Difficile pour l'auteur d'ignorer le passé militaire de son père. A chaque réunion de famille, ce dernier n'hésite pas à revenir sur son service militaire, au grand dam de ses enfants qui n'en peuvent plus de ses histoires. Alors que le dessinateur est dans une petite panne d'inspiration, un nouveau repas familial sera l'occasion de s'intéresser pour une fois d'un peu plus près au passé de ses parents. Jaime père finit par confier à son fils un journal relatant son séjour à l'armée. La lecture d'abord curieuse, devient professionnelle. Et si Jaime tenait là le sujet de son prochain album ?
Plongeant dans les racines de sa propre histoire familiale, l'auteur se met en scène auprès de ses proches et n'hésite pas à illustrer son processus de création. le récit de l'enfance de sa mère sert de déclencheur tandis que le carnet confié par son père devient un véritable moteur d'inspiration. le lecteur découvre tout d'abord le quotidien dans une Espagne franquiste. A cette époque, le mariage était une valeur forte. Les jeunes filles devaient se préparer au mariage tandis que les garçons devaient suivre le parcours obligé des fiançailles, du service militaire avant de se marier et de fonder une famille. Un parcours très linéaire qui laissait peu de place aux rêves. Pepico, le père de l'auteur, lui est amoureux de Encarnita depuis longtemps. Sa patience et sa ténacité paieront auprès de la jeune fille difficile et de sa famille. En attendant qu'il puisse se marier, Pepico doit faire son service militaire. Un passage obligé qui sera l'assurance aux yeux de tous qu'il est un homme et qu'il pourra assumer une vie de père de famille honorable. Ce dernier est envoyé à Ifni, dans le Sahara espagnol, à la frontière du Maroc qui réclame une pleine et entière indépendance et où se déroule une guerre silencieuse non relayée par l'état espagnol pour minimiser les faits. Un sacrifice de 3 ans que Pepe va effectuer avec ses petits bonheurs et ses grosses difficultés.
Jaime Martin se lance ici dans une chronique à la fois familiale et historique. L'auteur alterne entre la représentation de son travail, de ses relations parentales avec les propres souvenirs de ses parents. Il réussit avec succès à se glisser dans la peau de ce dernier et à retranscrire la vie militaire. Loin d'être une sinécure, le service de Pepe s'est fait dans des conditions déplorables. Ces jeunes appelés durent subir la chaleur intense du climat et souffrir de la faim quasi constamment (restriction extrême, marché noir entre soldats, vols en cuisine). Les conditions sanitaires sont inexistantes (pas de savon, pas de médecin). Des violences gratuites et des excès de pouvoir qui montent à la tête. Et puis il y a cette guerre qu'on ne voit pas. L'ennemi reste lointain et invisible et tout cela semble bien inutile au regard de jeunes dont on sacrifie la jeunesse. Heureusement, il reste la camaraderie qui permet de s'entraider, de manger à sa faim ou de faire passer le temps. Des petits souvenirs heureux, une aventure inédite que le père préfère garder et valoriser plutôt que d'appuyer sur le côté misérabiliste. Un souhait de ne garder que le meilleur qui n'est qu'une forme d'exorcisation.
On retrouve le dessin clair et précis de son précédent album,
Toute la poussière du chemin. le trait est épais, arrondi, extrêmement lisible. La narration s'articule donc autour de ces allers et retours entre son présent de créateur et le passé paternel. Allégeant le récit, mettant en avant l'importance de la mémoire et de la transmission de l'histoire familiale, j'ai malgré tout trouvé que ça cassait quelque peu le rythme. Ils empêchent peut-être de se fondre totalement dans la peau de Pepe qui reste légèrement à distance. le récit paraît moins poignant et la conclusion elle-même laisse transparaitre cette histoire comme une simple parenthèse familiale dont le lecteur est exclu. On est loin de la portée plus universelle du Portugal, de Pedrosa, par exemple. Néanmoins, ce n'est pas album à snober.
Les guerres silencieuses sont un témoignage plus qu'intéressant sur cette Espagne des années 50-60, de cette génération engoncée dans des carcans familiaux traditionalistes et qui perdit ses plus belles années.
On notera l'ajout de quelques photos personnelles du père de l'auteur insérées dans les planches elles-même qui donne une caution supplémentaire au réalisme de cette histoire.
Un témoignage touchant à découvrir !
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