-t-il à tuer cette femme sans avoir la certitude qu'elle a mal agi ? Ni celle qu'elle recommencera ?
J'ai plongé dans la prose magistrale et dense de Marìas avec un plaisir fou. Son écriture ample et complexe épouse les méandres de la pensée de Nevinson, emprunte mille détours exquis, navigue entre le « je » et le « il », se charge de références littéraires délicieuses, et s'enrichit de motifs récurrents qui résonnent et s'ancrent dans nos pensées avec une force incroyable. Quand on tourne la dernière page, on s'interroge toujours, sur le bien et le mal, l'amour aussi, et ce que nous voulons faire de nos vies. Une seule certitude, on a lu un roman unique, universel et intemporel, qui questionne plus qu'il n'affirme, la marque des grands romans, je crois. Et du dernier d'un écrivain immense.
Si j'étais restée sur ma faim à la lecture de "L'homme sentimental", j'ai été complètement conquise par Marìas cette fois-ci et je ne manquerai pas de continuer à explorer son oeuvre  à commencer par "Berta Isla".
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Les choix que l'on fait, ceux dans lesquels on persévère ; ce que l'on peut deviner de la vie d'autrui et comment juger de ce qu'il a fait, de ce que peut-être il fera: bref, peut-on tuer quelqu'un pour sauver des vies ? Toujours dans son attention à la langue, à ce qu'elle redit, à ce que la poésie permet de deviner de ce qui a été déjà vécu, ce que la traduction d'une langue à l'autre nous fait effleurer, ce que son enroulement obsédant nous permet de comprendre d'une conscience sceptique, par son attention au détail, aux suppositions qu'il ouvre, Javier Marías livre un roman haletant, dans son immobilité même, sur les suppositions et a priori qui nous tiennent au monde. Infiniment plus qu'un roman d'espionnage, Tomás Nevison se révèle un immense roman sur l'effacement du temps, le conditionnement de notre libre-arbitre, l'histoire aussi du vieux vingtième siècle.
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La suite de Berta Isla, cette fois on passe au point de vue de l'époux, Tomas Nevinson, on approfondit sa relation avec son chef Tupra, mais aussi celle avec Berta, qui certes, n'est pas toujours présente, mais plane comme une ombre à chaque instant. Tomas Nevinson est mis face à un dilemme : un meurtre peut-il être justifié pour éviter une catastrophe future ? Ce roman a un côté plus policier que la plupart des autres Javier Marias, un peu comme Berta Isla. L'auteur nous régale, avec ses perpétuelles références et son style inimitable. J'en conseille la lecture, tout particulièrement à ceux qui ont aimé Berta Isla. La thématique s'éloigne cependant de ce que l'on a pu voir dans un coeur si blanc ou bien si rude soit le début, le côté familial est moins central.
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