Citations sur Black Blocs (30)
Dès le pont lui parviennent les rumeurs de la manifestation. Les cars de CRS interdisent la circulation. Swann traverse les masses en uniforme avec l"impunité de son âge, de son sexe et de sa couleur de peau. A leurs yeux, elle est du bon côté du monde. Au pire, une gauchiste tranquille; au mieux, une riveraine qui va chercher ses enfants à l'école.
wann emprunte le pont de Sully. Elle le traverse. Un couple de touristes asiatiques, des hommes seuls, des familles. Dès le pont lui parviennent les rumeurs de la manifestation. Les cars de CRS interdisent la circulation. Swann traverse les masses en uniforme avec l’impunité de son âge, de son sexe et de sa couleur de peau. À leurs yeux, elle est du bon côté du monde. Au pire, une gauchiste tranquille ; au mieux, une riveraine qui va chercher ses enfants à l’école.
C’est un black bloc. Un groupement spontané de casseurs qui se forme en marge de manifestations pour les faire sombrer dans la violence.
Swann pense à la griffure que Samuel lui a faite quand ils ont couché ensemble avant-hier soir. Elle regarde son avant-bras. La trace est toujours là. Et Samuel est mort.
L’ambiance est bon enfant. Odeur de merguez et de cigarettes. Swann sent une main sur son dos. Elle se retourne brusquement. Personne. Ou plutôt, des dizaines de silhouettes possibles. Swann sort son portable pour voir si Georges l’a appelée. Rien. Elle suit la masse grouillante de gens qui lui ressemblent. Les hommes de tous les âges, mal rasés, portent des jeans et des tee-shirts larges. Les femmes ont enfilé des vêtements confortables, des chaussures de marche, des pantalons en toile. Peu ou pas de maquillage. Look de profs. Ils portent des banderoles « Sauvons la recherche » ou « Mais oui, mais oui : l’école est finie. »
La place est bondée. Des jeunes ont traversé les grilles et se sont hissés sur les premiers niveaux, le piédestal circulaire en marbre blanc et le socle de la colonne de Juillet. Ils dissimulent l’inscription gravée sur la plaque : « À la gloire des citoyens français qui s’armèrent et combattirent pour la défense des libertés publiques dans les mémorables journées des 27, 28, 29 juillet 1830. » Au sommet scintille le Génie de la Liberté.
Boulevard Henri-IV, elle pénètre dans la masse compacte et bruyante des manifestants. Le cortège spécial « enseignement supérieur/recherche », qui a démarré de Jussieu pour rejoindre le point de départ de la manifestation générale à Bastille, piétine.
Derrière, elle voit maintenant le clochard. Il a le visage écrasé, couvert d’ecchymoses. Une barbe grise. Il pue. Mal à l’aise, Swann détourne la tête et poursuit sa route.
L’impression d’être suivie ne l’a pas quittée.
Sur les dalles, une canette écrasée attire son attention. Cette saleté, surgie dans l’univers lisse et brillant, lui tape sur les nerfs.
Swann prend à droite. Elle retrouve sa démarche rapide, glissant entre les étudiants. Elle remonte la rue des Fossés-Saint-Bernard vers l’Institut du monde arabe. Le parvis scintille. Elle cligne des yeux. Les diaphragmes de la façade sud se sont refermés sous l’effet de l’extrême luminosité. Ils semblent observer, paupières plissées, le spectacle extérieur. Maintenant qu’elle s’est habituée au soleil, elle distingue plus nettement autour d’elle