Et dans mon cœur, se dit Alice, il n'y avait presque rien. Un nœud d'agacements, de contrariétés, de choses à faire et, dans le noir, cet amour aveugle que je ne connaissais pas avant que mon petit ne vienne à manquer.
Les mots, mon Dieu, des esquisses du silence.
Cinq heures, c'est la onzième heure, l'après-midi qui rêve au soir, un désespoir adouci et irrémédiable.
Peu d'amour, peu de choses sont nécessaires à ceux qui connaissent l'éternité dans un brin d'herbe.
Il y a peu de bruits après la fin du monde. Cette terre est comme une aube traînante de novembre, la cendre soie et brume. Elle étouffe et veloute la plaine, s'effiloche en traînées noires là où furent les champs d'oyats, se perd dans le scintillement clair du sable. Au-dessus naviguent sous le vent les nuages du bel été. [...]
Il fait si beau ! Tant de gaieté ne sied pas à ce déploiement de gris, pense-t-on vaguement, presque à regret. Le regard va entre le souvenir ondoyant de la forêt et cette désolation lunaire. maintenant, le paysage est dans le ciel. Il va falloir s'habituer.
Il n'y a qu'un seul maître qui puisse embaucher. Chacun d'entre nous a un désir unique. Une attente essentielle. Mais nous n’avons pas toujours le courage de la patience. Ou nous ne croyons pas à la onzième heure [...]
- L'attente est interminable. Assoiffée, solitaire, incertaine. Elle peut prendre toute une vie. Quand le maître fait signe, dans les ombres de l'avant-soir, je crains que tous les hommes ne soient pas venus à lui. Certains sont déjà partis, d'autres n'y croient plus. D'autres encore sont en colère, ils ne veulent pas d'un salaire dérisoire, d'une aumône. Les heures vides leur ont brisé les reins plus surement que le labeur dans les vignes. Les hommes s'imaginent toujours qu'il est trop tard. Et même au moment ultime, à la onzième heure, rien n'est joué. On peut dire non au dernier instant.
Outre le goût de l’extrême lumière d’été, il lui restera la certitude que fuite et refus sont d’inviolables refuges.
Après le déjeuner, elle revient dans l’embrasure de la porte-fenêtre, au bord du jardin, et secoue la tête pour dissiper son chagrin. Sa vie est hérissée de malheurs minuscules. Lisbeth s’écorche aux paroles de ceux qu’elle aime ; aussi s’exerce-t-elle vaillamment à l’oubli pour vivre malgré tout. Malgré elle.