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Critique de Woland


Opening Night (UK) ou Night At The Vulcan (USA)
Traduction : Roxane Azimi

ISBN : ?

Son intérêt pour l'art théâtral - elle fut à la fois, à une certaine époque, comédienne et peintre - a souvent poussé la Néo-Zélandaise à privilégier les intrigues se déroulant dans le milieu de la scène - et de ses coulisses. En ce sens, "Meurtre En Coulisses", dont le titre français annonce carrément la couleur, demeure une sorte de classique qui sortit pour la première fois en 1951 avant d'être réédité en France en 10/18 en 1986 dans la collection "Grands Détectives."

La mécanique est impeccable et, ce qui mérite d'être souligné, la fin inattendue et presque déroutante. Ce résultat, qui n'est pas simple à obtenir, doit beaucoup à la rigueur technique personnelle de l'auteur, à son intime connaissance de ce qu'elle décrit et aussi, bien sûr, à l'amour égal qu'elle portait d'une part au genre policier et à l'écriture, de l'autre au théâtre - elle finit tout de même professeur d'art théâtral.

Autant dire que, si vous aimez le théâtre, ses décors, ses masques, ses costumes, ses changements de rideaux, ses maquillages mais aussi l'importance qu'y revêtent les dialogues et, en particulier dans le genre policier, la progression dramatique, Ngaio Marsh et son oeuvre sont faites pour vous. Précisons tout de même que, pour ne pas lasser son public, il est arrivé à cet auteur de placer ses intrigues dans d'autres milieux comme celui de l'hôpital, par exemple, ou encore sur les ponts d'un navire où son personnage-fétiche, l'inspecteur Alleyne, fait une croisière avec son épouse. En gros, si vous voulez, le théâtre est à Ngaio Marsh ce que le petit village de campagne ou la petite ville sont à Caroline Graham, Agatha Christie ou encore Patricia Wentworth , E. C. R. Lorac et, pour mêler à cette belle distribution au moins un homme (ou plutôt deux) Jonathan Stagge.

S'il y a bien un thème que le lecteur apprécie, c'est celui du théâtre maudit. le "Vulcain", où se déroule l'action de "Meurtre en Coulisses", appartient en quelque sorte à cette noble confrérie non qu'on y voie rôder quelque spectre livide mais parce que, il y a quelques années, alors qu'il était encore le "Jupiter", y a été commis un assassinat pour lequel on utilisa très habilement le système de chauffage par le gaz des bâtiments. L'assassin, qui guette l'opportunité dans le tout nouveau "Vulcain", va d'ailleurs plus ou moins s'inspirer de son prédécesseur puisqu'on retrouvera sa victime avec une veste sur la tête et étendue sur le sol, la bouche ouverte sur l'arrivée de gaz d'un radiateur.

Les circonstances qui ont précédé la mort de Clark Bennington, époux de l'actrice-vedette et comédien désormais sur la pente savonneuse du déclin induit par l'alcool, la jalousie et le stress, sont toutes réunies, presque au garde à vous, pour favoriser la certitude du suicide. Jusqu'au personnage, d'ailleurs détestable, qu'il interprétait dans la pièce écrite par le Dr Rutherford, personnage qui effectuait sa dernière sortie de scène pour aller se donner la mort. Un alcoolisme chronique, le désespoir d'un comédien qui accepte mal de vieillir, une querelle avec sa femme, laquelle a toujours eu des amants à droite et à gauche mais qu'il vient de violer l'après-midi-même parce qu'elle n'acceptait pas de se donner à lui une fois encore (soulignons au passage que, dans les milieux bien informés, le fait que le couple fait chambre à part depuis des lustres n'est qu'un secret de Polichinelle), la récupération d'un rôle-clef de la pièce par la jeune Martyne Tarne alors que Bennington avait tout fait pour que celui-ci demeurât à sa nièce, Gay Gainsford, tous ces facteurs ne se sont-ils pas donné la main pour acculer à la destruction de soi un être narcissique et sensible comme l'était, malgré ses défauts, Clark Bennington ?

Au départ, c'est-à-dire à la fin de cette première représentation publique, tout le monde y croit. Mais l'inspecteur Alleyne demeure un tantinet sceptique : refait-on son maquillage, ou plutôt se repoudre-t-on, lorsqu'on a l'intention de mettre fin à ses jours avant le tomber de rideau ? Curieuse, tout de même, cette obéissance aux ordres du régisseur d'un homme qui, ce soir-là, s'était montré particulièrement caractériel et s'en était même pris sur scène à un partenaire qu'il détestait, lui faisant un croc-en-jambe tout en respectant l'action de la pièce mais provoquant ainsi des rires alors que la situation sur scène est, à ce moment-là, plus dramatique qu'autre chose. Par contre, si l'on pense que Bennington comptait bien venir saluer avec ses camarades après le tomber de rideau, son repoudrage reste très logique.

Je ne vous livre ici qu'un détail majeur parmi bien d'autres d'un roman à l'intrigue riche et cohérente (jusque dans la relation amoureuse qui s'installe peu à peu entre le comédien principal et Martyne, lesquels peuvent d'ailleurs se targuer d'une vague parenté), qui parvient sans grand effort à nous envelopper de ces vapeurs de poudre et de ces odeurs de fard gras propres au monde de la scène. A côté des bouleversements majeurs que va entraîner l'arrivée inattendue de Miss Tarne au "Vulcain" et qui concernent le rôle revenant originellement à une comédienne qui ne parvenait pas à le jouer correctement mais qui était la nièce du mari de la diva, tout un monde s'anime, fort entre autres des dissensions existant par exemple entre l'auteur de la pièce, le Dr John James Rutherford, personnage pour le moins sanguin et fort en gueule (et en citations shakespeariennes), et pratiquement l'intégralité des comédiens, producteurs, habilleurs, etc ... à l'un ou l'autre moment de l'histoire. Il est vrai que Rutherford s'acharne avec sadisme sur la malheureuse Gay mais enfin, après tout, c'est sa pièce, se dit-on, et il voit le personnage qu'il a créé interprété d'une façon qu'il juge inadéquate et même (selon lui) grotesque : il a donc bien des raisons de se montrer détestable, d'autant qu'on ne connaît aucun créateur qui, en de semblables circonstances, ne réagisse comme lui. Un personnage de théâtre, une pièce de théâtre, c'est comme un personnage de livre et comme un livre : c'est l'enfant de l'auteur et dame, on ne ne confie pas ses enfants à n'importe qui ! On se bat pour eux bec et ongles. Certains diront que Rutherford en fait trop mais comme, par nature, c'est déjà un agressif ...

Un roman policier classique qui conserve cependant des particularités certaines. Il existe bel et bien une "touche" Ngaio Marsh : le novice la devine ici comme il verrait une ombre se faufiler dans les coulisses du "Vulcain." Et cette "touche", nous la retrouverons, avec plus ou moins de bonheur, dans d'autres romans de la Néo-Zélandaise. J'espère que vous y prendrez autant de plaisir que moi, même si Marsh, indiscutablement, se rattache au "whodonit", si souvent regardé de nos jours avec une moue de mépris par les amateurs de romans qui deviennent - ce n'est que mon opinion et elle vaut ce qu'elle vaut - peut-être pas plus noirs (un bon roman noir est très difficile à obtenir) mais simplement plus "gore", ce qui est bien différent - et beaucoup plus facile à réaliser, surtout si l'on ne se soucie que d'accumuler les morts atroces, le tout sans grande vraisemblance. Qu'en pensez-vous ? ;o)
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