Si l’on comprend bien le terme d’Élohîm, apparaissant très tôt dans les premiers versets de la Genèse, il s’agit non seulement du Yahvé créateur de
l’univers, mais de toutes les entités, matérielles ou spirituelles, générées par ce créateur mystérieux et inconnaissable (et surtout ineffable) et qui sont autant d’intermédiaires entre Lui et les créatures matérielles qui sont ses émanations. Encore une fois, il faut insister là-dessus, Dieu, quel que soit le nom qu’on lui donne, n’existe pas. Mais, par contre, il est ; ce sont les êtres vivants qui existent, c’est-à-dire « qui sont sortis de lui ». D’où le fossé – tragique – qui a, au cours des siècles, séparé d’une façon presque irrémédiable l’Être et l’Existant.
C’est pour contrer ce pessimisme farouche de l’évêque d’Hippone – un Berbère, on l’oublie trop souvent – que le moine breton Pélage, son contemporain, se mit à prêcher dans un sens tout à fait opposé, instaurant dans l’Église romaine une contestation théologique qui ne s’est jamais apaisée. En fait, la thèse de Pélage, qu’on appelle le pélagianisme, consistait essentiellement à nier la transmission du péché originel et à affirmer que l’ existant humain, créé libre par Dieu, était, grâce à son libre arbitre absolu, capable de se sauver ou de se damner sans intervention de la divinité ou de l’ ennemi , c’est - à - dire Satan. La querelle s’est étendue dans tout le monde chrétien mais, bien que rejeté et combattu, le pélagianisme n’a jamais été considéré comme une hérésie. Finalement, c’est la position de saint Augustin qui a pris le dessus, en particulier au moment de la Réforme, faisant du christianisme une religion tout entière bâtie sur la notion de « culpabilité » ce qui ne semble pas, à la lecture attentive des Évangiles, conforme à l’enseignement de Jésus.
« La surface de la terre est vaste et beaucoup d’endroits en sont encore stériles. C’est là que tu dois aller. Ce sont ces terres incultes que tu dois féconder pour que mon œuvre soit complète. Et si cela ne suffit pas, fouille les entrailles de la glèbe : tu y trouveras des trésors et ce sera à toi de les exploiter. Et si cela ne suffit pas non plus, si toi et tes descendants manquez de matériaux pour construire le monde, consacre tous tes efforts à en découvrir d’autres. Et si toi et tes descendants venez à vous coucher sur le sol parce que vous êtes épuisés et que vous vous sentez impuissants à continuer l’œuvre que j’ai commencée, contemplez la nature avec ce qu’elle contient de mystères, de ressources cachées. Connais la force du vent, la puissance du feu, le déferlement des eaux, l’énergie profonde que recèle la pierre. Invente, invente des énergies qui t’aideront à triompher de ta faiblesse. Car, en te créant, je t’ai insufflé mon énergie. À toi de la mettre en pratique. »
En survolant l’histoire de l’humanité et les mythes fondamentaux qu’elle génère, on doit convenir que tous les existants ne peuvent pas, comme Jacob, tenir tête à Dieu. Seuls quelques privilégiés y parviennent, et cela après de longues épreuves qui sont d’ailleurs autant d’initiations, c’est-à-dire de franchissements de seuils.
C’est là que repose toute l’ambiguïté du texte biblique, témoignage remarquable d’une très lointaine préhistoire mais réduit, au temps de Moïse, à sa plus simple expression, c’est-à-dire à des structures symboliques essentielles dont nous ignorons – ou avons oublié – le code d’accès. Et cela pose évidemment la question de savoir si Élohîm désigne la même entité divine que Yahvé, le terme Adonaï, « seigneur », n’étant qu’un qualificatif chargé de respect et de crainte, pouvant s’appliquer à n’importe qui. Il faut reconnaître qu’il n’y a aucune réponse satisfaisante à cette question.
POÉSIE MÉDIÉVALE – Qu’est-ce que BROCÉLIANDE ? (France Culture, 1993)
L’émission « La matinée des autres », par Jacqueline Kelen, diffusée le jour de noël 1993 sur France Culture. Invités : Jean Markale, Claudine Glot, Philippe Le Guillou, Pierre Dubois, Patrik Ewen et Jean Thos.