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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 #5 °°°

Le court prologue met d'emblée dans une ambiance mystico-spirituelle qu'on ne quittera plus. En 1830, la future Sainte Catherine Labouré a des visions mariales lors de son noviciat, point de départ du culte de la médaille miraculeuse. Près de deux siècles après, une autre soeur de la congrégation des Filles de la charité de Saint Vincent de Paul à Paris, soeur Anne, reçoit une prophétie d'une soeur âgée lui promettant une apparition de la Vierge en Bretagne, ce qui la pousse à accepter, gonflée d'espoir, une mission à Roscoff.

Soeur Anne est un personnage très riche. Elle a fait le choix très tôt de se consacrer à une vie de prière et renoncement, mais sa vocation apostolique se fait dans une congrégation tournée vers le monde. La particularité de sa vie de service, c'est qu'elle attend quelque chose de la Vierge Marie, qu'elle lui apparaisse. Cette attente, c'est sa faiblesse, son péché d'orgueil, prête à la faire basculer dans le répréhensible, au contact des autres personnages bretons de Roscoff et plus particulièrement de l'île de Batz.

J'apprécie énormément la façon dont Victoria Mas campe ses personnages à la psychologie soignée en quelques phrases, loin des stéréotypes. Comme Soeur Anne, tous ont en commun d'avoir un rapport au ciel très particulier, tous en attendent un signe : le jeune Hugo observe le ciel avec sa lunette astronomique dans un souci scientifique de comprendre le monde ; son père catholique quasi intégriste regarde le ciel avec terreur, persuadé qu'un danger menace ; Madenn, la pieuse aubergiste, est prête à croire à n'importe quelle preuve du divin. Et puis il y a le très beau personnage d'Isaac, ami d'Hugo, adolescent paumé qui ne voit plus rien depuis la mort de sa mère, égaré dans un deuil sans fin, qui retrouve la vue sur un promontoire de l'île de Batz :

« La voix cette fois était tout près : dans son dos, Alan, arrivait, à bout de nerfs, ne supportant plus cette silhouette immobile qui lui causait un effroi inconnu. Sa main empoigna Isaac et le retourna vers lui : il ne reconnut pas le visage. C'était bien ses traits, c'était bien là son fils, oui, son regard en amande, son nez un peu relevé, sa bouche fine et mouette ; pourtant Alan ne l'identifiait pas, ne trouvait pas l'évidence de sa chair, sentait cet enfant étranger à lui-même. Sans savoir quoi faire drautre, il saisit ce garçon par le bras et le secoua, vigoureusement, comme si brusquer le corps pouvait rappeler l'esprit (…), il continua de rudoyer ce corps, tenta de chasser cette stupeur qui figeait le visage, étreignit ces bras frêles jusqu'à sentir les os sous la peau.
- Qu'est-ce que tu as ? qu'est-ce que tu fais ici ?
Madenn intervint, mit fin à cette violence, et au même instant Isaac sembla revenir : ses pommettes retrouvèrent de leur rose ; ses lèvres s'ouvrirent, tentèrent de prononcer un mot ; ces yeux croisèrent ceux de son père, et des larmes apparurent, glissèrent sur les joues, mouillèrent ce visage qu'Alan n'avait jamais vu ému jusqu'alors, ni à l'hôpital après l'accident, ni pendant l'enterrement, ni à aucun moment de cette adolescence qu'il savait pourtant triste ; il les regarde couler, sans savoir quoi répondre, sans savoir comment rassurer cette première confidence ; puis un murmure parvint jusqu'à lui :
- Je vois, papa. »

Lorsqu'il dit « je vois », certains entendent « J'ai vu la Vierge ». Tout l'équilibre de la région en est perturbée, le rapport au monde de chacun chamboulé par cette vision qui agit comme un catalyseur de toutes les passions humaines. le drame est en marche et Victoria Mas le met en scène très habilement avec une belle fluidité narrative portée par une écriture soignée et poétique qui prend le temps de poser un décor ( personnage à part entière donnant lieu à de superbes descriptions de la nature bretonne ) , une ambiance intemporelle presque mystérieuse.

Alors que le récit se déroule de nos jours, les marqueurs temporels habituels s'éloignent, comme si les différents mondes, céleste et terrestre, invisible et concret, pouvaient se pénétrer sans qu'on sache réellement de quelle façon. Il devient très difficile de savoir à quelles vérité, allégeance et réalité appartiennent les faits qui se déroulent sous nos yeux. Les contrastes sont forts, jusqu'à l'irruption d'une violence qu'on sentait sourdre mais qu'on pensait lointaine, et imposent un univers très singulier à ce deuxième roman fort réussi.
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