AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782253248873
216 pages
Le Livre de Poche (31/01/2024)
3.17/5   706 notes
Résumé :
Religieuse chez les Filles de la Charité, soeur Anne reçoit d’une autre de ses congénères une singulière prophétie : la Vierge lui apparaîtra en Bretagne.
Envoyée en mission sur une île du Nord Finistère, elle découvre qu’un adolescent prétend avoir eu la vision qu’on lui avait annoncée.
Face à un événement que personne ne peut prouver, c’est tout un pays qui s’en trouve bouleversé : de la petite Julia, qui voit son mal d’enfance revenir, à Bourdieu, p... >Voir plus
Que lire après Un miracleVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (171) Voir plus Ajouter une critique
3,17

sur 706 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 #5 °°°

Le court prologue met d'emblée dans une ambiance mystico-spirituelle qu'on ne quittera plus. En 1830, la future Sainte Catherine Labouré a des visions mariales lors de son noviciat, point de départ du culte de la médaille miraculeuse. Près de deux siècles après, une autre soeur de la congrégation des Filles de la charité de Saint Vincent de Paul à Paris, soeur Anne, reçoit une prophétie d'une soeur âgée lui promettant une apparition de la Vierge en Bretagne, ce qui la pousse à accepter, gonflée d'espoir, une mission à Roscoff.

Soeur Anne est un personnage très riche. Elle a fait le choix très tôt de se consacrer à une vie de prière et renoncement, mais sa vocation apostolique se fait dans une congrégation tournée vers le monde. La particularité de sa vie de service, c'est qu'elle attend quelque chose de la Vierge Marie, qu'elle lui apparaisse. Cette attente, c'est sa faiblesse, son péché d'orgueil, prête à la faire basculer dans le répréhensible, au contact des autres personnages bretons de Roscoff et plus particulièrement de l'île de Batz.

J'apprécie énormément la façon dont Victoria Mas campe ses personnages à la psychologie soignée en quelques phrases, loin des stéréotypes. Comme Soeur Anne, tous ont en commun d'avoir un rapport au ciel très particulier, tous en attendent un signe : le jeune Hugo observe le ciel avec sa lunette astronomique dans un souci scientifique de comprendre le monde ; son père catholique quasi intégriste regarde le ciel avec terreur, persuadé qu'un danger menace ; Madenn, la pieuse aubergiste, est prête à croire à n'importe quelle preuve du divin. Et puis il y a le très beau personnage d'Isaac, ami d'Hugo, adolescent paumé qui ne voit plus rien depuis la mort de sa mère, égaré dans un deuil sans fin, qui retrouve la vue sur un promontoire de l'île de Batz :

« La voix cette fois était tout près : dans son dos, Alan, arrivait, à bout de nerfs, ne supportant plus cette silhouette immobile qui lui causait un effroi inconnu. Sa main empoigna Isaac et le retourna vers lui : il ne reconnut pas le visage. C'était bien ses traits, c'était bien là son fils, oui, son regard en amande, son nez un peu relevé, sa bouche fine et mouette ; pourtant Alan ne l'identifiait pas, ne trouvait pas l'évidence de sa chair, sentait cet enfant étranger à lui-même. Sans savoir quoi faire drautre, il saisit ce garçon par le bras et le secoua, vigoureusement, comme si brusquer le corps pouvait rappeler l'esprit (…), il continua de rudoyer ce corps, tenta de chasser cette stupeur qui figeait le visage, étreignit ces bras frêles jusqu'à sentir les os sous la peau.
- Qu'est-ce que tu as ? qu'est-ce que tu fais ici ?
Madenn intervint, mit fin à cette violence, et au même instant Isaac sembla revenir : ses pommettes retrouvèrent de leur rose ; ses lèvres s'ouvrirent, tentèrent de prononcer un mot ; ces yeux croisèrent ceux de son père, et des larmes apparurent, glissèrent sur les joues, mouillèrent ce visage qu'Alan n'avait jamais vu ému jusqu'alors, ni à l'hôpital après l'accident, ni pendant l'enterrement, ni à aucun moment de cette adolescence qu'il savait pourtant triste ; il les regarde couler, sans savoir quoi répondre, sans savoir comment rassurer cette première confidence ; puis un murmure parvint jusqu'à lui :
- Je vois, papa. »

Lorsqu'il dit « je vois », certains entendent « J'ai vu la Vierge ». Tout l'équilibre de la région en est perturbée, le rapport au monde de chacun chamboulé par cette vision qui agit comme un catalyseur de toutes les passions humaines. le drame est en marche et Victoria Mas le met en scène très habilement avec une belle fluidité narrative portée par une écriture soignée et poétique qui prend le temps de poser un décor ( personnage à part entière donnant lieu à de superbes descriptions de la nature bretonne ) , une ambiance intemporelle presque mystérieuse.

Alors que le récit se déroule de nos jours, les marqueurs temporels habituels s'éloignent, comme si les différents mondes, céleste et terrestre, invisible et concret, pouvaient se pénétrer sans qu'on sache réellement de quelle façon. Il devient très difficile de savoir à quelles vérité, allégeance et réalité appartiennent les faits qui se déroulent sous nos yeux. Les contrastes sont forts, jusqu'à l'irruption d'une violence qu'on sentait sourdre mais qu'on pensait lointaine, et imposent un univers très singulier à ce deuxième roman fort réussi.
Commenter  J’apprécie          1249
Le bal des folles a rencontré un franc succès auprès des lecteurs. J'en étais ressortie mitigée me souvenant mon coup de coeur pour La salle de bal d'Anna Hope.
Deuxième roman de Victoria Mas, l'envie de lui laisser une seconde chance.

Un miracle est un roman polyphonique fortement axé sur la religion. Il y a Hugo, seize ans attiré par l'astronomie, Julia sa soeur asthmatique. le petit Isaak qui vit seul avec son père suite au décès prématuré de sa mère. Soeur Anne qui attend désespérément que la sainte vierge lui apparaisse comme Soeur Labouré un siècle auparavant.

Entre ces personnages, très très peu d'interactions au point que je me demande quel est l'interêt et le sens caché a nous les présenter si sommairement.

C'est un roman d'atmosphère ici où l'écriture se révèle sophistiquée et mystérieuse à souhait. Il m'aura semblé tout le long de ce livre planer au dessus de l'histoire sans rien ressentir ni attachement pour les personnages éclairs ni de compréhension pour l'histoire qui pour moi est bien trop en sourdine, bien trop cadenassée dans l'exercice de style. Durant les trois quart du livre, il ne se passe rien, et quand on croit détenir le tournant de l'histoire, on soupire d'ennui tant tout reste en surface.

Je n'irai donc pas plus loin avec cette auteure qui visiblement ne me correspond pas.
Commenter  J’apprécie          12215
J'avais bien apprécié le bal des folles, premier roman de Victoria Mas, Prix Renaudot des Lycéens 2019, même si la place du spiritisme y était à mon goût un peu trop présente.
Son second roman, Un miracle, est, par contre, loin de m'avoir convaincue. J'ai trouvé la part faite à la religion beaucoup trop prégnante.
Victoria Mas découpe son roman en trois parties intitulées Une religieuse, Un voyant et Un miracle. Comme Soeur Catherine Labouré a rencontré la vierge Marie il y a plus d'un siècle, Soeur Anne, religieuse chez les Filles de la Charité, espère elle aussi la rencontrer. Une de ses congénères, Soeur Rose, lui ayant prédit que la Vierge lui apparaîtrait en Bretagne, Soeur Anne se porte aussitôt volontaire lorsqu'une mission se présente à Roscoff, à la pointe du Finistère Nord.
Au large de Roscoff, sur l'île de Batz, vit la très catholique famille Bourdieu venue s'installer ici pour tenter d'améliorer la santé de leur petite Julia, asthmatique, son frère Hugo, seize ans, incompris par son père, est lui passionné d'astronomie. Hugo va tisser des liens avec son voisin Isaac, cet ado orphelin sensible et solitaire, qui, depuis le décès prématuré de sa mère, vit quasiment reclus avec son père.
Quand Isaac, sans le vouloir, guidé par une main est ramené à plusieurs reprises sur le même promontoire, près de sa maison, face à la mer et voit une apparition qu'il ne nommera à aucun moment, bien vite le phénomène s'ébruite et la vie locale va s'en trouver bouleversée !
En ancrant son récit en Bretagne, Victoria Mas relève le défi de faire entrer le lecteur sur cette terre de contes et de légendes, de foi, de superstition où partout l'on croise l'héritage chrétien, celtique, païen… Sa description des paysages et des modes de vie sur l'île m'a particulièrement plu, tout comme j'ai apprécié le portrait psychologique de ce jeune Isaac extrêmement touchant.
Par contre, étant athée, difficile pour moi, pour ne pas dire impossible, d'adhérer et de me fondre dans cet esprit de croyance et de religion. Aussi, même si ce roman laisse le lecteur entièrement libre de croire ce qu'il veut bien croire, sa lecture ne m'a pas embarquée.
Bien qu'ayant apprécié la manière dont l'auteure aborde avec délicatesse l'inceste et le harcèlement, il me semble que certains personnages auraient mérité un développement plus ample et je dois avouer que j'ai eu parfois l'impression de faire du sur-place. Je n'ai jamais été emportée par l'histoire qui évolue trop lentement et qui s'accélère à la fin, pour se terminer, par contre de façon un peu lapidaire.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          1172
Non, le miracle n'a pas eu lieu en ce qui me concerne. D'une part, je n'ai pas vu la Vierge, d'autre part, je n'ai pas été convaincue par ce roman.
La lecture n'est pas désagréable, il y a de très belles descriptions de la nature sauvage des côtes bretonnes. Les personnages bien campés sont malgré tout assez caricaturaux.
Ils lèvent les yeux au ciel pour diverses raisons et n'y voient pas tous la même chose. Hugo le scrute pour observer les étoiles, le jeune Isaac pour contempler la Vierge et porter son message. Soeur Anne a quitté sa vie parisienne, après l'annonce faite par une autre soeur qui lui a prédit qu'elle serait témoin d'un miracle en Bretagne.
Isaac dit-il vrai ou ment-il ? Est-il un imposteur ? Qui va le croire, lui faire confiance, qui va le détester ? Quelles seront les conséquences de cette vision sur les différents protagonistes ?
Le problème majeur est que le récit ne m'a pas passionné, et j'ai eu du mal à percevoir l'intention de l'auteure. Son message spirituel ( ?) n'est pas parvenu jusqu'à moi.
Si la fin est assez surprenante et pas très crédible dans l'accélération du rythme et l'avalanche de drames, j'ai trouvé que ce livre avait un énorme ventre mou dans lequel je suis ennuyée. Une lecture qui sera vite oubliée …
Commenter  J’apprécie          728
Loin des couloirs sordides de la Salpétrière, où nous avait emmenés son premier roman, Victoria Mas met le cap sur la Bretagne, sur la petite île de Batz au large de Roscoff. Ambiance îlienne, autour de Madenn qui tient le café restaurant, et accueille le midi Isaac, ce drôle de garçon, visage d'ange mais lesté d'une blessure irréparable, la perte de sa mère dix ans plus tôt.

Lorsque soeur Anne débarque, pour épauler Soeur Delphine à la mission locale, c'est avec l'intention de réaliser la prédiction d'une de ses compagnes de réclusion religieuse, rien de moins que de rencontrer la vierge Marie, à l'image de cette nonne du dix-neuvième siècle, Catherine Labouré, dont l'effigie orne les médailles miraculeuses depuis deux cents ans.

C'est Isaac qui sera l'élu, déclenchant un drame local, autant par jalousie, que par crainte des malheurs qui ne manquent jamais de surgir après une apparition.

Lorsque l'on connait bien cette région, on ne peut être qu'admiratif pour la restitution parfaite du climat local. le décor, l'atmosphère particulière d'une île, qui, même proche du continent, reste à l'écart du reste du monde. Les expressions locales, la ferveur d'une religion encore prégnante, les légendes, mélange de superstitions et de croyance mitigée de religion.

Ce sujet risqué est un pari, pour moi réussi. J'ai retrouvé avec un grand plaisir cette écriture envoutante, l'art de décrire les paysages, et ce souci du détail qui rend le récit plausible. Un deuxième roman auquel je souhaite tout le succès du premier.

224 pages Albin-Michel 17 Août 2022
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          725


critiques presse (1)
LeFigaro
22 septembre 2022
L’intrigue s’attache à Isaac, triste garçon, orphelin de mère et qui, un jour, a une vision sur une île du Finistère.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (84) Voir plus Ajouter une citation
Il n'avait jamais offert de livre à quiconque et prenait seulement conscience de l'enjeu de cette démarche : faire cadeau d'une lecture était pareil à une confidence.
Commenter  J’apprécie          182
(Les premières pages du livre)
Le 18 juillet 1830
Le couvent est endormi. Plus une robe ne traverse les couloirs. Les silhouettes à cornette ont déserté le cloître et ses galeries. Comme chaque soir, les complies terminées, les Filles sont remontées dans le dortoir, sans un mot, car le silence lui aussi est prière. Les fenêtres sont ouvertes. L’air est tiède encore. Dans les jardins, une chouette s’éveille, guette les rongeurs du haut de sa branche. Un écho lointain, celui de sabots, rappelle que la ville est juste en dehors de ces murs ; les calèches redescendent la rue du Bac, longent au trot l’enceinte de la Maison Mère. Pas une brise ne vient rafraîchir cette nuit de juillet. Au cœur du couvent, une cloche retentit soudain : la chapelle sonne les onze heures. Elle seule rythme un temps qui n’est plus tout à fait celui des profanes. Son timbre grave pénètre dans le dortoir, survole les lits, sans les faire tressaillir : allongés sous les draps, les corps poursuivent leur repos. Aucun froissement ne trahit d’éveil. Le couvent enseigne aux Filles à ne plus se laisser distraire par le monde.
– Sœur Labouré !
La jeune sœur Catherine ouvre les paupières, survole les rideaux blancs qui isolent son lit. Personne. Elle tend l’oreille, écoute le dortoir. Quelques toussotements. Des respirations paisibles. Aucune sœur n’a appelé son nom : elle a confondu le songe avec l’éveil. La fatigue la rappelle. Elle tire le drap sur son épaule, ferme à nouveau les paupières. Depuis son entrée chez les Filles de la Charité, elle rencontre le sommeil sans mal, s’assoupit avec la quiétude de celles qui débutent leur vie apostolique.
– Sœur Labouré !
Son corps se redresse, retient son souffle. Elle en est certaine cette fois, une voix l’a appelée. Sans bruit, elle se penche en avant, écarte le rideau qui sépare son lit de l’allée. Son geste se fige. Face à elle, un enfant la regarde, serein, comme si sa présence était normale, comme s’il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il fût ici, dans le dortoir des sœurs, à une heure si tardive. Immobile, la novice dévisage celui qui l’attend : au pied de son lit, cet enfant est lumière.
– Levez-vous et venez à la chapelle, la Sainte Vierge vous attend.
Aux alentours, pas un drap ne frémit ; l’enfant n’a réveillé qu’elle. Sans questionner son propos, sœur Catherine jette un œil vers la porte : le bois grince dès qu’on pousse sa poignée, un son des plus désagréables et qui empêche toute discrétion. Quitter le dortoir ne serait pas prudent : elle réveillerait sûrement les autres. Sa pensée fait sourire l’enfant.
– Soyez tranquille, tout le monde dort bien. Venez.
Il tourne les talons et s’éloigne sans attendre. D’un bond, sœur Catherine descend du lit, enfile sa robe, prestement, sans céder au doute, car douter de l’invraisemblable ne relèverait d’aucun mérite. Elle rabat sa coiffe sur ses cheveux et s’éclipse du dortoir.

À l’extérieur, la nuit surprend par sa clarté. On distingue, comme en pleine campagne, les étoiles qui parsèment le ciel nu, la lune décroissante qui nimbe les toitures parisiennes. Une lueur bleutée pénètre par les fenêtres, dissipe les ombres dans le couloir. Sans un regard vers la nuit claire, sœur Catherine traverse le couvent. Son pas est fébrile. Chaque bruit suspend son souffle, alerte son regard. Des sœurs veilleuses se relayent à minuit, peuvent à tout instant surprendre sa présence. À sa gauche, l’enfant avance d’un pas serein, certain que leur chemin ne croisera aucune sœur, confiant en son halo qui écarte tout ce qui va contre sa volonté. Cette lumière douce enveloppe son corps, de ses cheveux bouclés à ses pieds nus, et sœur Catherine se garde de demander d’où celle-ci lui vient. Elle n’interroge rien à vrai dire : là est le plus sûr moyen de rester sans réponse. Au pied de l’escalier, la chapelle est close. Sans ralentir le pas, le garçon touche la porte du doigt, l’ouvre sans effort. Sur le seuil, la novice s’immobilise : des cierges par centaines illuminent la petite chapelle. Une veillée. Elle a oublié. Elle a manqué le début de la liturgie, trouble à présent le recueillement par son retard. Cette négligence ne manquera pas d’être sanctionnée par la mère supérieure. Son regard survole la nef, cherche les autres novices en prière. Les bancs sont vides. L’autel déserté. De l’entrée jusqu’au chœur, la chapelle scintille de flambeaux sans une seule âme présente. Près du sanctuaire, sœur Catherine aperçoit l’enfant qui l’attend. Elle le rejoint. Ses pas font craquer le plancher. La chapelle est modeste, dénuée de fioritures, seules viennent y prier les religieuses de la Maison Mère. Aujourd’hui encore, lorsqu’elle pénètre en ce lieu, la jeune novice se remémore ce songe qui a appelé sa foi, quelques années auparavant, alors qu’elle était encore laïque : cette nuit-là, un visage lui était apparu, celui d’un vieil homme, la tête couverte d’une calotte noire, un col blanc soulignant son visage ridé, son sourire tout empreint d’altruisme et d’amitié : « Un jour, vous serez heureuse de venir à moi. Dieu a ses desseins sur vous. » Elle avait découvert, peu de temps après, un tableau figurant Vincent de Paul, et elle avait reconnu ce visage, la calotte, le regard où ne se lisaient ni l’orgueil ni le mépris : ce prêtre dont elle avait rêvé était le fondateur des Filles de la Charité. Les rêves n’étaient jamais autre chose que des rencontres.
Au pied de l’autel, sœur Catherine jette un œil aux alentours, observe l’enfant en espérant une parole de sa part : semblable aux statues, ce dernier ne souffle mot, contemple la nef déserte. Sans savoir quoi faire d’autre, elle s’agenouille face aux marches. Elle écoute. Le craquement du bois dans les mezzanines. La flamme d’un cierge qui crépite, puis expire lentement. Un courant d’air qui s’immisce sous la porte. La cloche retentit brusquement, emplit la chapelle d’un grondement semblable au tonnerre. Douze coups sonnent minuit. Le dernier écho s’estompe, et la nuit est silencieuse à nouveau. La novice compte le temps. Ses paupières se referment, s’ouvrent aussitôt. Son corps chancelle, bascule en avant, se redresse, dans une lutte contre l’épuisement qui semble d’avance perdue. Ses paupières à nouveau se ferment. Elle s’apprête à céder lorsque, près d’elle, la voix de l’enfant murmure :
– La Sainte Vierge est là.
Son corps se raidit. Ses mains se rejoignent contre sa poitrine. Sa respiration cesse. Dans son dos, un froissement. Une robe. Le froissement d’une robe, oui, qui avance et s’approche. Sœur Catherine étreint un peu plus ses doigts contre son sein, perçoit la présence maintenant tout près d’elle : là, sur les marches menant à l’autel, le pan en soie, une soie d’un blanc comme elle n’en a jamais vu, ni l’hiver en campagne, ni en ville dans les plus belles toilettes, un blanc qui ne peut possiblement se retrouver sur terre, et cette robe immaculée est doublée d’une cape azurée, un azur qui n’est pas tout à fait celui du ciel, ni même celui de l’eau, un azur qui présage d’un ailleurs, celui-là même vers lequel tout en elle tend depuis son entrée chez les Filles de la Charité.
En haut de l’autel, la silhouette prend place sur un fauteuil en velours.
– Voici la Sainte Vierge.
La voix de l’enfant ne la fait pas réagir. Celle qu’on lui annonce ne peut pas apparaître ainsi, de la plus simple façon, comme n’importe quelle religieuse du couvent, assise à présent sur ce fauteuil élimé et poussiéreux, patientant à la seule lueur vacillante des cierges. Sœur Catherine dévisage l’étrangère, cherche en vain un trait, un signe qui lui permettrait de reconnaître celle qu’elle prie depuis l’enfance. Sa perplexité finit par agacer l’enfant, celui-ci avance d’un pas et, dans le chœur, ce n’est plus sa voix qui gronde, mais la voix grave et autoritaire d’un homme :
– Voici la Sainte Vierge !
L’écho ébranle la novice. Soudain, comme si le trac avait jusqu’alors entravé sa vue, elle l’aperçoit enfin. Le visage diaphane sous le voile. Le halo qui nimbe la silhouette. La grâce de cette seule présence. Un élan pousse son corps en avant. Ses jambes quittent leur léthargie, atteignent le fauteuil où trône la figure auguste. Son cœur bat à ses tempes. Instinctivement, ses mains se posent sur les genoux saints, s’appuient à cette faveur qui lui est faite. Son regard se relève, contemple le sourire penché vers elle.
Oui, elle la reconnaît à présent. On la reconnaissait toujours.

De nos jours
Des goélands survolèrent le vieux port. C’étaient les derniers passages du jour: au-dessus de Roscoff, la lumière déclinait déjà. L’hiver rappelait tôt ses heures, invitait chacun à rentrer. Le long du quai, un voyageur descendait vers la route. Son sac de randonnée dépassait de ses épaules, un bonnet protégeait son front du vent. Il avançait, les mains cramponnées aux bretelles de son sac. Sur le chemin, des gamins chahutaient, se penchaient au-dessus du bassin, pointant du doigt les pattes de crabes et les coquilles d’huîtres au fond de l’eau. Leurs grands-parents les mettaient en garde, leur rappelaient que l’homme ne pouvait tomber là où il était né, car si l’eau avait jadis été son berceau, la terre était désormais sa maison.
Le voyageur traversa pour rejoindre l’Abribus. Le banc était inoccupé. Il se délesta de son sac, cambra son dos, étira ses membres, sans entendre les pas qui s’approchaient derrière lui.
– Vous avez du feu ?
Il se retourna. Face à lui, une femme fluette, petite, d’un âge avancé, portant l’habit bleu des Filles de la Charité. Celle-ci leva sa cigarette et devina sa pensée :
– Les sœurs aussi ont de mauvaises habitudes.
Le voyageur fouilla dans ses poches et en sortit un briquet. Prenant garde à son voile que le vent battait, sœur Delphine alluma sa gauloise. Elle le remercia et s’en alla prendre appui contre le parapet. Au-dessus du port, un rose vif, intense, teintant les nuages en mouvement, disant tout le froid des fins de journées d’hiver. Sœur Delphine sortit un papier de sa veste et le déplia
Commenter  J’apprécie          20
Hugo sentit ses joues s’empourprer, embarrassé par cette parole qui avait dépassé sa pensée. La première fois qu’il avait été en présence d’Isaac, il n’avait su dire autre chose que son prénom. Ce jour-là, son père étant retenu à une réunion, Hugo avait pris le bus à Saint-Pol-de-Léon, ravi de ce retour autonome; il était descendu au vieux port de Roscoff, remontant jusqu’au deuxième bassin où attendait la vedette. À peine sur le bateau, il s’était arrêté: sur le dernier banc, tourné vers le hublot, Isaac, seul. Depuis la rentrée, Hugo l’avait croisé à plusieurs reprises, sur l’île souvent, le long de la grève blanche, sur la route où ils habitaient tous les deux, mais aussi chaque jour au lycée, dans le préau lors des pauses, au sortir du réfectoire, et ce visage sans malice, sans arrogance, était le seul qu’il regrettait de quitter à la fin des cours. Derrière les passagers, l’apercevant à son tour, Isaac lui avait fait signe de venir s’asseoir, et Hugo avait avancé, sans bien savoir si le bateau tanguait sous ses pieds ou si ses pas étaient chancelants. Il avait pris place sur le banc en bois, soufflant son prénom, sans être sûr qu’Isaac l’eût bien compris. Dès cet instant, il n’avait pas perçu la marche arrière du bateau, le lent départ du port, la traversée sur l’eau qui d’habitude lui causait le mal de mer : pour la première fois, son attention était retenue sur terre.
Commenter  J’apprécie          160
[…] à présent elle voulait s'en aller, retrouver les murs du couvent, la lumière blafarde de Paris, son ciel bas, sans jamais une percée ; recommencer ses jours familiers, les laudes, les vêpres, les complies, former les novices, accompagner les visiteurs de la chapelle ; oui, Sœur Anne ne désirait rien d'autre désormais que cette existence tranquille, cette existence saine surtout, car celle-ci était sans aspiration et sans espérance. Elle avait fini par comprendre qu'on pèche seulement par attente. (p.183)
Commenter  J’apprécie          290
"_Si on la porte, elle fait des miracles alors ?
Des guérisons inexpliquées, c'est vrai, furent rapportées en pleine épidémie de choléra à Paris. Le juif Alphonse Ratisbonne, qui porta la médaille, eut une vision de la Vierge, et se convertit au christianisme, ce qui fit grand bruit à l'époque. A la mort de Catherine Labouré, un enfant approcha de son cercueil et guérit soudainement de son infirmité. C'était sans mentionner Catherine Labouré elle-même , dont on avait exhumé le corps parfaitement intact près de soixante ans après sa mort.
_Ce n'est pas tant la médaille qui est miraculeuse...Personne n'a jamais remis en cause les propos de cette novice. Dès lors qu'on ne doute plus...c'est là que surviennent les miracles."
Commenter  J’apprécie          160

Videos de Victoria Mas (40) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Victoria Mas
Retrouvez les derniers épisodes de la cinquième saison de la P'tite Librairie sur la plateforme france.tv : https://www.france.tv/france-5/la-p-tite-librairie/
N'oubliez pas de vous abonner et d'activer les notifications pour ne rater aucune des vidéos de la P'tite Librairie.
Le confinement que nous avons vécu jette une lumière étrange sur ces moments où la vie bascule de la liberté à l'enfermement, où tout peut vous être ôté sans votre consentement. C'est très exactement le sujet du passionnant premier roman de Victoria Mas.
« le bal des folles » , de Victoria Mas, est publié chez Albin Michel.
+ Lire la suite
autres livres classés : MiraclesVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (1258) Voir plus



Quiz Voir plus

Jésus qui est-il ?

Jésus était-il vraiment Juif ?

Oui
Non
Plutôt Zen
Catholique

10 questions
1831 lecteurs ont répondu
Thèmes : christianisme , religion , bibleCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..