Borges avait dit, citant l'évêque Berkeley, que si personne ne percevait une chose, ce quelque chose n'avait pas de raison d'exister, esse est percipi. L'espace d'un instant, j'ai senti que cette phrase pouvait caractériser la ville entière.
Buenos Aires est ainsi pensa alors Grete, et elle nous l'a répété plus tard: un faisceau de villes réunies en une seule ville, de petites villes anorexiques à l'intérieur de cette unique majesté obèse qui s'autorise des avenues madrilènes et des cafés catalans, à côté de volières napolitaines, de temples doriques et d'hôtels particuliers Rive Droite et derrière tout ça - avait insisté le taxi- il y a malgré tout le marché au bétail, le mugissement des troupeaux avant le sacrifice et l'odeur de la bouse, c'est-à-dire les relents de la plaine, et aussi une mélancolie qui ne vient pas d'ailleurs mais d'ici, de la sensation de fin du monde qu'on a quand on regarde les cartes et qu'on constate combien Buenos Aires est seule, à l'écart de tout.
Aujourd'hui, les habitants de Buenos Aires continuaient à lire avec la même avidité qu'à cette époque. Mais leurs habitudes avaient changé. Ils n'achetaient plus de livres. Ils en commençaient un au hasard dans une librairie et le poursuivaient dans une autre, de dix pages en dix pages ou de chapitre en chapitre, jusqu'à la fin. Ils devaient y passer des jours, voire des semaines.
...j'ai eu peur que la ville se retire de moi et qu'alors plus rien ne soit comme avant.
« Durant ces jours de folie, j’ai acheté des plans de Buenos Aires et j’y ai tracé des lignes de couleur qui reliaient les lieux où Martel avait chanté, dans l’espoir de trouver une forme qui trahisse ses intentions, quelque chose comme le losange qui permet à Borges de résoudre l’énigme de La mort et la boussole. » (p. 251)
En bas, la librairie était pleine de monde, comme presque toutes les librairies que nous avions vues. Trente ans auparavant, Julio Cortázar et Gabriel García Márquez s'étaient étonnés que les ménagères achètent Marelle ou Cent ans de solitude comme si c'étaient des nouilles ou des pieds de laitues, et emportent les livres dans leurs sacs à provisions. Aujourd'hui, les habitants de Buenos Aires continuaient à lire avec la même avidité qu'à cette époque. Mais leurs habitudes avaient changé. Ils n'achetaient plus de livres. Ils en commençaient un au hasard dans une librairie et le poursuivaient dans une autre, de dix pages en dix pages ou de chapitre en chapitre, jusqu'à la fin. Ils devaient y passer des jours, voire des semaines.
Sur Buenos Aires : « Son unique beauté est celle que lui attribue l’imagination humaine. » (p. 178)
Nulle part on n'écrit mieux que dans le noir.
Le temps est une agonie incessante du présent qui se désintègre en passé.
En Argentine, on a coutume depuis des siècles d'effacer de l'histoire tous les faits qui contredisent la version officielle de la grandeur du pays.